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2024 : LA CONSOLIDATION DE L’EUROPE - suite 1



Au printemps puis à l’automne 2024, l'Union européenne procèdera au renouvellement quinquennal des membres de deux de ses principales Institutions : le Parlement puis la Commission. Ces deux exercices sont liés dans la mesure où le résultat de l'élection parlementaire influera sur le choix du Président et des membres de la Commission (1).


A l’occasion de ce renouvellement - et notamment du débat pré-électoral - l’Union a coutume de procéder à un vaste bilan de son action passée et de sa situation présente ainsi qu’à un examen prospectif de son « avenir ». Pour l’échéance de 2024, cet examen a, de fait, déjà été entrepris dans le cadre de la « Conférence sur le futur de l’Union » de 2022. Cette Conférence - organisée pour la première fois avec la participation active des citoyens - a posé les premiers jalons d’une réforme de grande ampleur (2).


Cette réforme devrait en effet permettre à l’Union de faire face plus efficacement tant au bouleversement de son environnement international qu’à la nécessaire évolution de sa gouvernance interne. Les problèmes posés sont bien connus mais méritent d’être brièvement rappelés. Les solutions possibles n’apparaissent pas encore clairement mais peuvent au moins être ici esquissées.



L’environnement international de l’Union ...

De façon assez brutale et cumulative, l’Union se trouve confrontée à plusieurs grandes crises d’envergure mondiale : géo-stratégique, climatique, sanitaire et économique.


La plus immédiate et la plus menaçante est apparue en février 2022 sous la forme d’une rupture soudaine de l’état de paix en Europe.


L’agression subite de la Russie contre l’Ukraine (pays associé de longue date à l’UE et à présent candidat officiel à l’adhésion) met en effet en péril la stabilité du « voisinage proche » de l’Union mais aussi - plus directement - la sécurité de huit de ses états membres limitrophes de la Russie ou de l’Ukraine. Plus largement, l’UE tout entière est affectée par les effets indirects de cette guerre sur les plans énergétique, alimentaire, industriel et économique. A cette occasion est apparu au grand jour un isolement du modèle démocratique et libéral européen face aux régimes autoritaires de grandes puissances mondiales (Russie, Chine, Iran) et à l’évolution incertaine d’autres grands pays (Turquie, Brésil, Inde). Si, dans cette confrontation géo-stratégique, l’Union peut compter sur l’appui des Etats-Unis, l’évolution de la scène politique américaine n’offre pas de garantie solide. C’est dire l’urgente nécessité pour l’Union de renforcer sans attendre son unité et son potentiel diplomatique et de défense par tous les moyens possibles. .


D’autre part, on sait aussi - sans qu’il soit nécessaire de les rappeler ici - quels autres grands problèmes d’envergure mondiale doivent être simultanément affrontés par l’Union à court et moyen terme. Les crises climatique, environnementale, sanitaire et migratoire l’affectent de plus en plus fortement, directement et globalement. Liée à ces crises, la dégradation de la situation économique et financière exige tout autant une réaction rapide et commune de l’Union en liaison avec ses principaux partenaires internationaux.



… impose une réforme globale de sa capacité d’action ...

Dans l’urgence, des mesures palliatives, partielles et provisoires ont été improvisées. Cette capacité de réaction rapide de l’UE doit être mise au crédit de ses Institutions et tout particulièrement de la Commission qui n'a eu de cesse d’élaborer des mécanismes ad hoc innovants et de convaincre le Conseil européen - avec l’appui du Parlement - de les entériner. Toutefois, ces crises ont mis en évidence la nécessité d’une réforme durable et donc structurelle du processus décisionnel de l’Union afin qu’elle puisse assurer, dans le temps long et dans la sécurité de l’ordre juridique communautaire, cette faculté d’adaptation à de nouveaux défis extérieurs.


D’autre part, l’expérience vécue depuis une quinzaine d’années d’une Union élargie à 27 Etats membres a permis d’identifier de sérieux problèmes de gouvernance interne auxquels il est temps de remédier avant de procéder à de nouveaux élargissements. Certains de ces problèmes sont de nature politique et dérivent de l’attitude non coopérative des gouvernements de certains Etats membres : remise en cause des principes de solidarité et de loyauté au sein de l’Union, violations répétées de ses valeurs et notamment de l’état de droit, blocages délibérés de certaines décisions, utilisation irrégulière des fonds communautaires … Or les outils actuels de gouvernance de l’UE - conçus pour une Europe plus homogène et consensuelle - apaisent insuffisants pour dépasser ou contourner de tels obstacles.


De même, dans leur état actuel, les traités ne permettent pas à l’Union d’exercer efficacement son action. Ceci est d’abord le cas pour la mise en oeuvre de certaines politiques communes « anciennes » dont le développement apparait aujourd’hui incontournable, par exemple en matière de politique fiscale et monétaire, de moyens budgétaires ou de politique étrangère et de défense. Mais c’est aussi le cas pour les « nouvelles » politiques dont la nécessité est apparue plus récemment comme dans les domaines climatique, sanitaire ou migratoire. En l’absence de bases constitutionnelles sûres et appropriées, l’UE a dû recourir à des mécanismes ad hoc (souvent intergouvernementaux) pour parer au plus pressé sans s’assurer de l’équilibre, de la solidité et de pérennité de l’ensemble. Le moment est venu de compléter, conforter et stabiliser l’édifice quelque peu baroque aménagé sous l’empire de la nécessité.



… sous trois angles distincts mais complémentaires …

De multiples études ont, au fil des ans, répertorié les réformes nécessaires si bien que l’on peut ici se limiter à dresser un cadre global distinguant trois niveaux d’approche parfois qualifiés de « cercles concentriques » : le socle commun, l’intégration différenciée et la notion plus nouvelle de « Communauté politique européenne ».


1. Renforcer le socle commun,

c'est à dire celui constitué et développé depuis l’origine dans le cadre des traités. Il s’agit en premier lieu de développer, d’élargir, d’adapter la base réglementaire des politiques existantes. Le plus souvent, ceci peut-être fait selon la méthode classique de propositions de la Commission et de co-décision majoritaire du Parlement et du Conseil. Le seul obstacle peut être l’absence d’un soutien suffisant - cad d’un consensus majoritaire - de la part des gouvernements ou bien l’opposition déterminée de l’un d’entr’eux conduisant les autres à temporiser.


Mais ce socle devra être renforcé et complété à la fois pour surmonter des facteurs persistant de blocages et pour élargir les compétences de l’Union. Pour cela, une révision des traités est incontournable.


Le premier objectif est bien connu : il s’agit de libérer le processus décisionnel en limitant le recours à des « procédures spéciales » qui exigent un vote unanime du Conseil et excluent la participation du Parlement. La procédure de co-décision majoritaire doit être généralisée et l’exigence d’unanimité réduite aux seules décisions de nature « constitutionnelle » telles que l’adhésion de nouveaux Etats membres ou la modification des traités eux mêmes. Une des façons simples de procéder serait de faciliter le recours au mécanismes des « passerelles » en le conditionnant non plus à un vote unanime mais à un vote majoritaire, éventuellement renforcé.


De même, c’est par voie de révision des traités que les compétences de l’UE peuvent être complétées. Les objectifs et les moyens de certaines politiques communes - telles qu’encadrées par les traités actuels - ont été définis pour l’essentiel lors de la création de la CEE et peu modifiées depuis lors. Ne correspondant plus - ou insuffisamment - à des situations nouvelles, la base juridique de ces politiques doit être élargie par des modifications des articles correspondants des traités. En dehors des domaines évoqués ci-dessus (climat, santé, migrations), on pourrait aussi citer les cas de nouvelles politiques telles que le numérique et le spatial. De même, devront être renforcées les bases juridiques d’une protection plus efficace des valeurs de l’Union ainsi que des fonds européens. Enfin, une mise à jour des dispositions des traités relatives à la politique extérieure et de défense (au delà de la simple abrogation de la règle d’unanimité) peut s’avérer nécessaire : la base constitutionnelle de ces dispositions apparait aujourd’hui trop étroite et limitée. Elle ne donne pas à l’Union les compétences et moyens d’action à la hauteur du nouveau contexte géo-politique.


2. Différencier les niveaux d’intégration au sein de ce socle,

c'est à dire permettre une relative modulation, dans le temps et dans l’espace, de la participation des Etats membres au développement de certaines actions de l’Union. De facto, cette modulation est déjà utilisée lorsque l’exigent de trop grandes différences dans les situations diverses des Etats dans un domaine particulier. Des exemptions, des délais et des modalités spécifiques de mise en oeuvre de diverses politiques sont souvent accordées. Mais - in fine - l’uniformité du cadre et de la règle demeure l’objectif. Cette pratique gagnerait peut-être à être plus systématiquement et plus uniformément utilisée.


Dans le cas où de nouvelles actions de l’UE s’avèrent nécessaires mais où certains Etats ne souhaitent pas s’y engager, les traités prévoient une procédure dite de « coopération renforcée ». Dans une Union de plus en plus élargie et diversifiée, l’usage de cette procédure - jusqu’ici trop peu utilisée - devrait être facilité. Ceci implique notamment qu’en soient assouplies - par voie de révision des articles concernés des traités - les conditions trop restrictives de déclenchement et de fonctionnement. Par exemple leur champ d’application (au delà des seules « compétences exclusives » de l’UE) - le monopole d’initiative de la Commission - la démonstration de l’impossibilité de toute autre procédure - l’exigence d’unanimité lorsque la coopération renforcée concerne le domaine de la politique étrangère et de défense, …


Il existe enfin, à la marge du socle commun, une troisième voie de différenciation - il est vrai plus contestée : celle des « accords intergouvernementaux » conclus entre certains Etats membres ou même par l’ensemble de ceux-ci.

Ces accords sont de diverses natures mais concernent en général des domaines pour lesquels la compétence de l’Union n’est pas - ou pas encore - établie précisément. On peut citer pour exemple les cas de la libre circulation des personnes organisée par l’accord de Schengen (ultérieurement « communautarisé »), des dispositifs visant à assurer la stabilité financière (Mécanisme et Fonds), de la politique migratoire (partiellement communautarisée), de la dite « méthode ouverte de coordination » en matière d’emploi et de questions sociales, etc … Ces accords sont conclus entre les Etats membres à la lisière du cadre institutionnel de l’UE. Mais leurs objectifs se situent dans la ligne de ceux de l’UE elle-même et la Commission - ou la BCE - sont associées à leur mise en oeuvre. Ils sont destinés à intégrer pleinement le socle commun lorsqu’il parviennent à maturité.



3. Faire de ce cercle le centre d’une « Communauté Politique Européenne » plus large.

C’est le jour anniversaire du 9 Mai 2022 et dans le cadre de Versailles que le Président Macron a lancé - devant le Conseil européen - l’initiative novatrice de création d’une « Communauté Politique Européenne »(3). Reprise par M. Michel, Président du Conseil européen, dans un discours le 18 Mai (4), elle a fait l’objet d’un premier débat au sein du Conseil européen le 24 Juin qui a décidé de l’examiner à l’automne (5).


L’idée de base est de constituer une sorte de forum, de plateforme, de « situation room » à l’échelle d’un continent européen dont la réalité géographique, historique, culturelle, économique, … afin de traduire sur le plan politique sa réalité géographique, historique, culturelle, économique. Cette communauté engloberait l’UE (qui en constituerait le coeur), les Etats candidats candidats à l’adhésion ou « à vocation » d’y entrer ainsi que des Etats tiers tels que les membres de l’AELE (dont la Suisse et la Norvège), la Turquie et même le Royaume Uni. Pilotée par les chefs d’Etat des pays membres, dépourvue d’appareil institutionnel mais disposant de l’assistance technique de la Commission, la Conférence aurait principalement pour but de promouvoir la coopération politico-diplomatique à l’échelle continentale, coopération basée sur un attachement commun à un ordre démocratique et libéral (au sens politique du terme). Mais elle pourrait aussi favoriser des initiatives communes dans différents domaines tels que la santé, l’énergie, les transports, les investissements, les échanges de personnes (notamment des jeunes)…



… dans la perspective des élections européennes de 2024.

Renforcer l’UE, assouplir son fonctionnement et l’insérer dans un cadre plus large : on voit comment s’emboitent - au moins logiquement - ces trois objectifs. On voit la pression croissante qui s’exerce sur l’Union du fait des crises de diverses natures évoquées ci-dessus. On voit la nécessité et l’urgence d’y apporter des solutions s’inscrivant dans une réforme d’ensemble.


Dès l’automne 2022, des propositions précises devraient se trouver sur la table du Conseil européen. Le Parlement européen devrait à cette date finaliser son projet officiel portant sur la révision des traités ainsi que sur les réformes applicables à traité constant. La Commission devrait, sous une forme à déterminer, se joindre à cette initiative. Si bien qu'à la fin de l’année 2022, le Conseil européen pourrait décider de lancer les procédures correspondantes dont celle, centrale, de l’ouverture d’une Convention de révision des traités. Idéalement, il devrait aussi se prononcer sur la création de la « Communauté politique européenne » sur la base de propositions françaises plus détaillées - formulées avec l’aide de la Commission - et de la position du Parlement. Ainsi, un projet de réforme globale pourrait être en place en temps utile pour le grand débat politique des élections européennes de 2024.


Ce scénario peut sembler exagérément optimiste. Déjà deux groupes d’Etats membres ont pris des positions opposées sur la réforme institutionnelle. L’idée de « Communauté Politique Européenne » a été, dans un premier temps, mal accueillie par les Etats candidats, sera sans doute brutalement attaquée par la Russie poutinienne et risque d’être mal interprétée par les Etats-Unis. Mais il reste que la pression croissante, conjuguée et cumulative des crises évoquées ci-dessus excluent tout report et tout atermoiement. Des solutions palliatives et partielles laisseraient l’Union dans un dangereux état de fragilité, d'impuissance et de vulnérabilité.


Tout parallèle historique a ses limites. Mais, au moins sur le plan de sa sécurité, la situation actuelle de l’Europe évoque celle du début des années 1950. C’est - déjà - pour faire face aux pressions de Staline en Europe de l’Est que furent lancées les deux premières « Communautés » de la CECA et de la CED. Si la première a servi de base à la création de l’Union actuelle, l’échec de la seconde pèse encore aujourd’hui sur la sécurité européenne à nouveau menacée par un dirigeant autoritaire russe dans son voisinage immédiat. Les mêmes erreurs ne doivent pas être répétées.



Jean-Guy Giraud. 28 - 07 - 2022


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(1) selon l’article 17§7 TUE, le Président de la Commission est nommé par le Conseil européen « en tenant compte des élections au Parlement européen » avant d’être « élu » par le Parlement - les membres de la Commission sont nommés par le Conseil européen « de commun accord » avec son Président élu - l’ensemble du collège est nommé par le Conseil européen après « approbation » du Parlement (lequel procède à une audition préalable de chacun des membres).

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