Dans un article publié par la revue « Politique étrangère » du 4/2022 (1) , Mr. Sébastien Maillard (directeur de l’Institut Jacques Delors) aborde la question des conséquences possibles d’un prochain « grand élargissement » sur le projet européen tel qu’il est mené depuis ses origines - et jusqu’ici maintenu au fil des vagues successives d’adhésions.
Cet article a le grand mérite de développer un sujet trop peu exploré alors que l’agression russe aux confins de l’Union est susceptible de précipiter l’émergence d’une UE de 36 Etats membres dans des délais plus brefs que prévu.
Ce sujet a souvent été - plus brièvement - évoqué ici (2) en mettant l’accent sur la capacité de l’UE à intégrer un espace aussi étendu et hétérogène tout en conservant ses objectifs d’unité et de solidarité mais aussi d’ « union toujours plus étroite ».
La lecture de l’ensemble de cet article est donc fortement recommandée. On peut espérer qu’il suscite une large réflexion tant dans le monde académique que dans les Institutions elles-mêmes.
Nous en reprenons ici quelques passages pour illustrer les principaux points (notre sur-lignage) :
« Les adhésions renvoient l’Union européenne à ce qu’elle exprime fondamentalement : un choix démocratique commun.
Après le premier élargissement de 1973, l’histoire des adhésions successives suivantes suit l’installation de la démocratie sur le continent.
La consolidation de la démocratie est l’une des clés qui commande l’entrée des pays issus de l’ex-Yougoslavie.
Ainsi, les demandes d’adhésion à l’UE consacrent souvent un passage de l’autoritarisme à la démocratie.
La consolidation de la démocratie s’affirme comme le fil conducteur de l’élargissement.
D’une réponse à la question allemande, l’intégration européenne est en train de devenir une réponse à la question russe.
Les prochains élargissements, plutôt que seulement étirer l’Europe existante, peuvent changer la nature du projet d’intégration.
Chaque élargissement devient une progression supplémentaire du même projet initial.
L’élargissement ne saurait être autre chose que l’UE en plus grand, une reproduction de son modèle, l’accomplissement du projet européen.
Avec la candidature de l’Ukraine, l’UE se retrouve soudainement et tout autrement confrontée aux limites de son projet d’intégration, qui ne change pas seulement d’échelle mais de nature.
L’horizon même lointain d’un élargissement à l’Ukraine l’oblige à devenir géopolitique.
L’élargissement à d’autres pays de l’ex-Yougoslavie contraint déjà l’UE à entrer en terrain géopolitique.
Les adhésions visent là à limiter les influences chinoise, russe et turque dans les Balkans, influences à l’œuvre et contraires aux intérêts européens.
L’heure est encore au bricolage institutionnel plutôt qu’à la refonte complète.
Les conditions politiques dans divers États membres (Italie, Suède, Hongrie et Pologne, entre autres) rendent difficilement envisageable l’ouverture, du moins prochaine, d’une procédure de révision des traités en faveur d’une nouvelle étape d’intégration.
Mais les limites dans le fonctionnement d’une Europe élargie pourraient se révéler en premier lieu budgétaires.
Restera à vérifier aussi si les traités d’adhésion de chacun des nouveaux entrants parviendront à être ratifiés par chacun des États membres. La capacité d’absorption de l’UE sera alors réellement testée.
L’invasion menée par la Russie et la brutalité de sa guerre hybride ne laissent aux Européens d’autre choix que d’élargir leur cercle.
L’adhésion ne vise pas seulement à protéger le pays qui la demande de la menace russe contre sa démocratie. Si l’élargissement arrête l’expansionnisme russe, il protège aussi in fine le reste de l’Union.
Pour l’UE, l’élargissement représente donc à la fois un impératif stratégique et un incommensurable défi démocratique, tant pour ses propres institutions que pour ses prétendants.
Il ne peut pourtant être l’unique réponse aux nouvelles et pressantes questions géopolitiques auxquelles sont confrontés les Euro- péens au-delà de l’Union.
C’est devenu l’objet de la Communauté politique européenne (CPE) telle que l’Élysée l’envisage depuis son lancement à Prague le 6 octobre dernier, lors d’un sommet de 44 chefs d’État et de gouvernement – Britanniques et Turcs compris.
L’élargissement est un terme usuel, mais sans doute insuffisant pour décrire le processus à venir.
S’il a jusqu’ici étiré l’UE au fil des adhésions successives, comme un accomplissement du projet européen, il est aujourd’hui relancé dans un contexte de guerre et de vives tensions géopolitiques qui transforme ce projet en même temps qu’il le pousse à s’étendre.
Une Europe élargie à 36 ne sera pas uniforme.
Elle devra garder le marché intérieur et les droits fondamentaux (Charte européenne) comme socle commun définissant l’Union, mais laisser place à l’intégration à rythme différencié, à l’exemple de l’euro. »
Jean-Guy Giraud
02/02/2023
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