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SORTIR MALGRÉ TOUT DE LA CRISE POLONAISE - suite 1



Lors de son récent discours devant le Parlement européen à Strasbourg (1), le premier Ministre polonais a donné sa propre interprétation du récent arrêt du Tribunal constitutionnel qui a provoqué une intense polémique en Europe.



Sur la compatibilité Traité/Constitution

Cet arrêt ( qui s’intitule "Assessment of the conformity to the Polish Constitution of selected provisions of the Treaty on European Union”) semble en effet juger que l’article 1 du traité qui est le fondement de l’UE est incompatible avec l’article 2 de la Constitution polonaise qui est lui même le fondement de la République de Pologne (2).


Prise à la lettre, l’affirmation d’une telle incompatibilité équivaudrait à une rupture totale entre les deux ordres juridiques européen et polonais et donc à une impossibilité pour l’Etat polonais de demeurer membre de l’Union.


Toutefois, le Premier Ministre a fortement nuancé la portée de cette partie de l’arrêt du Tribunal en déclarant :

"The Polish Tribunal, also in the recent ruling, has never stated that the provisions of the Treaty on the Union are wholly inconsistent with the Polish Constitution. On the contrary! Poland fully respects the Treaties.”

et en précisant :

"That is why the Polish Tribunal stated that one very specific interpretation of certain provisions of the Treaty, resulting from recent case law of the Court of Justice, was incompatible with Constitution."

Si bien que ce serait “seulement” la jurisprudence de la CJE (en fait certains de ses arrêts) qui serait en cause et non pas le traité lui-même .


Jurisprudence qui, selon le Tribunal et selon le Premier Ministre, pourrait aboutir à une extension illimitée et incontrôlée des compétences de l’Union, au delà de celles prévues limitativement par le traité.



Sur le rôle de la CJE

Ce qui amène, logiquement, le Premier Ministre à contester le rôle de la CJE comme juge du partage des compétences entre l’UE et les Etats membres :

"However, like the courts in many other countries, Polish Tribunal raises the question as to whether the monopoly of the Court of Justice to define the actual limits of entrusting these competences is the proper solution.


Sur la primauté du droit européen

D’autre part, le Premier Ministre s’est efforcé de circonscrire le débat sur la primauté du droit européen en affirmant à deux reprises :

"Union law precedes national law - to the level of the statutes and in the areas of competence granted to the Union. This principle applies in all EU countries."
"We have no doubt about the primacy of European law over national laws in all areas where competence has been delegated to the Union by member states


Sur la suprématie de la Constitution

Mais il à également ré-affirmé que cette primauté ne saurait s’appliquer à la Constitution polonaise qui demeure “la loi suprême” du pays :

“The supreme law of the Republic of Poland is the Constitution. It precedes other sources of law. No Polish court, no Polish parliament and no Polish government can depart from this principle.”

Et il conteste que la CJE puisse obliger les cours polonaises - y compris le Tribunal constitutionnel - à appliquer des textes ou des jugements européens que ceux-ci considèrent comme contraires à la Constitution polonaise :

"According to interpretation of Tribunal from Luxembourg, judges in Polish courts would be obliged to apply the principle of the primacy of European law not only over national statutory regulations - which is not in doubt - but also to violate Constitution and the verdicts of their own Constitutional Tribunal!

In fine, il esquisse une proposition susceptible - selon lui - d’ouvrir un dialogue sur ces questions entre les Cours constitutionnelles nationales et européenne :

"A Chamber of the Court of Justice, consisting of judges nominated by the constitutional courts of the Member States, could be set up for permanent dialogue, in accordance with the checks and balances principle

Au total et en résumé

Sur ces questions de principe d’ordre juridique:

  • une clarification bienvenue sur la compatibilité entre le Traité et la Constitution polonaise ainsi que sur la suprématie du droit européen vis à vis du droit “secondaire” (non constitutionnel) polonais,

  • mais une position contraire au traité sur 1. le refus de la compétence exclusive de la CJE à juger de la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres 2. la suprématie absolue de la Constitution polonaise sur le droit et la jurisprudence européens;

  • à cet égard, les plus récents arrêts ou ordonnances de la CJE confirment clairement l’illégalité de la position polonaise (3)

Sur le fond des affaires concernées :

  • cet arrêt et cette déclaration se réfèrent en fait à plusieurs recours et arrêts de la CJE portant sur l’indépendance du système judiciaire polonais,

  • la “réforme” entreprise par le gouvernement en place à tous les niveaux de ce système (y compris celui du Tribunal constitutionnel polonais) ont clairement pour effet de porter atteinte à cette indépendance,

  • le refus du gouvernement de revenir sur certains aspects de cette réforme - et même de la poursuivre - en dépit des arrêts de la CJE est bien une violation à la fois du principe d’indépendance de la justice (“état de droit”) et de l’obligation de donner suite aux arrêts de la CJE.

Sur le contexte politique:

  • ces différents d’ordre juridique sont le reflet d’un problème plus grave : celui de la dégradation générale des relations entre les Institutions de l’UE et le gouvernement polonais,

  • cette dégradation se manifeste par une réticence croissante de ce gouvernement (au sein du Conseil et du Conseil européen) vis à vis de l’approfondissement et du renforcement de l‘action de l’Union dans différents domaines tels que la politique étrangère et de défense, la protection du climat, la politique énergétique ou le respect des valeurs européennes,

  • cette réticence est d’autant plus grave que la règle de l’unanimité permet à un gouvernement d’opposer son veto à de nombreuses décisions de l’UE - y compris à celles relatives au rétablissement de l’état de droit,

  • l’absence ou l’insuffisance de réactions de l’UE - pour des motifs politiques ou juridiques - serait susceptible d’influencer l’attitude d’autres gouvernements qui partageraient les positions de la Pologne (4),

  • enfin, plus fondamentalement, certaines mesures prises par le gouvernement polonais pourraient, à terme, affecter le caractère démocratique du régime polonais.



Quelle issue à la crise ?

Beaucoup dépendra du débat au sein même de la Pologne et notamment des réactions :

  • de l’opinion publique pro-européenne, à l’origine de manifestations importantes dans les grandes villes,

  • du corps électoral en particulier à l’occasion des élections parlementaires de Novembre 2022,

  • de la magistrature polonaise dans son ensemble dont une bonne partie demeure hostile à la réforme judiciaire entreprise par le gouvernement.

Le Conseil européen devra probablement aborder “la question polonaise” dès le 21/22 Octobre. Il est peu probable qu’il puisse réunir un consensus susceptible de résoudre le problème. Au mieux décidera-t-il de charger la Commission de poursuivre les négociations avec le gouvernement polonais en vue de trouver - au delà des questions de principe non-négociables - des solutions pragmatiques et provisoires permettant l'évitement d’une crise politique majeure.


Jean-Guy Giraud 21 - 10 - 2021

NB sur la délicate question des relations entre le droit européen et les droits constitutionnels nationaux, voir l'article de JM Sauvé dans lequel il prône notamment un dialogue approfondi entre les différentes juridictions.

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(3) extraits de l’ordonnance du 6 Oct. 2021 :

"L'organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers - dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont toutefois tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, (…)

Le fait qu’une cour constitutionnelle nationale déclare que de telles mesures provisoires sont contraires à l’ordre constitutionnel de l’État membre concerné ne modifie en rien l’appréciation figurant au point précédent (…).

En vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent‑elles d’ordre constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union"

(4) "Just as a financial crisis in one country can spread to another, so can a constitutional crisis” (The Economist Oct. 16)

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