« Voilà les renoncements imposés à la France.
Dans l'accomplissement de leurs devoirs, les membres du commissariat ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement. Ils s'abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère supranational de leurs fonctions.
Voilà donc les commissaires complètement coupés de tout lien avec leur pays.
Ce texte est à la fois monstrueux et ridicule.
Monstrueux, car quel est le Français de cœur qui accepterait de représenter son pays sans essayer de le servir ?
Ridicule, car il y aurait une prime accordée à ceux qui ne seraient pas loyaux.
Au sein du commissariat il se trouverait certains représentants qui se soucieraient avant tout de la défense de leur pays, peut-être aux dépens mêmes du droit.
S'il en était autrement - et je ne pense pas que ce soit possible - que seraient ces commissaires qui auraient répudié leur origine nationale ?
Des êtres désincarnés, surhumains, des espèces de robots, par lesquels nous serions commandés, gouvernés ?
L'article 20 est la consécration de l'abaissement de la France ; je ne l'accepte pas. » (1)
Ainsi s’exprimait à la tribune de l’Assemblée nationale M. Édouard Herriot - grande figure de la IVème République - à l’occasion du vote de rejet de la ratification du Traité instituant la CED le 30 Août 1954.
L’article 20 CED contre lequel s’insurgeait M. Herriot était en fait une copie conforme de l’article 9 CECA (2) ratifié par la France deux ans et demi plus tôt - et repris textuellement par les traités suivants de la Communauté et de l’Union.
Cette position de M. Herriot (alors partagée par une majorité des députés) mérite d’être rappelée - presque exactement 70 ans plus tard - à la veille de la nomination de la prochaine Commission.
Même si la nature et le contexte politique spécifiques du Traité CED diffèrent de situation actuelle, le principe essentiel de l’indépendance et du caractère supranational de la Commission demeure plus que jamais une des bases fondamentales du fonctionnement de l’UE.
Une des garanties de cette indépendance dépend du choix de chacun des membres du collège et donc, selon la procédure prévue par le Traité :
des « suggestions » faites par chaque État membre
de l’ « accord » de la Présidente » sur chacune de ces suggestions
Après l’adoption de la liste des membres par le Conseil (à la majorité qualifiée) , c’est au Parlement européen que reviendra la responsabilité d' « approuver » la nomination de l’ensemble du collège.
Et il n’est pas exclu que, dans certains États membres et au sein même du Conseil voire du Parlement, des oppositions à ce principe d’indépendance - analogues à celles présentées avec force par M. Herriot en 1954 - soient à nouveau soulevées.
Certes de façon moins directe et frontale que pour le « Commissariat » de la CED … Mais on perçoit bien que certains gouvernements entendent conserver un pouvoir d’influence sur « leur commissaire ». Celui-ci leur doit sa désignation initiale et, éventuellement, la reconduction de son mandat. Il dépend également d’eux pour la poursuite éventuelle d’une carrière politique nationale. On pourrait citer plusieurs exemples récents de l’exercice d’une telle influence.
Selon la thèse de M. Herriot - toujours sous-jacente - il ne pourrait y avoir que deux types de commissaires : ceux qui restent affidés au gouvernement de leur pays et ceux qui se transformeraient en « des espèces de robots désincarnés » ayant répudié leurs origines nationales. On dirait aujourd’hui : des « bureaucrates ».
La réalité est évidemment tout autre.
La meilleure illustration en sera donnée lors de la prestation de serment du Président et des commissaires nommés devant la Cour de Justice européenne à Luxembourg.
Serment qui fut prêté le 13 Janvier 2019 par le collège sortant déjà présidé par Mme von der Leyen. À cette occasion furent soulignées les deux obligations essentielles de l’Institution : préserver son indépendance et assurer la garde des traités. Nous y renvoyons les lecteurs : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/le-serment-de-luxembourg
Jean-Guy Giraud - 19 / 08 / 2024
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