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UE 36 : CE SERA « UNE AUTRE EUROPE »



Une des conséquences collatérales (« unintended consequences ») du conflit ukrainien - quelle que soit son issue - sera certainement une accélération et une extension des perspectives d’élargissement de l’Union.


La guerre a en effet provoqué dans l’Est de l’Europe un sentiment d’insécurité qui a poussé l’Union à officialiser de façon anticipée la candidature de trois nouveaux Etats de l’orbite russe : Ukraine, Moldavie et Géorgie (1).


Pour la même raison, elle va aussi conduire l’UE à bousculer les calendriers de (pré)négociations d’adhésion avec les 6 Etats des balkans : Serbie, Bosnie, Kosovo, Montenegro, Macédoine, Albanie (2).


Au total c’est donc une Union européenne de 27 + 9 = 36 Etats membres et de 600 millions de citoyens qui se dessine à un horizon relativement proche de l’ordre d'une dizaine d’années (3)(4).


La composition de cette Grande Europe sera donc notamment marquée par la place importante qu’y occuperont les Etats post-communistes du centre, de l’est et du sud-est du continent.


Au nombre de 19, ces Etats représenteront en effet :

  • 52% du total des Etats membres

  • 25% de la population totale de l’UE 36 (soit 150 millions sur 600 millions).


De même, l’UE 36 sera - encore plus qu’au sein de l’UE 27 - caractérisée par de forts écarts de taille de population avec notamment :


  • 5 « grands » Etats regroupant près de 300 millions de personnes, soit 50% de la population (5)

  • 9 « petits » Etats de moins de 2 millions d’habitants chacun.


Aussi, les grandes disparités économiques qui caractérisent déjà l’UE 27 se trouveront amplifiées dans l’UE 36 suite à l’adhésion de pays encore peu développés. A titre d’exemple, on peut relever les écarts actuels de PNB entre :


  • Allemagne (4.300 milliards/dollars) - France (3.000 milliards)

  • Ukraine (126 milliards) - Serbie (65 milliards).


A titre indicatif, d’autres profondes transformations peuvent être anticipées au sein d’une UE 36 :


  • une plus grande disparité politique, sociale, culturelle, religieuse, …,

  • une complexification de la gouvernance : multiplication des risques d'instabilités gouvernementales, alourdissement des Institutions (nombre de membres, processus décisionnel, besoins budgétaires, régime linguistique, etc …) et des modalités de gestion et de contrôle,

  • des risques accrus en matière de respect des règles/valeurs démocratiques par les Etats et de conflictualité inter-étatique,

  • une plus grande difficulté pour parvenir à des accords sur l’évolution des politiques communes (agriculture, énergie, monnaie, migrations, etc …) notamment sur la politique étrangère et de sécurité,

  • une incertitude sur la cohésion et la solidarité effectives entre les Etats - voire sur leurs conceptions mêmes de la nature de la construction européenne.


Au total, la « diversité » - déjà ressentie au sein de l’UE 27 - risque fort de se muer en une franche hétérogénéité autrement plus difficile à gérer, du moins si l’on entend maintenir l'objectif parallèle d’ « unité ».


Si bien que l’on peut s’interroger sur la possibilité de conserver dans une UE 36 le modèle originel d’intégration - ré-affirmé au fil des précédents élargissements et des révisions successives des Traités.


Il est certes toujours possible d’imaginer de savants mécanismes d’ « intégration différenciée » ou graduelle - voire de « cercles concentriques » ou de « noyaux » plus ou moins fédéralisés (comme celui de l’Euro).


Mais ces tentatives - sur lesquelles il sera difficile d’accorder l’ensemble des 37 gouvernements - paraissent fort aléatoires.


Il serait donc légitime de réfléchir d’ores et déjà sur la nature même de cette grande Europe: doit-on envisager un modèle recentré sur un grand marché élargi, normé et coopératif - analogue à celui de l’AELE ou de l'OCDE ?


Peut-on concevoir un modèle intergouvernemental inspiré du projet de « Communauté Politique Européenne « lancé par Emmanuel Macron (6) ?


Pourra-t-on au contraire maintenir - voire faire progresser - les acquis de 70 années d’intégration économique et politique? Et si oui, par quels moyens ?


En toute hypothèse, l’UE 36 sera inévitablement et sous bien des aspects « une autre Europe» (7).


Est-il prématuré de se préoccuper d’ores et déjà de cette mutation annoncée ?


Si l’on en juge par les difficultés et la lourdeur des processus de réforme - et plus encore de « refondation » - qui caractérisent l’Union, il ne sera jamais trop tôt pour en débattre.


Au début des années 2000, l’erreur a été commise de ne pas faire précéder le premier grand élargissement d'un renforcement préalable et conditionnel - si bien que sont rapidement apparus nombre de difficultés ou de blocages encore non résolus.


Ceci devrait servir de leçon pour le deuxième grand élargissement qui se profile - même si l’exercice d’adaptation de l'Union à ce nouvel ensemble continental risque de s’avérer politiquement et techniquement encore plus complexe que le précédent.



Jean-Guy Giraud

06/01/2023


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(1) Dans le cas de la Géorgie, le Conseil européen a examiné en Juin 2022 sa demande et s'est déclaré « prêt à accorder à la Géorgie le statut de pays candidat à l'adhésion à l'UE une fois que les priorités énoncées dans l'avis de la Commission européenne sur sa demande d'adhésion à l'UE auront été prises en compte. »

(2) Seuls le Kosovo et la Bosnie n’ont pas encore le statut officiel d’Etats candidats

(3) Il est en effet probable que, pour des raisons géo-politiques, les processus de négociations d’adhésion seront aménagés afin de simplifier et accélérer leur aboutissement qui pourrait ainsi s’échelonner d’ici 2030/2035.

(4) Seuls la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein (par ailleurs rattachés à l’UE via l’AELE/EFTA) restent pour l’instant à l’écart du processus d’élargissement - ainsi que la Turquie dont la candidature (ancienne) apparait durablement gelée.

(5) Allemagne (83), France (68), Italie (60), Espagne (47), Ukraine (44)


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