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LE NÉCESSAIRE CONTRÔLE DE L' AIDE INTERNATIONALE



"Je me suis rendu en Afghanistan avec le Conseil de sécurité des Nations unies lorsque j’y représentais la France.

Je me rappelle l’impression mitigée que nous avait faite une classe politique qui nous disait ce que nous espérions entendre dans un anglais parfait ; je me souviens d’un agent français des Nations unies qui m’avait confié sa stupéfaction devant le niveau de corruption des autorités locales malgré son expérience de circonstances comparables.

C’étaient, chaque année, des milliards de dollars qui disparaissaient dans la nature, me disait-il ; nul n’est soucieux du bien commun, ajoutait-il. Un rapport américain jugeait d’ailleurs que la corruption était encore plus dangereuse pour le pays que les talibans, sans compter l’argent de la drogue dont le trafic n’a jamais été aussi florissant que depuis l’intervention occidentale : on estime que l’Afghanistan fournit aujourd’hui près de 90 % de l’opium mondial”

Au delà du caractère dramatique des évènements qui se déroulent en Afghanistan, cet extrait d’une déclaration d’un ancien ambassadeur français (1) met l’accent sur un problème plus général : celui du détournement ou de la dilapidation de l’aide fournie sous diverses formes (fonds ou matériels) par les Etats ou les organisations internationales pour venir en aide à des pays en voie de développement ou en situation de crises diverses (guerres, catastrophes, climat, famines,…). Détournements qui, au surplus, bénéficient souvent à des dirigeants corrompus, des trafiquants voire des groupes militant activement contre les fragiles régimes démocratiques destinataires de cette aide.


La cause principale de ce phénomène est l’absence ou l’insuffisance du contrôle exercé par les donateurs sur l’utilisation de l’aide sur le terrain. Trop souvent, les fonds ou les matériaux divers sont livrés aux autorités nationales ou locales sans que les donateurs soient en mesure de tracer en continu leur destination effective. En théorie, cette destination fait l’objet de plans, contrats, accords, protocoles, etc ... dressés consciencieusement par les donateurs et dûment contresignés par les bénéficiaires. Mais, en pratique, ces donateurs perdent rapidement de vue le cheminement et, finalement, l’aboutissement réel de l’aide fournie.


Pourquoi en est-il ainsi ? Comment expliquer cette incapacité, cette négligence ou cette indifférence ?


La première raison pourrait être d’ordre politique, en l’occurence le “respect” de la souveraineté et de la compétence propres des autorités nationales, régionales ou administratives des pays bénéficiaires. Celles-ci sont en effet souvent réticentes à toute forme de contrôle extérieur sur de la distribution des dons sur leur territoire - notamment lorsque cette distribution fait l’objet de détournements au bénéfice direct ou indirect de certains dirigeants locaux.

Ce problème pourrait - en théorie - être facilement réglé si les bailleurs s’accordaient pour exiger - en contrepartie des dons - un droit de regard/de suite sur la régularité des modalités de distribution et notamment sur l’identité des destinataires ultimes. Certaines organisations internationales - telles que la Banque mondiale - posent le plus souvent de telles conditions préalables à toute fourniture d’aides, conditions que les pays bénéficiaires connaissent et acceptent sans protester - mais dont le respect reste problématique. Cependant, la vaste majorité des autres organisations - comme l’UE elle-même - et des Etats donateurs ne semblent pas en mesure d’imposer ni même de prétendre exiger ce type de conditionnalité pour des raisons diplomatiques voire idéologiques. Cette “ réserve” nuit, en pratique, aux intérêts bien compris des fournisseurs comme des bénéficiaires désignés de l’aide. La lever nécessiterait seulement une volonté politique des premiers et une mise en face de leurs responsabilités pour les seconds.


La deuxième raison est de caractère pratique et opérationnel : comment assurer sur place - en non pas seulement à distance - l’utilisation la plus efficace possible des aides au profit des populations ciblées par les donateurs? Ceux-ci se limitent le plus souvent à des contrôles a posteriori et à distance (sur dossiers) dont l’inefficacité est patente - d’autant plus que les irrégularités constatées a posteriori ne donnent que rarement lieu à des récupérations ou, moins encore, à des sanctions.


Ce deuxième obstacle pourrait aussi être contourné. D’abord par des obligations de transparence et de suivi physique/électronique des circuits de distribution imposées aux autorités nationales et locales. Ensuite par la présence permanente sur le terrain de représentants autorisés des donateurs chargés de veiller sur l’ensemble du circuit de distribution des aides. Ce dernier point est sans doute le plus déterminant pour la sécurisation des dons car rien ne peut remplacer le contrôle en continu et sur place par des personnes extérieures, indépendantes et formées pour ces tâches. Toutefois, il est rare que les bailleurs de fonds publics (Etats et organisations gouvernementales internationales) se donnent les moyens financiers et humains de mettre en place de telles structures. Pour une double raison : la première a trait à la “culture” interne/institutionnelle de ces bailleurs réticents à la prise en charge d'une fonction de “gendarme” - éventuellement nuisible à leur image et susceptible de compliquer leurs “bonnes relations” avec les responsables locaux. La deuxième du fait de la complexité de l’organisation de telles implantations ainsi que des risques qu’elles peuvent comporter pour le personnel concerné.


On pourrait ajouter une troisième raison : les bailleurs de fonds ont rarement de comptes à rendre sur l’efficacité de leurs activités tant vis à vis de leurs autorités que du public dans son ensemble. La responsabilité d’éventuels déboires, détournements, ou faits de corruption est généralement attribuée - avec une certaine résignation - aux seules instances locales. Toutefois, les "scandales" à répétition rapportés par la presse finissent donner le sentiment que toute politique d’aide internationale ne peut déboucher que sur une impasse et que les fonds publics ainsi gaspillés pourraient être plus utilement employés pour d’autres objectifs.


Bien entendu, de multiples arguments de "real-politic” peuvent être évoqués à l’encontre de ces raisonnements qui peuvent être qualifiés de naïfs ou d'angéliques. Le principal d’entre eux est bien connu : si certains fournisseurs d’aide imposent des conditions de bonne gestion jugées trop contraignantes par les bénéficiaires, ceux-ci risquent de se détourner vers des donateurs moins scrupuleux qui s’accommoderont plus facilement des moeurs locales - voire les utiliseront à leur profit économique ou géo-politique. C’est effectivement un danger réel qui se matérialise de façon croissante dans plusieurs régions du monde - en particulier à l’instigation de puissances illibérales comme la Chine, la Russie, la Turquie, les pays du Golfe…


À cette objection, il n’y a qu’une réponse - de caractère politique : si l’aide aux pays en difficulté a tout d’abord un caractère humanitaire, elle vise aussi à créer ou rétablir le fonctionnement de régimes et sociétés démocratiques et stables, respectueux des droits et intérêts de tous les citoyens. Et cette exigence commence par la bonne, régulière et juste distribution de l’aide au profit des populations grâce à une bonne coopération entre donateurs et bénéficiaires.


On aura compris que - mutatis mutandis - ce raisonnement peut aussi s’appliquer à l’aide que fournit l’UE à ses propres Etats membres même si les risques de pertes ou de fuites sont à une échelle moindre. Et que, en Europe, le “donateur” doit se montrer plus exigeant encore sur le respect des règles élémentaires de régularité et d’honnêteté (2).


Jean-Guy Giraud



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(1) Gérard Araud Le Point

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