Les hasards (?) de l’actualité font que, dans la même semaine, l’UE se trouve confrontée - dans trois cas précis - au problème que les diplomaties nationales n’aiment pas évoquer : celui du blocage potentiel de décisions importantes par quelques États membres du fait de la règle de l’unanimité au sein du Conseil.
Le premier cas concerne la politique étrangère de l’UE.
Suite à la publication de la proposition américaine sur le “Middle East Peace Process”, le Haut Représentant a préparé et proposé une déclaration de l’UE visant à rejeter ce plan en raison de sa non-conformité avec le droit international - suivant en cela la position traditionnelle de l’UE. Pour être formellement endossée par l’Union, cette déclaration devait être acceptée par chacun des 27 gouvernements ainsi que le prévoit le Traité qui impose la règle de l’unanimité en matière de politique étrangère commune (article 22 et 24 TUE).
Or, plusieurs d’entre eux - conduits semble-t-il par la Hongrie et l’Autriche - ont refusé de donner leur accord (1). Il n’y a donc pas eu de prise de position de l’UE en tant que telle sur ce qui constitue pourtant un tournant majeur pour la question du conflit israélo-palestinien. Le Haut représentant de l’UE - M. Josep Borrell - a cependant décidé de reprendre et rendre publique cette déclaration “ex officio” (2), comme avait dû le faire à maintes reprises Mme Mogherini sur ce même sujet et sur bien d’autres.
Le deuxième cas concerne les accords d’association de l’UE avec des pays tiers
C’est plus précisément la question du futur accord avec le Royaume Uni qui est concerné. Dans sa proposition relative à la préparation de cet accord, la Commission s’est vu contrainte par les règles en vigueur de baser ce futur accord sur les articles 217 et 218§8 du traité relatifs aux accords d’association. Accords qui exigent - tant pour leur ouverture que pour leur conclusion - le vote unanime des 27 gouvernements. Au surplus, certaines dispositions de ces accords peuvent nécessiter une ratification par chaque État membre “selon leurs règles constitutionnelles respectives” : ce qui sera probablement le cas pour l’accord UE/RU.
Et l’on sait tous les problèmes que cette exigence d’unanimité/ratification a posé pour de précédents accords (cf. l’accord UE/CETA).
D’ores et déjà, plusieurs gouvernement ont annoncé des exigences unilatérales qui laissent présager quelques difficultés pour parvenir à une position unanime vis à vis du RU et qui sont susceptibles d’affaiblir l’UE dans une négociation particulièrement complexe et ardue.
Le troisième cas concerne le budget pluri-annuel de l’UE
Le cadre budgétaire 2021/2027 est entré dans la phase finale de son adoption. Le traité stipule que ce cadre doit être adopté par le Conseil à l’unanimité (article 312§2 TFUE). En pratique, le feu vert doit être donné par le Conseil européen qui se prononce "par consensus” cad à l’unanimité.
Comme ce fut le cas pour le précédent cadre de 2014/2020, on constate que les positions des différents États membres - voire même de groupes d’États membres - sont significativement éloignées les unes des autres. Aboutir à un accord unanime ne pourra se faire que sur la base du plus petit dénominateur commun. D’autre part, le cadre budgétaire devra être accompagné d’un accord parallèle sur des mesures de caractère législatif relatives notamment aux ressources propres (unanimité requise là aussi) et à la révision de plusieurs politiques communes.
Autrement dit, un “paquet” tout aussi complexe qui exigera (mesures législatives comprises) l’accord des 27 pays au sein du Conseil européen et laissera donc à chacun - quelle que soit sa taille - un pouvoir de veto.
Un problème qui ne peut plus être éludé ...
Si cette simultanéité du risque de blocage entrainé par la règle de l’unanimité dans trois cas d’importance majeure est frappante, elle ne fait qu’illustrer un problème connu depuis l’origine même de la Communauté. Les révisions successives des traités ont tâché d’en limiter la portée en lui substituant la règle majoritaire dans de nombreux cas.
Mais le problème a changé de nature suite aux élargissements successifs. Dans une Union plus restreinte et plus cohésive, un accord unanime pouvait souvent être atteint grâce à la "coopération loyale” des gouvernements. Dans l’Union "plus nombreuse et plus diverse” d’aujourd’hui, cette coopération n’est plus acquise et se révèle même de plus en plus aléatoire - compliquée, au surplus, par l’instabilité politique interne qui affecte un bon nombre desdits gouvernements.
… pour l’avenir de l’Union
Là aussi, les hasards de l’actualité font que les Institutions débattent en ce moment même des réformes nécessaires pour préparer l’”avenir de l’Union”. Nul doute que la gravité du problème décrit ci-dessus s’imposera aux participants à la Conférence.
À condition toutefois que l’ "opinion publique” - qui devra sous une forme ou sous une autre y être représentée - soit rendue consciente de ce problème et impose aux représentants des Gouvernements d’en débattre et de trouver des solutions durables. On devrait aussi - du moins en principe - pouvoir compter sur le Parlement européen pour faire pression dans ce sens.
NB On aurait pu citer ici un quatrième cas concomitant de blocage d’un dossier pour cause d’unanimité : celui de la poursuite de l’élargissement de l’UE aux pays des Balkans à laquelle s’oppose notamment la France (sauf suite à une révision du processus).Toutefois, on peut légitimement considérer que l’adhésion de nouveaux États membres demeure - tant sur le plan politique que juridique - un des rares cas où le consensus s’avère non seulement justifié mais incontournable.
Sur la question du droit de veto, voir aussi : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/veto-delendum-est
Jean-Guy Giraud 07 - 02 - 2020
_________________________ (1) l’opacité des négociations au sein des organes compétents du Conseil ne permet pas de connaitre les positions respectives. Voit tout de même : https://www.timesofisrael.com/eu-reportedly-blocked-from-resolution-condemning-trump-plan-annexation/ (2) en deux étapes - voir : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/moyen-orient-l-ue-vigie-du-respect-du-droit-corrigendum
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