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LE PLAN DE RELANCE DE L’UE : UN SAUT FÉDÉRAL TRÈS RELATIF



“DEAL !!” : l’exclamation du Président du Conseil européen - au petit matin du cinquième jour de négociations in camera - reflète bien la nature et l’atmosphère de ces tractations. 

Ceci dit, le compromis final (1) a été à juste titre accueilli avec un grand soulagement par les medias et, probablement, par une large majorité de l’opinion en Europe. 


La complexité et l’ampleur exceptionnelles du Paquet Budget/Plan de relance ainsi adopté nécessitera toutefois un examen plus approfondi de tous les “diables qui se cachent dans les détails”. Et il restera à voir si le Parlement se satisfera ou non d’un budget nettement réduit et de "clauses horizontales” de conditionnalité peu contraignantes. 


Mais nous voudrions ici aborder un autre sujet peu évoqué : celui du rôle respectif joué par les trois Institutions lors de cet épisode en regard des compétences que leur assignent le Traité. 


Si certains aspects du Plan (tels que la mutualisation d’une capacité européenne d’emprunt) peuvent constituer une forme de "saut fédéral” - il n’est pas certain qu’il en soit de même sur le plan institutionnel Une altération continue de l’équilibre inter-institutionnel  Une première analyse superficielle laisse en effet apparaitre une nouvelle altération de l’équilibre inter-institutionnel communautaire sur lequel est fondée l’Union. Altération qui - comme on le voit ci-dessous - revient à renforcer la pré-éminence du Conseil européen dans le processus décisionnel au détriment de la Commission et, plus gravement encore, du Parlement européen.  Ce phénomène est pré-occupant pour plusieurs raisons:

  • il constitue - de la part de la plus haute autorité de l’UE - une interprétation et une application abusives des règles constitutionnelles fixées par le traité,

  • le Conseil européen limite très étroitement (voire usurpe) les compétences et le rôle d’initiative et de gardien de l’intérêt général de la Commission d’une part - ainsi que les fonctions de co-décision, d’assentiment et de contrôle démocratique  du Parlement d’autre part, 

  • de par sa composition même, le Conseil européen est - de facto - centré prioritairement sur la protection des intérêts nationaux de chacun des 27 Etats membres et accessoirement de leur conciliation - tout en se trouvant, au surplus, étroitement contraint par la règle de l’unanimité. (2)

Au vu des résultats obtenus le 20 Juillet 2020 - et de l’urgence et de la gravité des problèmes à régler - cette optique institutionnelle peut sembler marginale voire incongrue. Toutefois, pour ceux qui estiment que l’équilibre des pouvoirs entre les différentes Institutions revêt une grande importance au vu du nécessaire dépassement du stade confédéral de l’Union, ce type de considérations ne devrait pas être négligé. Pour illustrer ce propos, on peut tenter de retracer brièvement et schématiquement le rôle que jouent effectivement les trois Institutions (Conseil européen, Commission, Parlement) dans la négociation du Paquet Budget/Plan, dans son adoption finale et dans sa mise en oeuvre.   

Le Conseil européen

  • le Plan de relance (élément le plus novateur du paquet) a été officiellement présenté comme une initiative de deux gouvernements (France/Allemagne) alors que cette responsabilité incombe à la Commission, 

  • le Plan et le Budget ont été adoptés - jusque dans leurs moindres détails - par le Conseil européen alors que le Traité lui interdit expressément toute "fonction législative” (art. 15 TUE),

  • leur exécution pourrait être ultérieurement soumise au contrôle ultime du Conseil européen tant pour avaliser les plans nationaux de relance que pour les conditionner au respect de l’état de droit,

  • la règle de l’unanimité des 27 et les menaces explicites de vetos nationaux sont apparues comme le point cardinal  de son fonctionnement - avec tous les lenteurs, blocages et compromis qu’il induit inévitablement,

  • cette pré-éminence du Conseil européen - aggravée par la personnalisation des positions et affrontements - a été largement médiatisée de sorte que l’opinion est de plus en plus convaincue que l’Union est en fait dirigée par ce cénacle dont chacun des membres a pu revendiquer sa “victoire" sur les autres,

  • à cette atomisation du Conseil en 27 volontés individuelles s’est greffé le phénomène de plus en plus prégnant de création de groupes/blocs d’Etats coalisés et rivaux (SUD/NORD/OUEST/EST) dont la confrontation a aussi pu être clairement perçue par l’opinion,  

  • au total, la thèse selon laquelle l’”Europe politique” ne pourra se construire - et notamment faire face aux crises - que par l’intermédiaire des Etats réunis au sein du Conseil européen a été confortée par l’épisode du 17/20 Juillet 2020. 


La Commission

  • l’”invention” du Paquet (bien qu'émanant techniquement des services de la Commission), a été présentée comme l’oeuvre initiale de deux gouvernements et les modifications successives du Paquet comme le fait du seul Président du Conseil européen (toujours avec l’appui de ces mêmes services...), 

  • la Commission a ainsi semblé se cantonner toujours plus dans un rôle de secrétariat du Conseil, très éloigné de celui que lui confie le Traité,

  • sur le plan personnel, la Présidente de la Commission ne semble pas avoir activement fait valoir le point de vue de son Institution durant les débats ; aux yeux de l’opinion, en tout cas, elle est apparue absente d’un cénacle dont elle fait pourtant officiellement partie, notamment en vue de promouvoir l’intérêt général de l’Union,

  • sous certains aspects, le rôle majeur de la Commission dans "l’exécution du budget et de la gestion des programmes” (art. 17§1 TUE) a été placé sous l’étroit contrôle du Conseil (européen) qui s’est réservé le droit d’intervenir à plusieurs étapes de la gestion budgétaire - contrairement aux dispositions expresses du traité (art. 317 TFUE),

  • si la grande innovation du lancement et de la gestion de l’emprunt européen a été logiquement placée sous sa responsabilité, il est probable que les Etats et le Conseil (européen) voudront surveiller attentivement sa mise en oeuvre du fait de l’ampleur sans précédent des montants impliqués et de l'intérêt qu’ils susciteront dans les milieux financiers nationaux (et internationaux),

  • au total, c’est le concept institutionnel communautaire de l’indépendance de la Commission qui semble avoir été une fois de plus mis à mal (3). 


Le Parlement européen

  • les propositions précises et détaillées présentées de sa propre initiative par le Parlement ont été largement ignorées par le Conseil européen - notamment celles relatives à la conditionnalité des subventions et prêts,

  • le travail considérable effectué par les organes du Parlement sur le Paquet et ses tentatives pressantes pour influencer les débats du Conseil européen sont restées sans effet notable

  • il est remarquable que l’institution parlementaire ne soit quasiment pas mentionnée dans les conclusions du Conseil,

  • le Conseil (ou du moins certains de ses membres) semble s’être montré plus soucieux des réactions éventuelles des parlements nationauxque de celles du Parlement européen,

  • les avertissements répétés du Président du Parlement sur un possible refus du PE d’approuver le Paquet ou du moins sa partie budgétaire n’ont joué aucun rôle dans les décisions finales du Conseil,

  • de fait, tant la précarité d’un accord si laborieusement obtenu que la gravité et l’urgence des enjeux de l’enjeu ont mis une fois de plus le Parlement devant le fait accompli et en porte-à-faux vis à vis de l’opinion,

  • la seule capacité d’influence restant au Parlement se limite à de possibles amendements sur certaines lignes budgétaires (sans modification du volume global) et sur les propositions de textes législatifs liées au Paquet,

  • au total, la marginalisation du Parlement constitue une atteinte - sans doute la plus grave au fond - au volet démocratique de l’équilibre institutionnel voulu par les auteurs du traité.


Une fois encore, il ne s’agit pas de nier ici l’importance et l’urgente nécessité de l’accord obtenu - ni même l’avancée que peut représenter la grande innovation de la mutualisation financière.  Simplement, il a paru utile de souligner à quel point la logique et la méthode inter-gouvernementales (4) ont présidé à l’élaboration de l’accord - relativisant ainsi la qualification de “saut fédéral” parfois utilisée.  De fait, c’est plutôt l’aspect “confédéral” de l’Union - matérialisé par le rôle des représentants des Etats disposant chacun d’une voix et d’un droit de veto - qui a dominé cet épisode.  Incidemment, pour en revenir au “moment hamiltonien” de l’UE, rappelons que le "Bill on Public Credit” américain de Juillet 1790 - autorisant la mutualisation (“assumption”)  des dettes des Etats - fut, sur proposition d’Alexander Hamilton, voté sans modification par une large majorité de la Chambre des Représentants (de l’ensemble des citoyens) mais par une seule voix de majorité par le Sénat (représentant les Etats fédérés). À l’évidence donc, si un seul de ces Etats avait disposé d’un droit de veto, le Bill n’aurait pas adopté (5). Cela se passait … le 21 Juillet 1790 cad il y a exactement 230 ans.

Jean-Guy Giraud   23 - 07 - 2020 _____________________________________________________



(1) voir https://www.consilium.europa.eu//media/45125/210720-euco-final-conclusions-fr.pdf?utm_source=dsms-auto&utm_medium=email&utm_campaign=Conclusions+du+Conseil+européen%2c+17+au+21+juillet%C2%A02020 (2) nous n’insisterons pas ici sur diverses caractéristiques de la composition et du fonctionnement du Conseil européen qui le rendent en pratique non adapté ("unfit for purpose") au rôle qu’il s’est progressivement attribué (Voir : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/le-conseil-europeen-face-au-corona-virus (3) voir à cet égard comment la procédure de la nomination même de la Commission van der Leyen a été susceptible d’altérer son indépendance :  Fondation Robert Schuman - Rapport 2020 "Nomination de la Commission : une interprétation extensive des règles du traité (Jean-Guy Giraud) https://www.robert-schuman.eu/fr/librairie/0250-le-rapport-schuman-sur-l-europe-l-etat-de-l-union-202 (4) logique et méthode qui auraient pu l’emporter de façon encore plus nette si - faute d’accord à 27 - le Plan de relance avait dû être mis en vigueur par certains Etats seulement ( voir : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/vers-un-plan-de-relance-intergouvernemental-de-l-ue (5) https://www2.gwu.edu/~ffcp/exhibit/p13/p13_7.html

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