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VERS UNE SANCTUARISATION DE LA DÉPENSE COMMUNAUTAIRE - suite 4



Dans une (longue …) série de notes relative à la protection des intérêts financiers de l’Union (1), nous avons - en résumé - considéré que la multiplication et la dimension croissante des cas d’irrégularité dans l’utilisation des crédits européens par certains Etats membres constituait un véritable problème systémique au sein de l’UE.


Un problème qui affecte non seulement l’efficacité de la dépense européenne mais qui nuit aussi gravement à l’image de l’Europe dans l’opinion.



Un contrôle continu et en temps réel

Nous étions parvenus à la conclusion que seule une forme de “sanctuarisation de la dépense communautaire” pourrait permettre de limiter le développement de cette dérive préoccupante.


En résumé, cette sanctuarisation reviendrait à donner à l’Union elle-même un plus grand contrôle sur l’exécution du budget européen - aujourd’hui presque exclusivement confié aux Etats et à leur propre organes de contrôle.


Actuellement limité à des vérifications a posteriori - limitées, tardives et souvent sans effet - le contrôle communautaire devrait au contraire s’efforcer de déceler les irrégularités à un stade plus précoce de la dépense.


Un suivi en temps réel du transit des fonds européens depuis leur décaissement du budget de l’UE jusqu’aux utilisateurs finaux permettrait, le cas échéant, d’anticiper les risques divers d’utilisation irrégulière telle que la fraude, la corruption, les conflits d’intérêt, etc … En cas de doutes sérieux d’irrégularité, des éclaircissements pourraient être exigés et les paiements éventuellement suspendus si les justifications fournies s’avéraient insuffisantes.


Des études ont démontré que l’utilisation du “big data “ informatique permettrait de tracer et de prévenir les risques d’irrégularités dans l’utilisation des crédits européens par les gouvernements et administrations nationaux. À condition toutefois que leurs propres systèmes de traçage informatique soient mis à niveau et que soit acquis le principe de libre partage des données.



La responsabilité de la Commission

Ce contrôle en continu devrait être effectué par la Commission à laquelle le Traité confie la responsabilité de la "bonne exécution du budget de l’Union”. Responsabilité qui ne saurait se limiter au seul contrôle de régularité des règles comptables au niveau bruxellois - mais au contraire s’étendre à toute la chaine des opérations jusqu’aux destinataires finaux des deniers publics.


À ce jour, les DG concernées de la Commission (AGRI/ REGIO/EMPL) n’assurent pas un tel suivi et considèrent même que cela n’entre pas dans leurs missions - d’autant plus que la gestion des grandes politiques structurelles a été progressivement décentralisée au profit des Etats membres. Et la DG Budget ne semble pas non plus concernée par l’utilisation des fonds une fois “sortis” du budget européen. Il existe certes une procédure aléatoire dite d’”audit” mais qui ne concerne que l’évaluation occasionnelle des modalités de répartition des crédits et des mesures de contrôle telles qu’effectuées par les organes nationaux.


Au total, “Bruxelles” semble avoir largement perdu le contrôle de l’exécution du budget européen qui ne s’exerce plus qu’a posteriori et avec beaucoup de retard qu’il s’agisse des audits, des rapports de la Cour des Comptes, des enquêtes d’Europol mais aussi, ultérieurement, de l’intervention du Procureur européen.


Paradoxalement, le contrôle sur les dépenses effectuées à l’extérieur de l’UE (aide au développement par exemple) semble être parfois plus exigeant et performant que celui exercé sur les dépenses intra-communautaires.


Les limites d’un mécanisme général lié à l’ "état de droit"

Soyons clairs toutefois : les risques d’irrégularités concernent principalement les Etats membres dans lesquels les structures de contrôle interne ne sont pas encore à niveau - et ceux d’entre eux où la situation générale de l’état de droit s’avère déficiente.


C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil européen - à l’occasion du déblocage du plan de relance post-COVID de 800 milliards d’euros - a finalement donné le feu vert au règlement sur "la conditionalité pour la protection du budget de l’Union”. On sait cependant les difficultés qui président encore à sa mise en oeuvre effective ainsi que les incertitudes relatives au caractère global et politiquement lourd du constat à effectuer et des sanctions à appliquer ( 2) .



Le cas emblématique du Premier Ministre tchèque

Pour illustrer cette analyse, il est intéressant de se référer au rapport du PE du 2 Juin 2021 sur “le conflit d’intérêt du Premier Ministre de la République tchèque” dans la destination des fonds du FEOGA (3). Ce rapport très circonstancié (dont nous ne reprenons pas ici le fonds de l’affaire) contient des observations rejoignant les points soulevés ci-dessus :

  • la lenteur (voire l’interruption) des mesures d’enquête et de contrôle a posteriori entreprises aussi bien par la Commission (audits) que par l’OLAF,

  • les approches différentes et non coordonnées des trois DG concernées (AGRI/REGIO/EMPLOI) ainsi que l'absence de transparence sur les procédures,

  • la poursuite des versements des fonds européens alors même que des enquêtes étaient en cours et que les déficiences du système national de contrôle étaient clairement établies - et, en fait, de notoriété publique.


Tout ceci amenait le PE à dénoncer les faiblesses de l’ensemble du cadre réglementaire de contrôle (§11) et, surtout à constater un besoin urgent d’établir “an interoperable digital reporting and monitoring system for EU finances” (§40).



En résumé

On peut résumer les arguments développés ci-dessus en trois propositions :

  • le pré-supposé de l’efficacité - et de la compétence exclusive - du contrôle d’exécution des dépenses communautaires par les seuls Etats membres eux mêmes devrait être remis en cause,

  • les seuls mécanismes de contrôle a posteriori s’avèrent insuffisants

  • la Commission devrait assumer la responsabilité d’un contrôle en continu par monitoring informatisé,

  • le mécanisme dit de “conditionalité” risque de s’avérer trop lourd politiquement et procéduralement pour être efficace.

Ou, pour faire encore plus bref : “Les dépenses de l’Union doivent être contrôlées par l’Union”.


Faute de quoi, la confiance du citoyen-contribuable envers Bruxelles risque d’en être fortement ébranlée.





Jean-Guy Giraud 13 - 06 2021

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(2) “Régime de conditionalité pour la protection du budget de l’Union” voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/budget-et-état-de-droit-une-affaire-mal-engagee


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