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QUAND LES EUROPÉENS ENTRENT EN CONFÉRENCE ...



(Note liminaire : cet article ne présente pas une analyse factuelle détaillée des origines ni de l’organisation de la Conférence - qui sont très clairement décrites dans le site dédié (1). Les lecteurs sont donc incités à visiter le site lui-même - ce qui est précisément le but de tout l’exercice. L’accent est ici mis délibérément - in fine - sur le thème de “la gouvernance de l’UE”, cad sur sa capacité à agir (”deliver”), à mettre en oeuvre effectivement les propositions thématiques suggérées par les citoyens. Pour des raisons de brièveté, le style est de nature plus télégraphique qu’académique .)



Un exercice sans précédent

L’ampleur du sujet de la Conférence sur “le futur de l’UE” est une première dans l’histoire des consultations précédentes. Cet exercice est mené conjointement dans chacun des 27 Etats membres et dans toutes leurs langues. Il utilise les moyens informatiques les plus modernes tout en restant remarquablement “user friendly”. Il porte sur un spectre très large de thèmes sectoriels regroupant toutes le grandes politiques européennes. Contrairement aux sondages habituels, il est ouvert à la libre expression de tous les participants individuels. Il héberge aussi les débats et les évènements collectifs qui souhaitent se rattacher à la Conférence.


Le but recherché

Il s’agit de permettre d’identifier - à travers l’ensemble des témoignages - les opinions, désirs, reproches ... des “gens”, des citoyens-utilisateurs du service public européen. De rassembler, par une approche “bottom-up”, leur appréciation sur l’ensemble de l’action de l’Union et sur leur vision de ce que devrait être et faire l’Europe dans un avenir prévisible. Tout ceci en fonction de leur propre situation et de leur expérience personnelles : nationalité, âge, sexe, classe sociale, profession, opinions politiques, ...


La méthode

Se voulant à la fois inclusive et organisée, la structure de la Conférence peut apparaitre assez complexe : panels représentatifs, groupes de travail sectoriels, bureau exécutif, conférence pleinière, présidence tri-partite (Parlement, Conseil, Commission). Au total, le rôle décisif sera joué par la conférence pleinière qui rassemble principalement des parlementaires européens et nationaux (en nombre égal de …108) et des représentants des 27 gouvernements. Au sein de celle-ci, le bureau exécutif aura la tâche décisive de préparer le rapport général basé sur l’ensemble des contributions individuelles et collectives - avec l’assistance d’un secrétariat expérimenté.


Une durée imprécise

Prévue au départ pour une durée de deux ans à partir de 2020, la Conférence a été retardée par la crise sanitaire. Elle n’a pu se constituer que le 19 Juin 2021 (à Strasbourg). Du fait de l’incertitude sur la durée de cette crise, son terme n’a pas été formellement fixé. Elle pourrait cependant aboutir vers la mi-2023. La présidence française envisage de procéder à un rapport d’étape en Avril 2022.


Un objectif ambitieux

Le rapport général sera présenté par les trois co-Présidents à l’ensemble de l’opinion européenne - ainsi que, plus formellement, aux Institutions et aux Etats membres de l’UE. Ceux-ci devront se prononcer sur la vision globale du "futur de l’Europe" présentée par le rapport. Ils s’engageront sans doute à en tenir compte sans être pour autant liés par les propositions précises que le rapport pourrait avancer. En pratique, c’est précisément ce degré de précision qui amènera Institutions et Etats à se déterminer sur des questions concrètes. Il est toutefois prévu que ceux-ci pourront donner suite aux propositions “en fonction de leurs compétences et dans le cadre des Traités” .


Un contexte difficile

Lancée sur une bonne intention et intuition du Président Macron, la Conférence s’est heurtée à un contexte inattendu de crise sanitaire et économique sans précédent. S’y ajoutent de graves divisions internes de l’Union, les télescopages de calendriers électoraux (Allemagne et France notamment), l’épisode amer du Brexit, non encore achevé... Plus fondamentalement, s’y superposent le manque de soif et d’envie d’Europe dans les opinions, l’absence de société civile et de scène politique à l’échelle européenne, la méconnaissance du système et du potentiel institutionnels de l’UE, le manque d’ambition et de vision - voire les réticences - de certains gouvernements. Enfin, la relative indifférence - ou lassitude - des medias ne favorisent pas une large participation de ceux-là même dont l’avis est sollicité.


Un démarrage modeste

Tout ceci explique la mise en route laborieuse de la Conférence : son site enregistre à ce jour moins de 20.000 participants actifs et 5.000 contributions. Il est toutefois impossible de pronostiquer l’évolution de ces chiffres que des circonstances imprévues pourraient faire évoluer - par exemple une grave crise internationale provoquant un élan simultané de solidarité des opinions. D'autre part, il ne dépend que de la volonté des gouvernements, des Instituions et des associations pour susciter - par des actions d’information ciblées et d’envergure - un plus grand intérêt de la population, du moins de ses couches les plus averties et les plus concernées. Enfin, l’exemple du syndrome “LGBTQI" montre comment certains sujets de société peuvent quasi spontanément et de façon inattendue faire irruption dans le débat public médiatique - y compris au niveau européen. Les graves questions de la santé, du climat, de la reprise économique ou de la stabilité financière peuvent pareillement provoquer l’émoi de l’opinion et l’amener à s’intéresser plus vivement aux solutions qui peuvent être trouvées à l’échelle de l’Union.


Un stade final déterminant

En pratique, il appartiendra à la Conférence plénière (composée majoritairement de parlementaires) de conclure l’exercice, notamment en élaborant des propositions concrètes. Que va-t-elle retenir ? Quelles priorités reprendra-t-elle ? Avec quelle insistance, quelle détermination - voire exigence - le fera-t-elle ? Parviendra-t-elle à présenter ses positions de façon consensuelle ? Avec quelle détermination et autorité le fera-t-elle vis à vis des Institutions et des gouvernements ? Lors des deux “précédents” de la Convention sur la Charte puis sur le projet de Constitution européenne (2000/2002), ces deux assemblées étaient parvenues - sous la direction de leurs bureaux respectifs -

à élaborer un projet commun, solide et novateur que les Institutions et gouvernements avaient dû examiner attentivement et, finalement, retenir dans leur ensemble. Qu’en sera-t-il pour cette troisième Convention/Conférence ?


Un programme chargé

Les concepteurs du cadre de la Conférence (en l’occurence principalement la Commission) se sont efforcés de regrouper les thèmes de réflexion proposés autour de 9 grands chapitres (“boxes”) qui recouvrent d’abord une grande partie des activités - des politiques - de l’UE : climat, santé, économie, relations extérieures, numérique, et migrations. Ils y ont ajouté trois thèmes horizontaux relatifs aux valeurs, à la démocratie et à la culture. En outre, une “box” est destinée à accueillir les “autres idées”. Chacun des thèmes est assorti d’explications et de pistes de réflexion suggérées. Les intervenants sont invités à s’exprimer dans ce cadre en y inscrivant leurs idées, commentaires ou propositions et/ou en régissant à celles des autres. Vaste et ambitieux exercice qui sera cependant facilité par la méthodique et claire présentation/articulation des chapitres.


Les risques

Il est peu probable que la Conférence réussisse à atteindre l’opinion dans sa profondeur, notamment dans les Etats membres les plus récents, les plus éloignés et les moins familiarisés avec l’histoire et le fonctionnement de l’UE. À partir de quel seuil de participants pourra-t-on considérer que les résultats sont suffisamment représentatifs et significatifs ? Le risque bien connu existe de n’attirer que les "usual suspects" europhiles ainsi que la tranche éduquée, tournée vers l’extérieur, des opinions nationales - ce qui ne serait, après tout, qu’un moindre mal. Un autre danger est que des courants organisés - délibérément hostiles à l’idée européenne pour des raisons plus idéologiques que pragmatiques - ne viennent perturber le débat. Enfin, dans ce type de communication par voie électronique, existe toujours l’éventualité de piratages par des groupes de “hackers” mal intentionnés.


Les grandes tendances prévisibles

Au delà et à travers les contributions thématiques, le débat fera probablement apparaitre deux grandes tendances. Il y aura d’abord ceux qui estiment que l’UE “n’en fait pas assez”, qu’il y a encore beaucoup de secteurs où elle devrait se montrer plus active, que trop d’obstacles politiques freinent ou bloquent son action. D’autres insisteront d’avantage sur le caractère souvent trop intrusif, tatillon, bureaucratique de ses interventions dans un nombre sans cesse croissant de domaines. Les deux tendances s’accorderont sans doute sur le diagnostic du fameux “déficit démocratique” de l’UE en regrettant particulièrement que les citoyens ne soient pas d’avantage impliqués/consultés : ce qui est très précisément le but de l’exercice auquel ils participent … Sur chacun des thèmes particuliers, on retrouvera probablement sans surprise les grandes tendances que révèlent régulièrement les multiples sondages (sur le climat, la sécurité, le social, l’état de droit, les migrations, etc …) - mais la souplesse du cadre mis en place pour la Conférence devrait permettre une confrontation moins superficielle des points de vue ainsi qu’une analyse plus fine de ceux-ci.


Une impasse faite sur la gouvernance

Une fois identifiées et mises en ordre les opinions sur “le futur de l’Europe” se pose inévitablement une question évidente : comment parvenir à mettre en oeuvre ces objectifs ? Autrement dit : les “responsables” de l’UE (Institutions et Etats membres) ont-ils les moyens politiques et juridiques de les concrétiser ? Peuvent-ils vraiment “gouverner” l’Europe ? Sont-ils capables de prendre en temps utile les décisions nécessaires et de les exécuter ? Or, aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, cette question ne fait pas partie du débat tel que structuré par les concepteurs de la Conférence : il n’y a pas de “box” sur la “Gouvernance”.

Et il ne s’agit pas d’un “oubli” mais d’une exclusion délibérée : les Etats n’ont pas voulu que les citoyens interfèrent dans la mécanique décisionnelle de l’Union, qu’ils soulèvent le capot pour examiner le fonctionnement du moteur (2). Et la Commission s’est pliée à cette exigence en concevant le cadre - le site - du débat. Ces questions seraient trop délicates, trop sensibles pour être livrées au débat public. D’ailleurs, il est bien connu que leur technicité et complexité dépassent - voire rebutent - le citoyen. Il s’agit donc d’éviter l’ouverture d’un “débat institutionnel” qui, par exemple, pourrait remettre en cause des sujets aussi tabou que le droit de veto ou - pire - celui de la révision des Traités.

Seul le Parlement semble d’un avis différent et il s’efforcera sans doute, au sein de la Conférence plénière, à mettre ces questions à l’ordre du jour. D’autant plus qu’un examen attentif des premières contributions déposées sur le site montre qu’une bonne proportion d’entr'elles ont réussi à aborder indirectement le thème de la gouvernance sur deux des “boxes” : celle de “La Démocratie” et celle … des “ Autres Idées”.


Pour illustrer ce propos, on se limitera ici à énumérer les principales questions de gouvernance qui peuvent être soulevées (et qui le sont déjà dans les deux boxes précitées) sans relever pour autant d’un “débat d’experts” :

  • une révision/adaptation des Traités serait-elle nécessaire/utile pour “l’avenir de l’union” ? Par exemple pour renforcer certaines politiques européennes (santé, climat, défense, …) ?

  • le droit de veto de chaque Etat membre doit-il être supprimé/aménagé (comme le suggèrent d’assez nombreuses contributions) pour éviter des blocages ou des lenteurs excessives dans la prise de décisions ?

  • faut-il adapter le mode d’élection du PE et lui accorder plus de pouvoir législatif ?

  • la Commission est-elle assez indépendante des autres Institutions et des gouvernements pour exercer son rôle de proposition et d’exécution des décisions ?

  • le Conseil européen est-il “efficace” et “démocratique” ? Ne joue-t-il pas un rôle excessif vis à vis des autres Institutions ?

  • etc ...

Se rattachant à quelques domaines spécifiques de l’action de l’Union, d’autres questions peuvent surgir spontanément, par exemple :

  • comment mieux garantir le respect de la règle de droit (y compris du droit européen) et des “valeurs" par les Etats membres ?

  • ne faut-il pas renforcer la lutte contre la “pandemic corruption” et, plus généralement, toutes les formes de fraude qui affectent les dépenses publiques, y compris communautaires?

  • l’Union est-elle en mesure de défendre les intérêts et la sécurité des citoyens sur le plan international - notamment vis à vis des grandes puissances hostiles ?

  • etc ...

Enfin, d’autres sujets plus transversaux peuvent pré-occuper le grand public et sont susceptibles de provoquer sa réaction dans le cadre de la Conférence :

  • les 27 Etats doivent-ils toujours avancer au même pas ou certains d’entr’eux peuvent-ils avancer plus vite et plus loin ?

  • l’Union peut-elle encore s’élargir à 6 ou dix nouveaux Etats sans affaiblir encore sa gouvernance ?

  • surtout, sa capacité à définir un “futur” commun à près de 35 Etats ( très hétérogènes sur de nombreux plans) peut-elle être assurée ?

  • etc ...

Autant de questions qui ne devraient pas être inaccessibles au Q.I du citoyen “moyen” - mais qui sont habituellement réservées aux experts des “CIG” (conférences intergouvernementales) délibérant en secret à la recherche du plus petit dénominateur commun.



En guise de conclusion provisoire

L’intensité et l’orientation générales des débats, tels que reflétés par le site de la Conférence, demeurent incertaines - notamment du fait des circonstances de son démarrage et de l’imprévisibilité des actualités nationales, européennes et internationales des deux prochaines années. Il demeure que le rôle de la Conférence plénière sera déterminant notamment car elle permettra combiner les principes de démocratie parlementaire et représentative.


D’autre part, quels que soient les résultats finaux, cette tentative sans précédent de consultation et de dialogue inter-citoyens - ouverts à une si grande échelle - est, à elle seule, un évènement qui doit être salué et encouragé.

Enfin, le bouleversement du calendrier initial envisagé fait que la conclusion de l’exercice (probablement au printemps 2023) précèdera de peu un autre grand rendez-vous démocratique : celui des élections européennes de 2024.

Tout ceci devrait encourager chacun à se lancer dans le débat pour s’exprimer, proposer, protester, dialoguer sans retenue.


À nos claviers !



Jean-Guy Giraud 26 - 06 - 2021

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(2) voir l’analyse détaillée des positions des gouvernements : https://www.ceps.eu/wp-content/uploads/2021/06/EPIN-Report_EU-Member-States-Views-on-CoFoE.pdf

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