MENACE RUSSE : SURMONTER L'AUTO-BLOCAGE ET LA TÉTANIE EUROPÉENS
- giraudjeanbaptiste0
- il y a 2 jours
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L’auto-blocage institutionnel n’est plus tenable
Alors que la Russie poutinienne poursuit sans relâche sa vaste offensive militaire en Ukraine et multiple ses opérations hostiles de toutes natures envers plusieurs États membres de l’UE,le Conseil et la Commission demeurent empêtrés dans un imbroglio juridico-institutionnel qui freine ou bloque les moyens de défense européens.
Ce problème résulte essentiellement du fait que, jusqu’à ce jour, le régime des sanctions applicables par l’UE envers un État tiers a été gouverné par le principe et la règle du vote unanime des États membres - ce qui a permis à l'un ou l’autre d’entre eux de bloquer répétitivement toute décision et finalement d’en limiter l’ampleur.
S’agissant à présent de protéger les intérêts vitaux des États membres, cette situation de blocage interne de l’UE n’est plus tenable et doit impérativement être surmontée.
L’exigence d’unanimité outrepasse les règles fixées par les Traités
Dans une précédente note datée du … 4 Juin 2022 (1), nous avions relevé que l’application systématique de la règle de l’unanimité au vote de sanctions par le Conseil (européen) n’était imposée ni par la lettre ni par l’esprit du Traité. En effet, la procédure prévue par les article 31TUE et 215 TFUE comporte trois étapes :
Le Conseil européen se prononce à l’unanimité sur le principe même de soumettre un pays tiers à un régime de sanctions (art.31§1TUE),
Sur la base de cette position, le Conseil adopte à la majorité qualifiée la décision de prise de sanctions (art.31§2 TUE),
Sur la base de cette décision - et sur proposition de la Commission - le Conseil adopte à la majorité qualifiée les mesures détaillées nécessaires pour l’application des sanctions (art.215§1 et 2 TFUE).
On voit donc que la règle de l’unanimité ne s’applique en fait qu’à la position initialement prise par le Conseil européen et que les décisions de mise en oeuvre législative de cette position sont prises par le Conseil statuant à la majorité qualifiée.
Le cas des sanctions contre la Russie
Or, dans le cas particulier de la Russie, il apparait que le Conseil européen a - à plusieurs reprises - effectivement adopté des positions affirmant et confirmant sa volonté de sanctionner la Russie - ouvrant ainsi la voie juridique et politique à des décisions d’application de sanctions pouvant être prises par le Conseil à la majorité qualifiée de ses membres.
Jusqu’ici, cette interprétation des textes n’a pas été suivie par le Conseil (européen) ni d’ailleurs par la Commission. De fait, ces Institutions ont considéré - pour des raisons plus politiques que juridiques - que des questions aussi lourdes que des sanctions ne pouvaient être prises qu’à l’unanimité des 27 États membres.
Plus gravement, elles ont admis que la nature même des sanctions devait être débattue et avalisée par le Conseil européen lui-même - ouvrant ainsi la possibilité d’un veto bloquant la suite de la procédure.
Certes, cette interprétation restrictive des règles fixées par les Traités n’a pas empêché la prise de plusieurs trains successifs de sanctions (19 à ce jour …) - mais au prix de longues tergiversations et négociations internes qui ont à la fois ralenti le rythme et limité la portée des mesures finalement prises.
Un déblocage de la procédure à l’occasion de l’affaire des avoirs russes ?
À présent, c’est la question de la saisie des avoirs souverains russes déposés dans des banques européennes qui est posée et qui fait l’objet, depuis de longs mois, d’un débat - assez confus - entre les États membres.
De façon surprenante, la Commission aurait récemment « découvert » que le Conseil européen a, de fait, déjà donné son accord de principe sur cette question particulière … en décembre 2024 (2). Ce qui devrait normalement ouvrir la voie à … une décision majoritaire de mise en oeuvre par le Conseil.
Ce que la presse rapporte ainsi :
« Brussels eyes loophole to isolate Hungary, send billions in Russian assets to Ukraine - EU legal experts are studying a way to get round the need for unanimity to send €140 billion to Kyiv. » (3)
(Le fait que cette saisie d’avoirs souverains pose d’épineux problèmes de droit international ne devrait pas avoir d’incidence sur la procédure européenne interne. Au surplus, l’art.215 TFUE prévoit lui-même que « 3. Les actes visés au présent article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques » )
Délivrer la politique étrangère et de sécurité commune européenne
L’Union européenne doit impérativement trouver les moyens de se défendre contre des agresseurs - en l’occurrence la Russie poutinienne engagée dans une offensive délibérée, organisée et d’une ampleur croissante visant à reconstituer l’ordre soviétique d’après guerre. Cette défense nécessite une capacité de décision adaptée c’est à dire efficace et rapide - ce que permettent les Traités s’ils sont correctement appliqués. À l’inverse, si le mode décisionnel de l’Union demeure contraint - et souvent empêché - par le principe westphalien de souveraineté étatique, cette faiblesse ne peut qu’encourager ses adversaires dans la poursuite de leur agression.
Une énième fois, le Conseil européen du 1 Octobre 2025 (suivi de la réunion semestrielle de la « Communauté Politique Européenne") va devoir affronter cette question sous la pression des intrusions de plus en plus fréquentes et lourdes (drones mais aussi avions chasseurs) de la Russie dans l’espace aérien européen. Parviendra-t-il à adopter une position commune permettant au Conseil de décider ensuite des mesures de protection ou de rétorsion adéquates ? Plus précisément, parviendra-t-il à surmonter l’opposition têtue mais injustifiable et très minoritaire de quelques Chefs de Gouvernements ? Dans le cas contraire, c’est la situation sécuritaire des 27 États membres et des 450 millions d’européens qui s’en trouverait encore aggravée.
L’OTAN plutôt que l’UE ?
On notera in fine que les États membres qui se trouvent en première ligne se sont instinctivement tournés vers l’OTAN et obtenu que soit activée la clause de l’article 4 du Traité qui prévoit que « les parties se consulteront chaque fois que, de l'avis de l'une d'elles, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une des parties sera menacée ».
Curieusement - à ce jour du moins - aucune référence n’a été faite à la clause de défense mutuelle du Traité de l’UE (art.42§7 TUE) qui stipule : « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. ».
Il est vrai que les intrusions russes ne peuvent pas - encore - être qualifiées d’ « agression armée ». Il serait toutefois opportun - au moins vis à vis d’une opinion alarmée et inquiète de la faiblesse de la réaction proprement européenne aussi bien que de l’incertitude d’une réaction otanienne sous influence américaine - que cette garantie de solidarité mutuelle entre les 27 soit publiquement rappelée par les plus hauts responsables de l’Union.
Au tétanisés soient-ils par la menace russe, il est dommage que ces responsables hésitent tant à utiliser pleinement les moyens de défense opportunément prévus par le Traité et recherchent encore - en limitant arbitrairement la portée de ses dispositions - à gagner (ou perdre ) un temps précieux. Si le pire devait advenir, il sera difficile pour ces mêmes responsables d’expliquer plus tard à l’opinion : « Nous n’avons pas pu réagir parce que l’un d’entre nous s’y est opposé … »
Jean-Guy Giraud
28 - 09 - 2025
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(2) Conclusions du Conseil européen du 19/12/2024 : « Subject to EU law, Russia’s assets should remain immobilised until Russia ceases its war of aggression against Ukraine and compensates it for the damage caused by this war. » (§ I - 6) https://www.consilium.europa.eu/media/jhlenhaj/euco-conclusions-19122024-en.pdf
(3) Voir : Politico
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