Mandatée par le Conseil européen du 23 avril 2020,la Commission devrait présenterle 6 mai prochain une proposition de plan de sortie de crise (“Recovery Plan”) destiné à lutter contre les conséquences économiques de la pandémie du Covid 19.
Les grands traits du “Recovery Plan"
Plusieurs éléments de ce plan semblent acquis :
il viendra s’ajouter aux nombreuses mesures très diversifiées déjà prises - ou envisagées - tant par les Etats individuellement que par l’UE elle même (BCE/BEI/CE/EUROGROUPE)
il devrait être d’une ampleur et d’une nature sans précédents dans l’histoire de l’UE : de l’ordre de 1.000 milliards d’euros sur 5 à 7 ans - soit l’équivalent du montant du projet de Cadre Financier Pluri-annuel 2021/2027,
il sera lié, d’une manière ou d’une autre, au CFP lui-même dont le volume devra sans doute être revu à la hausse,
il pourrait comprendre un “mix” de subventions et de prêts à destination des opérateurs économiques - soit directement soit par l’intermédiaire des États,
la partie “prêts” devrait être financée par des emprunts émis sur le marché international des capitaux au nom de l’UE et bénéficiant de sa garantie,
la Commission serait chargée de l’exécution de l’ensemble du Plan - avec, le cas échéant, le concours de la BEI et en liaison avec les organismes financiers publics des États, spécialisés dans ce type d’opérations (par exemple la BPI en France).
Il faut cependant bien comprendre que ce Plan - du fait des circonstances exceptionnelles qui motivent sa création et son déclenchement - dépasse largement le cadre et les règles législatifs (voire constitutionnels) actuels de l’UE. Ses dirigeants devront donc imaginer des mécanismes nouveaux pouvant nécessiter des modifications ou des adaptations de ce cadre.
Le volet emprunt/prêts du Plan et sa “budgétisation"
C’est notamment le cas pour le volet emprunt/prêts du plan qui représentera sans doute l’essentiel du volume financier global envisagé de 1.000 milliards. Un "special purpose vehicle” - cad un système ad hoc - devra être créé concernant notamment le remboursement (probablement échelonné sur longue période), le paiement des intérêts et la garantie du (ou des) emprunts souscrits au nom de l’UE.
À cet égard, il faudra préciser les modalités selon lesquelles ce volet pourrait être intégré dans - ou relié au - budget pluriannuel de l’UE.
En fait, depuis son origine même (cf. emprunts CECA), le budget de l’UE sert déjà de support à un grand nombre d’opérations d’emprunt/prêts de natures variables (notamment pour le Plan Juncker/Invest EU). On retrouve d’ailleurs la trace - et la base juridique - de ces opérations dans le budget lui-même (1) où il est spécifié que certains emprunts bénéficient de la garantie constituée par le budget de l’Union (2).
Il reste que les montants envisagés par le Plan sont incomparablement supérieurs à ceux visés plus haut et que l’enjeu dépasse évidemment le choix du cadre technique approprié.
La question de la garantie
En pratique, le principal problème technique soulevé par la budgétisation du volet emprunt/prêts serait celui de la garantie. Vu le volume exceptionnel du risque virtuel qui pèserait ainsi sur le budget de l’UE, le plafond actuel de ses ressources (1,2% du RNB de l’UE) serait insuffisant à couvrir le risque de défaut. Toutefois, s’agissant d’emprunteurs “souverains”, publics, solidaires et de haute qualité, ce risque semblerait très théorique. D'autant plus que la capacité fiscale de l’UE peut, au moins juridiquement, être accrue en tant que de besoin par un relèvement dudit plafonds. Et que la qualité de la gestion des prêts, confiée à la BEI, est susceptible de rassurer les investisseurs.
Un handicap technique surmontable
Mais l’ensemble de l’opération du "Recovery Plan” met en relief deux handicaps majeurs de l’Union - l’un technique, l’autre politique.
Le premier est bien connu et souvent souligné : c’est celui de l’inachèvement de ce qu'il est convenu d’appeler l’union budgétaire et bancaire européenne (“Fiscal and Banking Union”). Face à une union monétaire fédéralisée, la souveraineté et donc les outils réglementaires dans ces deux domaines restent encore largement aux mains des États. Et ceci a une double conséquence : d’une part de limiter la confiance des investisseurs internationaux et d’autre part de faire porter à la BCE une part exagérée - et potentiellement déstabilisatrice - du soutien financier à l’économie. Cet handicap - soutenable en temps normal - devient problématique en cas de crise majeure. Mais, au demeurant, il ne tient qu’aux États membres d’y remédier : toutes les propositions sont sur la table du Conseil depuis plusieurs années.
Un handicap politique plus lourd
Le second handicap est d’ordre politique et découle des divisions entre les gouvernements en place au sein de l’UE 27 - et même de l’Eurogroupe. Une telle crise économique ne peut être surmontée que si ces gouvernements font preuve d’un très haut niveau d’unité et de solidarité européennes. Et on sait que tel n’est pas (encore) le cas : les positions nationales restent encore très éloignées et, plus gravement, ces désaccords sont systématiquement et bruyamment rendus publics. Ils trouvent principalement leur origine dans l’instabilité et la précarité de majorités ou coalitions au pouvoir. Leurs leaders sont ainsi amenés à privilégier leurs intérêts électoraux immédiats et/ou à ménager l’euroscepticisme/souverainisme d’une partie de leur opinion, aggravée par la lenteur et l’insuffisance de la réaction européenne à la crise. Ironiquement, ce sont parfois les Etats les plus dépendants du soutien européen qui se trouvent dans ce cas.
Le risque d’une dérive inter-gouvernementale
Les difficultés politiques, juridiques et techniques d’une véritable communautarisation du Recovery Plan - telle que proposée par la Commission, soutenue par le Parlement et exigée par l’Allemagne - pourraient conduire certains États à envisager plutôt un mécanisme financier intergouvernemental, comme ce fut déjà le cas à plusieurs reprises. Ce serait faire peu de cas de la plasticité et de l’adaptabilté du système communautaire, démontrée à de multiples reprises. Mais ce serait surtout une erreur politique. Outre la complexité d’une option intergouvernementale, celle-ci reviendrait à retarder et fragiliser l’ensemble de l’opération tant au sein de l’Union que vis à vis de l'extérieur. Cela reviendrait à figer dans un nouveau traité international les positions et oppositions des États. Alors qu’un accord pleinement inséré dans le cadre communautaire - et “bordé” par ses Institutions - confèrerait au Plan une valeur ajoutée adaptée à la gravité de la crise. On a souvent constaté que c’est effectivement à l’occasion de crises graves que l’UE parvient à conforter et faire progresser le système européen, seul garant efficace - finalement - des intérêts économiques et sociaux de ses citoyens, notamment lors de circonstances exceptionnelles. Il faudrait vraiment de solides arguments factuels pour s’engager dans une telle dérive (3) Jean-Guy Giraud O2 - 05 - 2020 __________________________ (1) OPERATIONS D’EMPRUNTS ET DE PRETS — EMPRUNTS ET PRETS GARANTIS PAR LE BUDGET DE L’UNION (A TITRE INDICATIF) (JO L 57 du 27/02/2020 p. 1833) "Cette annexe fournit des informations sur les montants des opérations d’emprunts et de prêts garanties par le budget de l’Union: prêts de soutien à la balance des paiements, assistance en vertu du mécanisme européen de stabilisation financière, opérations d’emprunt visant à fournir une assistance macrofinancière aux pays tiers, emprunts Euratom destinés au financement de l’ameélioration du degré d’efficacité et de sûreté du parc nucléaire de certains pays tiers et prêts de la Banque européenne d’investissement à certains pays tiers. Au 31 décembre 2018, l’encours des opérations couvertes par le budget de l’Union s’élevait à 82 468 080 471 EUR, dont 50 437 225 468 EUR à l’intérieur de l’Union et 32 030 855 003 EUR à l’extérieur (intérêts courus inclus, chiffres arrondis et taux de conversion applicables au 31 décembre 2018). (2) On peut d’ailleurs envisager que, à l’occasion de ce Plan, cette “annexe indicative” soit remplacée par une nouvelle et véritable section du budget consacrée aux “Opérations d’emprunt/prêts de l’Union” et votée/autorisée en même temps que l’ensemble du budget. Cela apporterait plus de clarté, de sécurité juridique et de légitimité à un moyen de financement plus souple et mieux adapté à certaines interventions financières de l’UE. (3) voir aussi https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/vers-un-recovery-plan-communautaire et https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/crise-économique-et-méthode-communautaire
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