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LE RÔLE CONSTITUTIONNEL DE LA COUR DE JUSTICE EUROPÉENNE



Nous avons souvent souligné ici le rôle central que joue avec persévérance et sérénité la Cour de justice dans le fonctionnement institutionnel de l’Union et, par delà, dans la poursuite du projet européen dans son ensemble (1).

Deux arrêts récents illustrent, dans des domaines distincts, l’importance de ce rôle.

L’affaire Glyphosate

Le premier - le plus médiatisé - concerne la protection de l’environnement et de la santé.

Le 7 Octobre dernier, le Tribunal de l’UE a annulé deux décisions de l’Agence Européenne de sécurité des aliments (EFSA) refusant la publication d’études sur la toxicité (cancerogéninicité) du Glyphosate, un herbicide produit par la firme Monsanto (2).

Dans ses arrêts, le Tribunal confirme - pour la première fois de façon aussi explicite - qu’une Institution ou Agence de l’Union “ne peut pas justifier un refus de divulgation d’un document en faisant valoir les intérêts commerciaux d’une entreprise lorsque ces informations ont trait à des émissions dans l’environnement” et donc, potentiellement, à la santé publique.

Le refus de publication de l’Agence était en lui-même préoccupant car il mettait en cause l’indépendance de cette Agence par rapport tant aux États membres qui nomment les membres de son Conseil d’Administration qu’aux intérêts des sociétés productrices auxquelles sont liés certains des membres de ce Conseil (3).

Ces arrêts du tribunal (susceptibles de pourvoi devant la Cour de Justice) permettront sans doute d’accomplir un pas important non seulement dans la garantie d’indépendance de cette Agence mais aussi, par ricochet, de celles des nombreuses autres agences ou organes de l’Union.

Plus largement, ils sont susceptibles de conforter la confiance des citoyens dans l’action de l’UE pour la protection de la santé publique, protection parfois inégalement garantie par les organes nationaux d’évaluation et de contrôle.

L’affaire du Gouverneur de la Banque centrale de Lettonie

Moins remarquée que la précédente, cette affaire a pourtant une portée bien plus considérable parce que de nature constitutionnelle.

Pour la première fois dans l’histoire juridictionnelle de l’UE, la Cour de Justice européenne a en effet annulé une décision d’un État membre.

Si les Traités donnent à la Cour la possibilité de déclarer illégale au regard du droit communautaire une telle décision (procédure de manquement) ou de fournir une interprétation du droit communautaire (procédure de question préjudicielle) dans le même sens, cette action de la Cour n’a pas d’effet direct sur l’acte visé. Celui-ci ne peut être annulé que par une nouvelle décision de l'État concerné.

Or, l’arrêt de la Cour du 26/02/19 dans l’affaire concernant la suspension du Gouverneur de la Banque Centrale de Lettonie par le Gouvernement letton conclut à l’annulation pure et simple de cette décision estimée contraire au droit communautaire. Le détail des faits de cette affaire sont référencés ci-dessous (4).

Certains auteurs estiment que cette intervention directe de la Cour dans l’ordre juridique interne d’un État constitue un précédent jurisprudentiel de première grandeur.

Le fait qu’il soit intervenu dans le cadre spécifique du Statut du Système européen des banques centrales et en vertu d’une clause très particulière de ce Statut (qui donne au Conseil des Gouverneurs de la BCE la possibilité de contester devant la CJE une décision de révocation d’un Gouverneur national) ne saurait, selon ces auteurs, empêcher que ce pouvoir d’annulation soit étendu à d’autres cas, notamment lorsqu’il s’agit - comme dans la présente affaire - de “nouveaux organismes” dont la structure implique une certaine imbrication des ordres juridiques communautaire et national. Et ces auteurs de citer pour exemple les cas des "nouveaux systèmes" du Procureur Européen ou du Mécanisme de supervision bancaire.

Il faut s’attendre à de plus amples réactions et commentaires sur ce précédent - mais il était peut-être utile d’en relever dès à présent l’importance dans la mesure où il confirme une fois de plus le rôle central de la Cour au sein du système institutionnel de l’UE .

Jean-Guy Giraud 14 - 03 - 2019

(3) tant le Parlement que la Cour des Comptes ont souligné à plusieurs reprises le risque de conflits d’intérêts que comportent ces liens

(Pour rappel, le Gouverneur Ilmars Rimsevics a été “interdit d’exercer ses fonctions" le 19/02/2018 par l’autorité lettone compétente suite à une mise en accusation pour faits présumés de corruption)


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