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LA NÉCESSAIRE MAIS DÉLICATE DÉFENSE DES VALEURS DE L'UNION



La Commission ne peut pas exiger la transformation de la Hongrie en une démocratie libérale suédoise en échange du plan de relance

Cette remarque réaliste prêtée à un diplomate européen illustre bien le dilemme dans lequel se trouve l’UE face à la persistance de contestations et de violations occasionnelles de certains des principes et normes (les “valeurs” fixées par l’article 2 du Traité) sur lesquels est bâti tout l’édifice européen. Plus de douze ans après leur adhésion à l’Union, il faut bien constater que - à des degrés divers - certains nouveaux Etats membres en particulier n’ont pas réussi à assimiler, assurer et sanctuariser suffisamment le respect de ces normes de base : protection des droits individuels, indépendance et bon fonctionnement de la justice, liberté de la presse, lutte contre la corruption et la fraude, stabilité du système politico-démocratique, …(1) D’autre part, les mêmes problèmes se posent - souvent de façon plus aigüe encore - dans certains des Etats des balkans candidats à l’adhésion (2). Les tentatives des Institutions pour limiter ces dérives sont elles-mêmes parfois contestées par les autorités des pays concernés - jusqu’à remettre éventuellement en cause les bases constitutionnelles de l’UE en refusant de reconnaitre la primauté du droit européen et le caractère contraignant des arrêts de la Cour de Justice. De fait, les moyens dont dispose l’Union pour s’opposer à cette involution sont limités. Les auteurs des traités n’envisageaient probablement pas que, du moins parmi les Etats fondateurs, ces principes puissent être l’objet d’attaques systémiques - et le fait est qu’ils en furent épargnés jusqu’à une date récente. D’autre part, la protection des droits de l’homme était plutôt du ressort parallèle du Conseil de l’Europe et assurée par la Convention signée en 1950 et entrée en vigueur en 1953. Lorsque, en 2001, l’UE décida d’annexer aux traités une Charte des droits fondamentaux, elle reprit presque textuellement le contenu de cette Convention. Pour ces raisons, les outils dont l’Union est dotée pour faire respecter ses valeurs ne sont pas directement adaptés à un tel objectif. En premier lieu - et contrairement à d’autres organisations internationales comme le Conseil de l’Europe ou les Nations unies - elle ne prévoit pas de procédure d’expulsion d’un de ses Etats membres pour quelque raison que ce soit (3). Dès lors, les seules sanctions disponibles résultent de l’activation de trois procédures distinctes :

  • article 7 TUE : c’est le Traité d’Amsterdam (1997) qui a instauré cette clause - à présent fameuse - prévoyant un mécanisme complexe de "sanction pour violation grave des “valeurs” de l’Union" par un Etat membre. Mécanisme qui ne peut aboutir qu’à “”la suspension de certains droits découlant de l’application des traités à cet Etat membre, y compris les droits de vote de (son) représentant au sein du Conseil”. Ce qui présente l’avantage d’offrir une large gamme de mesures punitives (y compris financières) jusqu’à la sanction maximale d’exclusion du processus de décisIon. Toutefois, on sait que l’exigence d’unanimité pour son déclenchement en réduit fortement l’efficacité au cas où un seul autre Etat y opposerait son veto par solidarité ou par opportunité.

  • articles 258/260 TFUE : il s’agit de la procédure générale dite de “manquement” qui permet à la Commission de constater qu’ "un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités” et d’attraire cet Etat devant la CJE. Le cas échéant, la Cour peut alors dans un premier temps reconnaitre ce manquement et, dans un deuxième temps, “infliger le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte”. Parmi les “obligations” visées figure implicitement celle du respect des “valeurs” fixées par l’article 2 TUE. Toutefois, sur le plan strictement juridique, la démonstration d'un manquement de ce type n’est pas toujours aisée à effectuer au vu du caractère très général des “règles “ à respecter. D’autre part, infliger des sanctions de nature financière pour une infraction à des “valeurs” peut apparaitre quelque peu décalé voire incongru.

  • règlement sur "la conditionnalité liée à l’état de droit" pour l’accès aux fonds de l’UE (Décembre 2020) : on sait que ce règlement a été adopté à l’occasion du lancement du Plan de relance post-COVID en vue de protéger les fonds européens contre une utilisation irrégulière de ceux-ci par un Etat membre du fait de carences graves et généralisées de son “état de droit”. Il permet de bloquer ou d’interrompre la mise à disposition de ces fonds dans les cas où la les mécanismes nationaux de contrôle s’avèrent globalement insuffisants pour prévenir ou sanctionner par exemple des cas de fraude ou de corruption. L’entrée en vigueur effective de ce règlement a été de facto suspendue dans l’attente de la confirmation de sa légalité par la CJE qui en a été saisie : une affaire qui pourrait s’avérer “mal engagée” (4).

Difficiles donc à mettre en oeuvre, ces diverses “sanctions” risquent aussi d’envenimer certaines situations. Les responsables politiques concernés peuvent être tentés de les présenter à leurs opinions comme des manifestations d'une attitude mal informée, intrusive, irrespectueuse voire hostile de la part de l’Union - d’autant plus que leurs répercussions financières pénaliseront inévitablement certains secteurs économiques subventionnés par les fonds européens. L’affaire s’avère donc délicate et l’UE doit pouvoir disposer d’autres leviers, atouts ou perspectives :

  • faire preuve de retenue sur des questions sociétales nouvelles et clivantes qui font l’objet de vives controverses très médiatisées,

  • poursuivre les efforts de conseil et d’aide aux réformes qui devraient finir par produire progressivement des effets positifs,

  • tabler sur le fait que le renouvellement démocratique des dirigeants devrait permettre des changements d’attitude plus ou moins rapides et durables,

  • escompter que des évolutions générationnelles, éducatives et sociologiques viennent d’elles mêmes constituer un terrain plus favorable aux réformes,

  • plus concrètement, s’impliquer d’avantage dans le suivi en continu de l’utilisation des fonds européens plutôt que de se limiter à des contrôles ex posts (notamment en matière de fraude)(5).

À l’heure où de graves conflits entre l’UE et deux de ses Etats membres (Pologne, Hongrie) demeurent suspendus et susceptibles de dégénérer, un savant équilibre entre les menace de sanctions et les tentatives d”apaisement et de conciliation doit être trouvé. Sans que, pour autant, soient remis en question des principes de base tels que le respect des règles fixées par les traités ou la primauté du droit de l’UE. L’Europe doit faire face à bien d’autres problèmes d’une toute autre ampleur sur les plans environnemental, sanitaire, économique, diplomatique, sécuritaire … face auxquels son unité et sa solidarité doivent être assurées et même renforcées. Parallèlement, l’évolution progressive des esprits devrait permettre de consolider le socle interne des “valeurs” sur lequel repose tout l’édifice. Jean-Guy Giraud 01 - 08 - 2021 _________________________________ (1) bien que non mentionnés explicitement, les principes d’honnêteté et de responsabilité (au sens d’”accountability”) des dirigeants sont aussi une des bases indispensables du système ... (2) voir notamment la surprenante situation relative au traffic de drogue : https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/30/dans-les-balkans-les-gangs-au-c-ur-d-un-systeme-d-etat_6090027_3451060.html?xtor=EPR-33280936-[international]-20210730-[_titre_1]&M_BT=56016629842466 (3) cf. article 8 du statut du Conseil de l’Europe et articles 5, 6 et 19 de la Charte de l’ONU (4) voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/budget-et-état-de-droit-une-affaire-mal-engagée-suite-1

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