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L’ÉTAT DE DROIT ET LA CJE



Le Conseil européen du 19 Novembre 2020 vient à nouveau d’échouer dans sa tentative de conciliation - à présent célèbre - de la protection de l’”état de droit”.


Une association de la CJE au dispositif ?

Ce blocage persistant du mécanisme “état de droit” - lui- même lié au Budget/Plan de relance - par trois Etats membres pourrait-il être résolu par une disposition permettant une association de la CJE au dispositif ?


D’après la presse, le Premier Ministre hongrois estimerait que seule une intervention “neutre” du pouvoir judiciaire pourrait protéger un Etat contre une décision "à caractère politique” (lire : arbitraire) du Conseil.


Effectivement, le mécanisme proposé confie à la Commission la responsabilité 1. d’établir si un Etat se trouve en situation de violation de l’état de droit - et 2. de proposer au Conseil de le sanctionner au vu du constat qu’elle a effectué.

Il en est d’ailleurs de même pour la procédure de l’article 7 TUE (violation grave et persistante des valeurs de l’UE) où l’ensemble du dossier est entre les mains du Conseil.


Dans ce deuxième cas, la décision du Conseil (cad des autres Etats membres) doit être prise à l’unanimité - tandis que, dans le premier, il suffit d’un vote à la majorité qualifiée.


On voit donc que ces deux mécanismes sont effectivement basés sur une décision finale d’un organisme non juridictionnel - et foncièrement “politique" de par sa composition, sa procédure et même sa mission.


(A contrario , si on fait une analogie avec la procédure générale de “manquement” de l’article 260 TFUE, on voit que dans ce cas l’instruction est confiée à la Commission - mais que la décision appartient à la Cour.)


Il est vrai qu’un Etat ainsi sanctionné pour violation de l’état de droit pourrait toujours intenter a posteriori devant la Cour un recours contestant la légalité de cette sanction sur la forme comme sur le fond. Il peut même, par une procédure de référé, bloquer ab initio la mise en oeuvre de cette sanction jusqu’au jugement sur le fond. Mais la “condamnation” serait publiquement prononcée avec toutes les conséquences (bonnes ou mauvaises selon les points de vue) que l’on imagine.


(À noter que cette possibilité de recours est d’ailleurs - très exceptionnellement - interdite dans le cas de la procédure de l’article 7 ainsi que le stipule le Traité lui-même à l'art. 269 TFUE)


Une (difficile) réflexion supplémentaire

Dès lors, l’objection du gouvernement hongrois en elle-même mériterait peut-être une réflexion supplémentaire : ne serait-il pas opportun de faire intervenir d’une manière ou d’une autre la Cour (par nature impartiale et a-politique) dans le processus de sanction (par exemple à l’issue de l’instruction)?


A cet égard, on rappellera que le projet de Traité instituant l’Union européenne de 1984 (“projet Spinelli”) - ancêtre de l’article 7 TUE - confiait à la Cour la tâche de "constater des cas de violation grave et persistante des dispositions du Traité” tout en laissant au Conseil la décision finale de sanction (sans préciser la nature du vote : majoritaire ou unanime) (1).

Il reste cependant que l’association ex ante de la Cour au mécanisme “état de droit” pose un problème de fond. La CJE est un juge et non un arbitre - encore moins un organe d’expertise. Elle prononce des jugements et ne donne des avis que dans des cas très limités (accords internationaux par exemple). Lui demander d’effectuer une sorte d’enquête puis de constat préalables - ou même de valider ceux de la Commission - ne ressort pas, en principe, de ses prérogatives.


L’affaire est donc délicate - mais mériterait peut-être un examen plus approfondi de la part des services juridiques de la Commission et du Conseil.


Désamorcer la bombe Budget-Plan de relance

Si une solution pouvait être trouvée, elle aurait pour mérite d’atténuer le caractère très (trop ?) “politique” du mécanisme en y associant une forme de contrôle juridictionnel préalable finalement bienvenu. Surtout, dans l’immédiat, cela permettrait de désamorcer quelque peu la ‘bombe” budgétaire allumée par les trois États membres qui pourraient ainsi lever leur veto sans se désavouer vis à vis de leur opinion publique ni affaiblir la position de leurs dirigeants vis à vis de partis politiques plus extrémistes - deux préoccupations probablement déterminantes dans le cas d’espèce pour les gouvernements en place.


Ajoutons in fine que toutes autres solutions du type du recours à la procédure de coopération renforcée ou à un accord intergouvernementalapparaissent assez irréalistes et inopportunes s’agissant de questions aussi fondamentales et complexes que le budget pluri-annuel et le Plan de Relance. Et rappelons que la légitime “protection des intérêts financiers” de l’UE - point de départ de l’”affaire” - peut être assurée par d’autres moyens jusqu’ici trop peu utilisés ...(2)


Au total une affaire mal engagée (3) : s’il suffisait d’un règlement pour modifier d’un coup l’ensemble des structures administratives et juridictionnelles ainsi que les moeurs politiques et sociétales de certains états membres, que ne l’aurait-on fait plus tôt ! Notamment en s’élargissant à marche forcée - pour des raisons géo-politiques - à de nombreux nouveaux états (notamment post-communistes), l’Union a pris le risque de voir sa “diversité” compromettre son “unité”. Ce considérable défi doit évidemment être relevé. Il faudra pour cela autant de diplomatie que de patience. Peut-être aussi, de la part des “autres “états membres, une conception plus communautaire qu’intergouvernementale de la conduite des affaires de l’Union.


Jean-Guy Giraud 21 - 11 - 2020



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