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BREXIT ET SERVICES FINANCIERS : L'ÉVASION ET LA LESSIVE



Alors que se poursuivent les négociations post-Brexit - hautement techniques et peu accessibles - entre les autorités britanniques et la Commission sur la libre circulation des services financiers entre l’UE et le RU, deux nouveaux rapports d’ONG et de Think Tank jettent une lumière crue sur deux “particularités” du système financier liées au Royaume : l’évasion fiscale par l’intermédiaire de paradis fiscaux situés dans l’orbite britannique et le recyclage de capitaux d’origine douteuse via les établissements financiers de la City et des mêmes paradis.

Bien que les négociations liées au Brexit ne concernent pas directement ces deux questions, il semble difficile de considérer qu’un accord puisse intervenir sans que celles-ci ne soient prises en compte par l’UE. Une ouverture réciproque des marchés ne semble en effet possible que si l’UE est en mesure de se prévenir des conséquences éventuelles sur son territoire des pratiques d’évasion fiscale et de recyclage de capitaux liées à - ou au sein de - son voisin britannique très actif sur le marché européen.

Une évasion fiscale ...

C’est l’ONG “Tax Justice Network” (TJN) qui - à l’occasion de son rapport annuel 2021 - révèle l’imbrication du RU dans “la toile mondiale des Paradis Fiscaux” (1) dont la définition de base figure dans le rapport (2). Cette toile - qui gravite autour de la City - est principalement constituée de “ territoires britanniques" et de “dépendances de la Couronne” dont les activités financières demeurent sous l’autorité ou le contrôle de Londres.

Selon TJN, ces deux entités seraient responsables de plus du tiers (33,9%) du total de “ la fraude à l’impôt” mondiale - estimée à 245 milliards de dollars. Les principaux coupables étant trois "territoires britanniques d’outre-mer" : les Iles Vierges, les Iles Caïmans et les Bermudes - suivies de Jersey, Guernesey et l’Ile de Man (au total 28,13%). Auxquelles s’ajoutent les “dépendances" des Bahamas et de l’Ile Maurice (5,6%). Le RU lui-même contribuant directement à la fraude pour un modeste 3,1%. Un total impressionnant de 37%.(3)

(Il convient d’ajouter - même si ce n’est pas ici notre propos - que plusieurs Etats membres de l’UE figurent aussi dans la liste des paradis fiscaux pour des montants non négligeables par exemple les Pays-Bas (5,5%), le Luxembourg (4,1%), l’Irlande (3,3%). On sait d’ailleurs qu’une bonne partie de la fraude fiscale au sein de l’UE transite par les paradis britanniques.)

… et une lessive des capitaux ...

L’autre rapport mentionné ci-dessus concerne le rôle joué par la City dans le recyclage de certains capitaux étrangers liés à l’évasion fiscale, au blanchiment, à la fraude et, éventuellement à la criminalité.


Il a été établi par Chatam House pour le cas particulier la "Russian Dirty Money” (4) - mais pourrait tout aussi bien s’appliquer à d’autres Etats de provenance, étant donné le libéralisme” (“light touch”) de la législation et du contrôle britanniques en la matière. Les autorités considèrent en effet qu’il appartient aux opérateurs eux-mêmes de vérifier l’origine et la destination des capitaux qui leur sont confiés et qui, le plus souvent, transitent brièvement par leur intermédiaire.


Le volume considérable des opérations concernées (5) par rapport au bilan global des établissements impliqués (banques et fonds d’investissement), la relative simplicité et la forte rentabilité de ces opérations, la concurrence féroce que se livrent entre eux les gestionnaires et leurs nombreux collaborateurs (traders, lawyers, accountants, etc…), expliquent la croissance exponentielle de cette activité. Un "marché“ par ailleurs alimenté par une source inépuisable de fournisseurs (souvent individuels) de toutes origines (Russie, Chine mais aussi des Etats en développement d’Afrique, Amérique latine, Asie, …).


… qui ne peuvent être ignorés par l'UE

Tant pour des raisons déontologiques que proprement financières, l’UE ne peut guère tolérer que ces circuits frauduleux transitent, à l’avenir, par son propre marché ou même l’impacter indirectement. Dans ce domaine aussi, Bruxelles devra donc obtenir du RU les garanties nécessaires dans le cadre - ou en marge - de la négociation en cours.

Au vu des fortes orientations (ultra)libérales et dérégulatrices du Gouvernement britannique en place, cette négociation d’ensemble sur les services financiers risque de s’avérer particulièrement ardue. D’autant plus que ce Gouvernement a montré sa volonté de s’affranchir d’accords déjà conclus (cf. le cas de la frontière d’Irlande du Nord). Mais il s’agit ici de questions sur lesquelles l’UE ne pourra pas se permettre de transiger. On attend donc avec impatience de connaitre le contenu du "Memorandum of Understanding” que doivent adopter les deux parties dans les prochaines semaines et qui ne pourra pas éviter d’évoquer ce type de questions (6).



Jean-Guy Giraud 10 - 03 2021

_________________________-

(2) "L’Indice des paradis fiscaux pour les sociétés classe chaque pays en fonction du degré de programmation des systèmes fiscaux et financiers du pays pour permettre aux multinationales de transférer leurs bénéfices hors des pays où elles exercent leurs activités et donc d’y payer moins d’impôts"

(3) La liste exhaustive des Etats concernés figure ici : https://cthi.taxjustice.net/en/

(4) voir la passionnante video.

(5) En 2018, le montant cumulé des “investissement” russes au RU était de 33 milliards de dollars - tandis que près de 80 milliards de dollars provenant directement de Russie s’étaient “investis” dans les paradis fiscaux britanniques sur la période 2008/2018 . Voir : https://www.theguardian.com/news/2018/may/25/how-britain-let-russia-hide-its-dirty-money


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