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LA "BANDE DES QUATRE” S'OPPOSE AU PLAN FRANCO-ALLEMAND



En “réponse” à la proposition franco-allemande relative au futur Recovery Plan (RP) destiné à accompagner la relance de l’économie européenne après la crise du COVID-19, quatre autres États membres (Pays-Bas, Autriche, Danemark et Suède) ont élaboré leur propre proposition.  


Celle-ci porte également à la fois sur le cadre financier pluri-annuel (CFP) et sur le RP


Un budget limité ...

La position des 4 États reste inchangée : le montant global du CFP doit rester limité (cad inférieur à la proposition de la Commission). 


Le financement de mesures budgétaires spécifiques liées à la crise doit provenir d’une redistribution des crédits à volume constant - cad d’une diminution correspondante d'autres chapitres de dépenses. 


… et un Plan très encadré ...

L’ “Emergency Recovery Plan” doit prendre la forme d’un mécanisme de “loans for loans” (“prêts pour prêts") - cad de prêts consentis à certains États membres pour que ceux-ci puissent à leur tour fournir des prêts à des bénéficiaires nationaux ciblés. 


Il n’est pas précisé comment seraient financés les prêts initiaux consentis par les États. Seront-ils basés sur des emprunts ? Ces emprunts seront-ils contractés par l”Union ? Le mécanisme sera-t-il intégré au CFP - cad budgétisé ? 

S”agira-t-il au contraire d’un nouveau mécanisme ad hoc (“Special Purpose Vehicle” - SPV)? Prendra-t-il la forme d’un accord intergouvernemental ?


La proposition insiste sur le fait que ce mécanisme devra “être en ligne avec les principes fondamentaux du budget de l’UE” (dont celui de l’équilibre dépenses/recettes) - ne conduire à “aucune mutualisation de la dette” - se limiter à une durée de 2 ans - constituer une opération unique ("one-off nature”). 


D’autre part, les prêts consentis aux États seront fonction d’engagements pris par ceux-ci en matière de réformes budgétaires internes, de respect de l’ état de droit et de protection contre la fraude.


… soit une vision très différente de celle de la proposition franco-allemande. ...

Tout ceci semble - a priori - incompatible avec la position franco-allemande favorable à une hausse plus élevée que prévu du CFP 21/27 - et surtout centrée sur un grand emprunt contracté par l’UE, intégré au budget commun, financé (intérêt et capital) par celui-ci et d’une durée au moins égale à celle du CFP 21/27. 

En même temps, la vision des 4 États concernés ne laisse aucune place à la réforme institutionnelle/constitutionnelle que laisse entrevoir le Plan franco-allemand en matière de financement durable d’une part des dépenses communautaires par l’emprunt - lequel deviendrait ainsi une sorte de nouvelle ressource propre (non plafonnée).


… et en grande partie motivée par des raisons de politique intérieure.  Ces quatre États - ou plutôt leurs gouvernements en place -  ont en commun une certaine méfiance vis à vis de l’interventionnisme européen. Bénéficiant d'une économie prospère et d’un relatif équilibre budgétaire, ils ne souhaitent guère prendre en charge directement le ré-équlibrage financier d’autres États membres moins favorisés ou moins disciplinés. Ils sont d’autre part assez sceptiques sur la capacité de la Commission à contrôler efficacement l’utilisation par les Etats des crédits ou des prêts consentis par l’UE.  Aussi (surtout ?), les chefs de gouvernement concernés sont très étroitement surveillés par leurs parlements au sein desquels ils ne disposent parfois que d’un très fragile soutien :


  • au Pays Bas et en Autriche, les gouvernements conduits par MM. Rutte et Kurz ne peuvent compter que sur … une voix de majorité au parlement et doivent tous deux affronter un parti populiste et souverainiste,

  • au Danemark, le gouvernement de Mme Frederiksen est en fait … minoritaire avec seulement 27% des sièges au sein d’une assemblée où sont représentés quelques …14 partis politiques dont un souverainiste,

  • en Suède au contraire, M.Lofven dispose d’une majorité plus large et traditionnellement plus stable (mais guère plus europhile) - ce qui peut expliquer sa relative sérénité et modération au sein du groupe des 4.



Un poids relatif au sein du Conseil européen

Quelle sera l’influence de la proposition de ces 4 États au sein du Conseil ? Leur poids relatif est assez faible dans la mesure ils ne représentent que 15% du nombre des États membres et 9% de la population totale de l’UE. De plus, deux d’entr'eux n’ont pas adhéré à l’Euro, bénéficiant d’une exemption juridique (Danemark) ou de facto (Suède). 


La majorité des États membres (et notamment ceux du Centre et de l’Est de l’UE) n’ont pas encore pris clairement position. Mais ils seraient vraisemblablement plus favorables à un budget et un Plan ambitieux dont ils pourraient tirer un certain bénéfice. 


Ce serait également le cas - dans une plus forte mesure encore - des deux “grands”pays (Italie, Espagne) directement concernés par l’octroi de crédits ou de prêts supplémentaires. 


Face à un enjeu majeur pour l’Union, des procédures déficientes

Si les prévisions avancées de toute part s’avéraient exactes, le choc économique provoqué par la crise sanitaire pourrait avoir des effets directs sans précédent récent sur les populations de l’UE - bien que variables selon les États. Et si un accord satisfaisant ne pouvait être trouvé rapidement au sein du Conseil, ce serait l’équilibre politique de l’ensemble de l’Union qui s’en trouverait déstabilisé. 


Face à cet enjeu considérable, la procédure de négociation et de décision en cours souffre de plusieurs défauts ou handicaps (qu’il ne faut pas se lasser de répéter) :

  • avant même de connaitre les propositions de la Commission, les groupes d’États concernés ont fait connaitre unilatéralement - et ont fortement médiatisé - leurs “plans" respectifs et rivaux, contribuant ainsi à rigidifier les débats et négociations au sein du Conseil européen,

  • en agissant de la sorte, ils ont voulu tracer des lignes (rouges pour certains) qui ne vont pas faciliter le travail de la Commission dans son rôle de recherche de l’intérêt général qu’elle est seule à même de définir objectivement,

  • enserrés dans la règle de l’unanimité au sein du Conseil européen, les chefs de gouvernements vont avoir le plus grand mal à se défaire de positions pré-annoncées - d’autant plus que les réactions dispersées des différents Etats à la crise proprement sanitaire ont déjà altéré leur unité et solidarité,

  • tant le CFP que le Plan prendront la forme juridique de règlements dont le détail devra être (laborieusement) défini par une enceinte finalement peu adaptée à un tel exercice et à laquelle le Traité … interdit toute “fonction législative (art. 15§1 TUE), 

  • l’assentiment et le contrôle démocratiques sur des décisions d’une telle ampleur risque d’être minimal : le Parlement européen pourra certes refuser d’approuver in fine les décisions prises mais il ne pourra guère influencer celles-ci en amont. C’est d’autant plus regrettable qu’il a adopté, dès le 14 mai 2020, une résolution - précise et détaillée - particulièrement novatrice et ambitieuse (1).


La Commission devrait officiellement, dans les prochains jours, présenter ensemble ses propositions relatives au CFP (sans doute largement modifié) et au Recovery Plan. Ce sera pour elle le premier grand test à la fois de son indépendance (2) et de sa capacité à défendre l’intérêt général de l’Union dans des circonstances particulièrement graves.


Jean-Guy Giraud  26 - 05 - 2020

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