L’affaire de la violation de l’"état de droit" par la Pologne (liée aux réformes de son système judiciaire) s’envenime et se bouscule devant le prétoire de la Cour de Justice.
Une “soupe” de recours
Le Parlement européen vient en effet de décider d’intenter un recours en carence (art.265 TFUE) contre la Commission accusant celle-ci de ne pas avoir intenté de recours en manquement (art. 258 TFUE) contre la Pologne pour violation du règlement sur le respect de l’"état de droit" (en pratique sur "la conditionnalité pour la protection du budget de l’Union). Règlement qui fait lui-même l’objet d’un recours en illégalité (art. 263 TFUE) intenté par la Pologne et la Hongrie …
Cette situation embrouillée appelle d’abord plusieurs remarques d’ordre juridique :
les chances de succès du recours en carence (art.265) intenté par le PE sont, en principe, assez faibles : dans sa jurisprudence, la CJE a tendance à accorder à la Commission une large marge d’appréciation pour introduire - ou pas - un recours de ce type,
les chances de succès du recours en illégalité (art.263) du règlement sur l’”état de droit" intenté par la Pologne ne sont pas négligeables : le mécanisme de sanction “inventé” à la hâte par le Conseil européen est susceptible de comporter des failles juridiques que pourrait relever la CJE,
un éventuel recours en manquement (art.258) de la Commission contre la Pologne nécessiterait un large faisceau de preuves de violations de l’”état de droit” qui risque de s’avérer difficile à établir.
Ces deux derniers points peuvent expliquer la position de la Commission sur le plan juridique : attendre le verdict de la CJE sur la légalité du règlement avant de lancer une procédure d’infraction contre la Pologne.
D’autre part, des raisons d’ordre politique peuvent aussi influencer son attitude attentiste :
le déclenchement de la procédure de sanction - tel que prévu par le règlement - exige un accord d’au moins 15 Etats membres dont la Commission doit s’assurer avant d’intervenir,
la Commission peut toujours espérer que les pressions politiques exercées de toute part sur le gouvernement polonais finiront par l’amener en temps utile à des concessions suffisantes pour désamorcer (provisoirement et partiellement au moins) le conflit,
la Commission souhaite sans doute éviter une situation dans laquelle les trois Institutions (Conseil, Parlement, Commission) s’en remettraient finalement à la CJE pour trancher non seulement l’”affaire” polonaise (au risque de l’envenimer) mais aussi leurs rivalités inter-institutionnelles,
Un problème structurel
Au total, il est clair que la question du respect de l”état de droit” par certains Etats membres est plus structurelle que conjoncturelle. S’y ajoutent d’ailleurs d’autres problèmes en relation avec la bonne utilisation des crédits européens tels que la fraude, la corruption, les conflits d’intérêt, …
L’affaire ici présentée se limite à tenter de forcer un Etat membre à établir et respecter certaines règles d’ordre judiciaire garantissant l’utilisation régulière de ces crédits.
Mais, en même temps, un lourd contentieux parallèle sur l’”état de droit” s’est développé à l’encontre de la Pologne et a déjà occasionné plusieurs condamnations (par exemple sur la situation des magistrats).
Plus gravement encore, ce sont des questions relatives au respect de principes fondamentaux établis par le Traité (primauté du droit européen, autorité des arrêts de la CJE) qui ont été soulevées et qui font ou vont faire l’objet de nouveaux recours - encore contre la Pologne.
On voit bien la difficulté et la précarité d’une telle situation dans laquelle la Commission - assez isolée dans cette tâche - doit éviter deux écueils : d’une part créer un redoutable précédent en cédant sur les règles et les principes et d’autre part risquer une escalade et une propagation du conflit.
Au total, on constate ici encore à quel point l’UE se trouve désarmée - juridiquement et politiquement - face à un gouvernement déterminé à enfreindre les règles et principes d’une Union fondée sur la loyauté de ses membres. Et ce d’autant plus que la règle du vote unanime des Etats empêche les Institutions de réagir efficacement - en même temps qu’elle permet à ce gouvernement de bloquer par son veto toute une série de décisions de l’UE dans d’autres domaines.
Des issues parallèles à la crise ?
Dès lors, à défaut de révision des règles de vote, l’UE est condamnée à naviguer à vue (1). En fait , beaucoup dépendra du débat au sein même de la Pologne et notamment des réactions :
de l’opinion publique pro-européenne, à l’origine de manifestations importantes dans les grandes villes,
du corps électoral, notamment à l’occasion des élections parlementaires de Novembre 2022
de la magistrature polonaise dans son ensemble dont une bonne partie demeure hostile à la réforme judiciaire entreprise par le gouvernement.
Plus largement encore, sans rien céder sur les principes, l’UE peut aussi utiliser d’autres leviers (2), par exemple :
faire preuve de retenue sur des questions sociétales nouvelles, clivantes, à la frange des compétences de l’UE qui provoquent d’inutiles “tempêtes” médiatiques (3),
poursuivre les efforts de conseil, d’aide aux réformes et d’information de l’opinion sur son action qui devraient finir par produire progressivement des effets positifs,
tabler sur le fait que le renouvellement démocratique des dirigeants devrait permettre des changements d’attitude plus ou moins rapides et durables,
escompter que des évolutions générationnelles, éducatives et sociologiques viennent d’elles mêmes constituer un terrain plus favorable aux réformes.
Jean-Guy Giraud 05 - 11 - 2021
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