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BUDGET ET ÉTAT DE DROIT : UNE AFFAIRE MAL ENGAGEE



Selon la déclaration jointe de deux Etats membres ...

Les Premiers Ministres de Pologne et de Hongrie viennent de clarifier - mais en même temps de rigidifier - leur position sur le lien entre l’adoption définitive du budget et du plan de relance d’une part - et le mécanisme de conditionnalité relatif à l’état de droit d’autre part (1)


En bref, ils considèrent que le Conseil européen doit à nouveau délibérer sur ce lien. Et si le Conseil devait confirmer la nécessité de ce lien, une révision préalable des Traités serait nécessaire pour l’établir formellement.


Ils estiment en effet que cette clause de conditionnalité est de nature “constitutionnelle” et nécessite donc une base juridique spécifique dans le corps même du Traité. Ils appuient leur opinion sur une analogie avec la clause de protection des valeurs de l’Union qui est, elle, précisément établie par le Traité (article 7 TUE).

Et ils confirment ainsi cette position légaliste : "We stand on the basis of legality and therefore defend the status quo as contained in the Treaties.” Et ils considèrent - à titre subsidiaire - que le projet est lui-même contestable sur le plan juridique (2).


Autrement dit, selon eux : seul le Traité peut établir que l’attribution de crédits européens peut être refusée à un Etat dont les règles internes (“état de droit”) ne garantissent pas la protection des intérêts financiers de l’Union.


…un problème juridique se pose ...

Le projet de règlement établissant la conditionnalité est, quant à lui, basé sur le seul article 322 a) du Traité qui concerne la fixation “des règles financières relatives (…) à l’exécution du budget” - c’est à dire le “règlement financier” de l’UE (3).


Sur le strict plan juridique, la question posée est donc la suivante : la règle de conditionnalité entre-t-elle dans le cadre des modalités d’application du règlement financier ou nécessite-t-elle une base juridique, distincte, de droit primaire cad prévue par une disposition ad hoc du Traité lui-même ?


On imagine que les services juridiques des Institutions ont attentivement examiné cette question avant l’examen du projet de règlement par le Conseil puis par le Parlement. Et qu’ils ont considéré que l’article 322 TFUE constituait une base juridique suffisante.


L’objection présentée par les deux Etats membres concernés devra donc probablement être ré-examinée à la lueur de la déclaration des deux Premiers Ministres. L’autorité législative (Conseil et Parlement) pourra alors soit adopter le règlement tel quel, soit le modifier, soit le retirer, soit en reporter l’examen. Autant de choix politiquement très lourds …

Ceci dit, la solution du report de l’affaire - qui ferait en principe tomber l’objection des Premiers Ministres - semblerait la meilleure : elle débloquerait le paquet Budget/Plan, permettrait un ré-examen (plus) attentif du cadre juridique du règlement et une décision ultérieure mieux informée sur son sort.


… qui ne saurait toutefois justifier le blocage du budget et du plan

Toutefois, il demeure que le fait de refuser de voter le Budget et le Plan de Relance - au seul motif qu’une proposition de règlement, légale ou non, est parallèlement en voie d’adoption - ne peut pas être justifié. Ce lien - à présent confirmé officiellement par cette déclaration - est lui-même très contestable sur le plan juridique : la voie normale prévue en pareil cas par le Traité consisterait, pour ces deux Gouvernements, à voter contre la proposition de règlement, quitte - s’il est adopté - à contester sa légalité devant la CJE. Cette pratique - croissante - qui consiste à “prendre en otage" un dossier pour obtenir satisfaction sur un autre est assurément contraire à l’esprit de “coopération loyale” qui doit animer les partenaires européens.

Au total, une affaire mal engagée : s’il suffisait d’un règlement pour assurer le respect de l’état de droit par un Etat membre dans l’utilisation des crédits européens, que ne l’a-t-on fait plus tôt ! (4).


Et rappelons in fine que la Commission dispose déjà de certains outils pour contrôler elle-même cette utilisation - y compris pour suspendre le versement de crédits en cas de soupçon de mise en danger des intérêts financiers de l’UE (5). Cette affaire pourrait être l’occasion - pour les services concernés de l’Institution - de reprendre en mains ce contrôle.



Jean-Guy Giraud 28 - 11 - 2020


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(2) "The proposed conditionality circumvents the Treaty, applies vague definitions and ambiguous terms without clear criteria on which sanctions can be based and contains no meaningful procedural guarantees."

(3) "Having regard to the Treaty on the Functioning of the European Union, and in particular Article 322(1)(a) thereof,”



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