L’expression et le concept de “Singapore-on-Thames” (SoT) sont à présent communément employés par les observateurs et même par certains acteurs du Brexit.
Dès le printemps 2017, nous les utilisions ici (1) pour symboliser ce qui pourrait avoir été l’objectif ultime - et l’agenda caché (le “coup”) - d’une partie de l’Establishment politique et économique du RU en lançant le processus de sortie de l’Union.
On sait que - pour résumer - cet objectif serait celui d’une libéralisation de type thatcherien de la société et de l’économie britanniques - laquelle impliquerait en premier lieu une libération des contraintes réglementaires, fiscales, sociales, concurrentielles, financières, environnementales, etc … imposées par l’UE.
Pour parvenir à ce résultat, il serait nécessaire que le Royaume Uni - une fois sorti de l’UE - ne conserve avec elle que des liens purement commerciaux, librement consentis et analogues à ceux qui lieraient le RU à d’autres partenaires internationaux.
La façon la plus simple, la plus rapide et la plus totale d’opérer cette libération serait une sortie sèche et sans accord (No Deal) qui laisserait au RU une complète liberté d’action pour la ré-orientation sans délai de son régime économique et sociétal vers un modèle de type reaganien.
À défaut, le RU devrait accepter l’accord (Deal) négocié en dernier lieu par le gouvernement de Boris Johnson et s’engager dans des négociations fixant “les relations futures” entre l’UE et le RU. La forme et le contenu de cet accord seront librement déterminés par les deux parties. Il pourrait s’agir d’un simple accord commercial type CETA (Canada/UE) ou au contraire d’un accord d’association plus étroit.
Dans l’optique des partisans du SoT, c’est sans doute la première formule - minimaliste - qui serait privilégiée. Cependant - comme il est prévisible que l’UE exigera des conditions et garanties extensives du RU dans la négociation de tout accord - celle-ci risque de s’avérer au moins aussi difficile que pour le Deal de sortie de l’UE. D’autre part, pendant la période transitoire de cette négociation - jusqu’au 31/12/2020 au moins - le RU restera lié à l’UE par toute une série d’obligations et de contraintes difficilement supportables pour ces partisans.
On pourrait donc s’attendre à ce que ceux-ci cherchent à se libérer aussi de ce cadre en provoquant une rupture anticipée de la négociation de façon à disposer rapidement d'une totale liberté de manoeuvre, comparable à celle qu’aurait procuré un No Deal. Rupture qui n’exclurait pas, à un stade ultérieur, la reprise de contacts avec l’UE - sur de nouvelles bases - afin d'assurer au moins un cadre tarifaire analogue à celui que le RU entreprendrait de conclure simultanément avec d’autres pays.
Au total, “the Boris Johnson Deal would be just a short-cut to a no-deal brexit”.
Scénario hautement spéculatif - voire complotiste ? Peut-être. Mais l’attitude du Premier Ministre - semblant vouloir provoquer une sortie sans accord dès le 31 Octobre 2019 - permet de supposer que tel est peut-être son véritable objectif. Surtout si l’on estime que le Premier Ministre partage plus ou moins ouvertement les préconisations les partisans du schéma “SoT" dont il ne serait finalement que le porte-parole.
De fait, tant Michel Barnier qu’Angela Merkel ont publiquement évoqué pareille thèse (2).
Il reste à espérer que le débat interne britannique qui oppose les partisans du "hard brexit", du "soft brexit" et du “no brexit” puisse être clairement, ouvertement et démocratiquement tranché, in fine, par les citoyens eux-mêmes.
Il conviendrait, pour cela, que l’UE laisse au RU le temps nécessaire pour procéder à cette clarification. L’enjeu final et durable de cette affaire vaut bien quelques semaines ou mois supplémentaires de patience.
Jean-Guy Giraud 27 - 10 - 2019
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(1) https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/singapore-on-thames-l-avertissement-d-angela-merkel
voir aussi : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/2019/04/02/le-coup-du-brexit et https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/brexit-un-no-deal-pour-une-global-britain
(2) déclarations de M.Barnier et Mme Merkel :
"Speaking in Rome yesterday, the EU’s chief Brexit negotiator, Michel Barnier, called on the UK to clarify whether it intends to diverge from the EU’s regulatory model post-Brexit. He said, “When I hear the US Commerce Secretary Wilbur Ross in London calling on the British to diverge from Europe in order to better converge with others – towards less regulation on the environment, health, food, and no doubt also finance and fiscal and social [regulation] – I ask myself: The UK has chosen to leave the EU. Does it also want to distance itself from the European model?” (Michel Barnier, Nov. 2017)
"Angela Merkel has highlighted the economic danger posed by Britain if it is allowed to become a Singapore-on-Thames as Boris Johnson’s Brexit envoy outlined a plan to ditch the UK’s commitments to stay aligned to the EU’s social and environmental standards.” (Angela Merkel, Sept. 2019)
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