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LE CHOIX EXIGEANT DES FUTURS COMMISSAIRES



La nomination du futur Président de la Commission suscite - à juste titre - de nombreux débats et spéculations.

Mais l’attention commence aussi à se porter sur le choix des 26 futurs commissaires.

La crainte que certains gouvernements cherchent à imposer des candidats reflétant leur propre orientation politique (éventuellement eurosceptique) ou contraints par une sorte de mandat impératif, commence à se faire jour. Crainte particulièrement justifiée au vu de la composition de plusieurs de ces gouvernements et de leur conception du rôle et de l’indépendance des Institutions européennes.

Les garanties juridiques fournies par le Traité

Il peut donc être utile de rappeler les dispositions des Traités qui ont pour but précisément de garantir cette indépendance autant que faire se peut.

La règle principale est fixée par l’article 17§3 TUE qui dispose :

Les membres de la Commission sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance

Compétence, engagement européen, indépendance : si ces trois critères sont, par nature, de caractère assez général, ils fournissent tout de même une base juridique pour barrer la route à des candidats qui ne les rempliraient manifestement pas. Peuvent d’ailleurs - de facto - s’y ajouter d’autres critères relatifs à la position des candidats envers certaines des “valeurs” garanties par le Traité (1).

Une procédure par étapes

Le Traité fixe ensuite une procédure de nomination (2) en quatre étapes successives permettant un certain filtrage des candidats:

  • chaque État membre présente une “suggestion" de candidature : si aucun contrôle a priori n’est exercé sur ces suggestions, il est clair que les États concernés éviteront, dès ce stade, de proposer des personnes susceptibles d’être fortement contestées dans la suite de la procédure,

  • le Conseil adopte la "liste des candidats" : cette décision est prise à la majorité des voix, permettant ainsi à un groupe d’États de s’opposer au choix d’un ou plusieurs candidats contestables,

  • le Président élu de la Commission doit donner son accord à cette liste : il dispose ainsi d’un droit de veto sur l’un quelconque des candidats suggérés par un État et avalisé par le Conseil. Cette disposition est fondamentale car elle confie cette possibilité de refus à une seule personne qui peut en user librement et qui, de fait, engage ainsi sa responsabilité dans la composition d’un collège “compétent, engagé et indépendant”,

  • le Parlement européen approuve la liste ainsi constituée : cette adoption est faite par un vote à la majorité simple mais elle est précédée par une audition des candidats devant les commissions parlementaires, en fonction des “portefeuilles” envisagés par le Président pour chaque candidat. L’expérience a montré que ce “screening” est effectué sans concession et peut donner lieu au rejet - et au remplacement - de certains candidats. L’audition est publique et basée sur un questionnaire exhaustif portant notamment sur le critère de compétence mais aussi, le cas échéant, sur la question des “valeurs” exposée ci-dessus (3).

Des réalités politiques incontournables

On voit ainsi que les auteurs du Traité ont pris toute les garanties possibles pour assurer la nomination d’une Commission capable d’exercer au mieux ses fonctions.

Toutefois, il est clair que l’application de ces règles constitutionnelles se heurte inévitablement à des “réalités politiques” fortes à tous les niveaux de la procédure :

  • dans le choix des candidats par les Gouvernements en place (souvent dictés par des considérations de politique intérieure à un moment donné),

  • dans les pré-négociations entre les États, notamment sur la hiérarchie des postes et la répartition des portefeuilles, lesquelles sont pourtant juridiquement de la seule compétence du Président,

  • dans la répartition des candidatures entre les différents courants politiques européens (particulièrement sensible au niveau du Parlement),

  • dans les arbitrages inter-étatiques qui peuvent prendre en compte des nominations extérieures à la Commission (Présidence du Conseil, de la BCE, etc …).

  • dans des exigences nouvelles telles que celle de la parité des genres, particulièrement complexe à mettre en oeuvre, etc …

Des règles relatives à l’exercice du mandat

C’est probablement en pleine conscience de ces réalités que le Traité a également fixé des règles sur le fonctionnement du collège une fois en place (4).

La règle de base est que “la Commission exerce son mandat en pleine indépendance (…) Les membres de la Commission ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, organe ou organisme."

De même, "ils s’abstiennent de tout acte incompatible avec leurs fonctions ou l’exécution de leurs tâches”.

Ces engagements juridiques et déontologiques font d’ailleurs l’objet d’un serment individuel et solennel devant la Cour de Justice européenne.

Leur violation peut entrainer - de la part du Parlement - une motion de censure de l’ensemble du collège, voire une invitation au Président de la Commission "à retirer sa confiance" à un commissaire en cas de “conflit d’intérêt”.

Au vu de la situation politique actuelle au sein de l’Union, on peut sans doute s’attendre - à l’automne 2019, plus encore que par le passé - à un robuste affrontement entre les principes et le droit d’une part et les réalités politiques d’autre part. Beaucoup dépendra de la personnalité du nouveau Président de la Commission mais aussi de la composition du nouveau Parlement. Il faut espérer que les responsables nationaux et européens seront conscients de leurs responsabilités dans la constitution du collège : tout l’équilibre de l’édifice institutionnel de l’UE est basé sur l’existence d’un exécutif aussi compétent, engagé, indépendant et fort que possible. Dans les circonstances nationales, européennes et internationales d’aujourd’hui, l’Europe a vraiment besoin d’un tel “gouvernement”.

Jean-Guy Giraud 03 - 02 - 2019


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