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LA CJE ET LES "TAX RULINGS"



La Cour de Justice européenne vient de rendre le 16 septembre 2021 un arrêt important sur le sujet des “tax rulings” (en français : "rescrits fiscaux").


On sait qu’il s’agit des régimes fiscaux préférentiels que consentent certains Etats membres à des entreprises - souvent des multinationales de type GAFA - afin de faciliter leur implantation sur le territoire national. Cette pratique - outre qu’elle affecte les ressources budgétaires nationales - est susceptible de fausser le bon fonctionnement du marché intérieur au sein de l’Union ainsi que la libre concurrence entre les entreprises.


En l’absence d’harmonisation à l’échelle européenne des systèmes nationaux d’imposition des sociétés (1), l’UE ne dispose pas de moyens directs pour mettre en cause ces "tax rulings”. C’est donc par le biais de la politique de concurrence qu’elle peut tenter d’en limiter les effets au cas par cas dans la mesure où ces avantages fiscaux peuvent être considérés comme des aides d’état incompatibles avec les règles fixées par les traités (2).


L’arrêt de la CJE du 16 septembre 2021 a pour effet - pour la première fois - de juger qu’un système de tax rulings tel que celui utilisé en Belgique pouvait être en soi mis en cause, indépendamment des cas particuliers des entreprises bénéficiaires. Par cet arrêt, la CJE a cassé celui du Tribunal européen qui n’avait pas retenu ce grief présenté par la Commission (3).


Cet arrêt est généralement considéré comme une avancée dans la lutte contre les paradis fiscaux au sein de l’UE car il pourrait ouvrir la voie à une mise en cause plus large des législations fiscales nationales concernées.


Pour autant, la constatation par la CJE - saisie par la Commission - que certains régimes fiscaux sont susceptibles de donner lieu à des aides d’état illégales sera sans effet direct sur les législations nationales. Mais elle pourrait ouvrir un brèche dans la citadelle des “tax rulings” qui n’ont jusqu’ici été mises en cause qu’à l’occasion d’affaires concernant des entreprises particulières.


Même si cette approche indirecte du plus vaste problème de la “concurrence fiscale” inter-étatique peut avoir son efficacité, cette question ne peut véritablement être réglée que de façon plus générale par la voie d’une réforme fiscale au niveau européen et même international. C’est précisément ce qui est actuellement recherché tant au sein de l’Union que de l’OCDE : les premiers résultats des négociations en cours devraient être connus dans les prochains mois.


Il est cependant improbable que les travaux de l’OCDE débouchent rapidement sur une disparition généralisée des “tax rulings” de diverses natures. L’UE serait bien avisée de ne pas relâcher ses efforts au seul niveau européen - et cet arrêt de la CJE devrait l’y encourager.


La voie royale vers l’indispensable harmonisation fiscale au sein de l’UE est tracée depuis bien longtemps : c’est la suppression de la procédure spéciale de vote en matière d’harmonisation fiscale (unanimité du Conseil, consultation simple du PE) et son remplacement par la procédure législative normale (majorité au Conseil, co-décision avec le PE). En dépit des déclarations de la Commission et de plusieurs Etats membres (dont la France et l’Allemagne) cette affaire reste bloquée - et même le PE hésite à franchir le pas (4).


Les premiers résultats des consultations citoyennes qui précèdent la Conférence sur l’avenir de l’UE montrent qu’une forte proportion de l’opinion serait favorable à une telle réforme - bien les questions institutionnelles aient été implicitement écartées du débat (5). On verra si l’occasion sera saisie par les Institutions pour mettre enfin formellement cette question à l’ordre du jour.


(Le résumé de l’arrêt de la CJE peut-être consulté ici.


Une explication du dossier examiné par l’OCDE se trouve ici.





Jean-Guy Giraud 17 - 09 - 2021


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(1) les traités ne prévoient pas de compétence de l’Union en matière de fiscalité directe (sur les personnes ou les entreprises). Il permet par contre l’harmonisation de la fiscalité indirecte (par exemple la TVA) mais sous réserve de l’accord unanime du Conseil (article 113 TFUE).

(2) Article 107 TFUE : “ … sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats (…) qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises …”

(3) à noter que l’arrêt de la CJE ne préjuge pas de la légalité du système belge de tax rulings ni de celle des aides ainsi accordées à diverses entreprises. L’affaire a été renvoyée au Tribunal pour un nouveau jugement sur le fond qui devra tenir compte de la position de la CJE

(4) l’initiative en reviendrait à la Commission des Affaires Constitutionnelles (AFCO) - mais celle-ci n’a toujours pas délibéré sur les réformes de la gouvernance de l’UE qui devraient être abordées par la Conférence. Voir : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/conférence-en-attente-de-la-position-du-pe-sur-la-réforme-de-la-gouvernance-de-l-union

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