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RÉVISION DES TRAITÉS, ÉLARGISSEMENT, COMMUNAUTÉ POLITIQUE EUROPÉENNE : LE DÉBAT EST LANCÉ !



Le discours du Président Macron du 9 Mai 2022 à Strasbourg a eu le grand mérite de dégager les (ses) grandes lignes géo-politiques du « futur de l’Union » . Il est le seul dirigeant des Etats membres ou des Institutions à avoir tenté un tel exercice et les orientations et propositions qu’il a faites vont donc servir de repères au débat ouvert par la Conférence, notamment au sein du Parlement et du Conseil européen.


Les souhaits exprimés par les citoyens ont principalement porté sur les diverses politiques conduites par l’UE ainsi que sur certaines améliorations de sa gouvernance (par exemple sur les règles de vote du Conseil et sur le rôle du Parlement européen). La Conférence n’a pas abordé directement la question de l’élargissement de l’UE ni de ses relations avec les autres pays européens.


Sur la base donc des grandes lignes ainsi exposées, on voit se dessiner un triple horizon pour les dix prochaines années : celui de l’UE 27 actuelle - celui de l’UE 30 ou 33 après l’adhésion de 3 ou 6 des Etats candidats des Balkans - celui de la "conférence / confédération" européenne regroupant d’autres Etats tiers autour de l’UE.

  1. Sur le plan de l’UE proprement dite, il s’agit à la fois de renforcer et développer l’acquis tout en facilitant une approche différenciée dans certains domaines. Les conclusions de la Conférence fournissent toutes les orientations et priorités souhaitables relatives à l’évolution des politiques communes (environnement, énergie, infrastructures, affaires sociales et même sécurité et défense). Et elles indiquent aussi les réformes de gouvernance qui permettront cette évolution, au premier chef desquelles la stricte limitation du recours au vote à l’unanimité. De même, elles soutiennent les initiatives visant à renforcer la démocratisation du processus décisionnel (listes électorales à l’échelle de l’UE, rôle accru de celui-ci en matière d’initiative législative et de choix du Président de la Commission). Toujours sur le registre de l’efficacité, le Président Macron souhaite que, lorsque ceci est nécessaire et possible, des approches différenciées (cad ne regroupant que les Etats membres concernés et volontaires) soient plus largement utilisées dans le respect des règles des traités. En somme rien de vraiment nouveau sauf sur deux points : ces réformes sont à présent fortement soutenues par la France - et, surtout, un rendez-vous formel est proposé pour la convocation d’une Convention chargée de préparer une révision des traités qui traitera des ces réformes. Le Parlement, la Commission et une majorité d’Etats membres (parmi les plus anciens et les plus « grands ») se sont également engagés dans cette voie et sur ce rendez-vous.

  2. Sur la question de l’élargissement en cours, la perspective d’adhésion des 6 pays des Balkans est confirmée. Toutefois, deux conditions sont posées ou maintenues. La première est que le renforcement de l’UE 27 évoqué ci-dessus soit préalablement décidé et mis en oeuvre. La deuxième est que les critères relatifs à toute adhésion soient effectivement remplis - y compris celui de la capacité de l’UE à s’élargir sans freiner sa marche vers une intégration plus poussée. Au vu de la situation actuelle, il apparaît que plusieurs Etats candidats ne semblent pas en mesure de respecter ces critères dans un avenir prévisible ni même véritablement engagés à poursuivre sur la voie de l’adhésion. Ceci conduira probablement à des calendriers d’élargissement différenciés et non plus, comme anticipé au départ, en un seul bloc comme en 2004/2006.

  3. Le troisième volet des propositions du Président Macron concerne l’"environnement" européen de l’Union cad ses relations avec les pays limitrophes qui ne font pas partie du premier cercle. Parmi ceux-ci figurent en premier lieu les 6 Etats du « partenariat oriental » et notamment de trois d’entre eux qui ont déjà présenté leur candidature à l’adhésion (Ukraine, Moldavie, Géorgie). Mais, plus largement, cet environnement pourrait s’étendre à des pays européens qui n’ont pas (ou plus) vocation à faire partie de l’Union proprement dite tels que la Norvège, la Suisse, la Turquie ou même le Royaume Uni. Tous Etats qui ont déjà des accords séparés et bilatéraux d’association avec l’UE couvrant nombre de domaines : échanges commerciaux, libre circulation des personnes, coopérations économiques et commerciales, etc …On voit donc que ce deuxième cercle permettrait en fait d’englober l’ensemble du continent européen, à l’exception de la Russie.

L’aspect novateur de cette proposition serait d’agréger, structurer et formaliser les relations entre l’Union et ces Etats au sein d’une « Communauté politique européenne (CPE) » qui pourrait englober des structures existantes (telles que l’Espace Economique Européen) et reprendre des tentatives anciennes (telles que la « Confédération européenne » proposée en par le Président Mitterrand au moment de l’éclatement de l’URSS). Quelles seraient les structures et les compétences de la CPE ? On imagine que son centre de gravité serait l’Union elle-même et qu’elle pourrait ressembler à un forum européen de type G7/G20 - mais aux compétences principalement politiques, traitant de coordination diplomatique et sécuritaire ainsi que d’autres questions stratégiques comme l’énergie ou les infrastructures communes (1). Elle fonctionnerait plutôt sur le mode intergouvernemental et sans administration dédiée, contrairement à l'OTAN ou au Conseil de l’Europe par exemple. On le voit, les propos mêmes du Président Macron sur la CPE ouvrent un champ très large à l’imagination politique et institutionnelle (2) ...


Globalement, le discours de Strasbourg traduit d’abord une volonté de préserver un centre névralgique européen basé sur le modèle communautaire de l’UE 27. Modèle qui doit être renforcé par une réforme institutionnelle, elle même assouplie par un recours plus fréquent à des approches différenciées en fonction des besoins et des circonstances. Une réforme qui permettra aussi de poursuivre - avec détermination mais aussi avec prudence - l’ouverture progressive de l’UE à de nouveaux Etats démocratiques de son voisinage. Dans l’intervalle, une sphère plus large de solidarité engloberait l’ensemble de l’Europe démocratique afin de préserver la spécificité et la sécurité de son mode de civilisation.


Cette conception à la fois visionnaire et cartésienne du futur de l’Europe sera diversement appréciée par certains partenaires de la France. De façon assez inhabituelle et peu diplomatique, un groupe de 13 Etats membres ont publié le jour même du discours un communiqué fort critique (3) ce qui a entraîné une réplique plus positive d’un autre groupe … On peut effectivement présager un certain nombre d’objections (éventuellement contradictoires) portant par exemple sur : une perspective d'évolution jugée trop «fédéraliste» du noyau de l’Union - une approche estimée trop réticente vis à vis de nouveaux élargissement, notamment à l’Ukraine - un risque de découplage entre l’Europe et les Etats-Unis mais aussi de rupture durable avec la puissance russe, etc ...


Au total, tant les propositions concrètes et pragmatiques des citoyens lors de la Conférence sur le futur de l’Union que le cadre plus général et plus ambitieux présenté par le Président Macron ont le mérite à la fois d’identifier les problèmes et de suggérer des solutions. Une chose est sûre : le débat s’engagera officiellement dès le mois de Juin 2022 lorsque le Parlement ouvrira la procédure de révision des traités et lorsque le Conseil européen devra réagir à cette initiative. D’ici là, le Président Macron a déclaré son intention de « prendre son bâton de pèlerin » pour tenter de convaincre ses principaux homologues.




Jean-Guy Giraud 18 - 05 - 2022

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(1) Extraits du discours du 9 Mai 2022 :


« En 1989, le président François MITTERRAND ouvrit cette réflexion alors que l'Union soviétique se délitait en proposant la création d'une confédération européenne. Sa proposition n'eut pas de postérité. Elle était sans doute trop précoce. Elle associait la Russie à cette confédération, ce qui bien entendu fût très rapidement inacceptable pour les Etats qui venaient de se libérer du joug de l'Union soviétique. Mais elle posait une bonne question et cette question demeure : comment organiser l’Europe d’un point de vue politique et plus large que l’Union européenne ? C’est notre obligation historique que d’y répondre aujourd’hui et de créer ce que je qualifierai aujourd’hui devant vous « une communauté politique européenne ».

Cette organisation européenne nouvelle permettrait aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d'investissements, d'infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses. La rejoindre ne préjugerait pas d'adhésions futures à l'Union européenne, forcément, comme elle ne serait pas non plus fermée à ceux qui ont quitté cette dernière.

Rassembler notre Europe dans la vérité de sa géographie, sur l'assise de ses valeurs démocratiques, avec la volonté de préserver l'unité de notre continent et en conservant la force et l'ambition de notre intégration. »


(2) voir par exemple l’étude d’Andrew Duff (rédigée avant le discours du 9 Mai 2022) qui prévoit notamment la création d’un « Conseil de Sécurité européen » : https://www.epc.eu/content/PDF/2021/Dealing_with_neighbours_DP.pdf

ainsi que celle plus récente publiée dans « The Conversation » : https://theconversation.com/quelle-communaute-politique-europeenne-pour-lavenir-183049

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