
Le phénomène de l'"overpay"
Parmi les facteurs qui pourraient entretenir le phénomène populiste constaté dans de nombreux pays occidentaux, la question de l'inégalité croissante des revenus est souvent mentionnée.
Sa manifestation la plus spectaculaire et la plus souvent dénoncée concerne l'explosion des revenus des dirigeants des grandes entreprises, comparés au revenu médian de leurs employés. Ce ratio a atteint des montants vertigineux (pouvant aller jusqu'à 800%), illustrant une spirale devenue hors de contrôle (1) et suscitant un sourd mais croissant sentiment d'injustice et de révolte dans l'opinion - au fur et à mesure de la publication officielle de chiffres jusqu'ici demeurés internes aux conseils d'administration.
De nombreuses études illustrent cette dérive qui revêt un caractère transnational à l'image des entreprises concernées - et qui, après les États-Unis, affecte à présent l'Europe.
Son impact sur l'opinion est aggravé par le fait que les autorités publiques semblent impuissantes à la maîtriser dans le contexte d'une économie de marché ouverte et mondialisée (2).
Celles-ci parviennent bien progressivement à mettre à jour le phénomène - mais, précisément, la combinaison transparence/impuissance n'en devient que plus explosive.
(…)
À Bruxelles ...
Au niveau européen, ni les barèmes salariaux ni les régimes fiscaux (imposition des revenus ou des sociétés) ne relèvent de la compétence de l'UE. De plus, les pratiques et les législations nationales diffèrent assez sensiblement les unes des autres - même si le phénomène d'"overpay" atteint des proportions comparables dans les pays les plus avancés comme l'Allemagne, le Royaume Uni, la France ou même l'Italie - du fait de la mobilité des dirigeants et de la perméabilité des pratiques managériales.
D'autre part, la question des rémunérations des dirigeants d'entreprise est généralement considérée comme une affaire interne à l'entreprise et un élément essentiel de la "liberté d'entreprise" reconnue par ... la Charte des droits fondamentaux de l'UE (art. 16) et par les principes de l' "économie de marché". Des travaux en cours au sein de l'OCDE visent tout au plus à inclure le thème de l'"overpay" parmi les "principles of corporate governance" et à conseiller la création de procédures internes et non contraignantes de "peer review" (comme cela a été tenté en France).
Si le phénomène est (pour l'instant du moins) incontrôlable et hors de toute compétence communautaire, pourquoi donc l'évoquer ici ? Essentiellement parce que, comme indiqué ci-dessus, il joue un rôle non négligeable dans le mécontentement populaire - surtout lorsque les revenus des classes moyennes, eux, sont affectés par la crise depuis bientôt dix ans. Mécontentement qui tend de plus en plus à se manifester par une adhésion aux thèses et mouvements populistes. Mouvements qui ont choisi de désigner clairement et violemment ... l'UE comme principale responsable - ou au moins complice - de ces "injustices" : "Bruxelles au service des patrons" est devenu un des slogans populistes lors des campagnes électorales en Europe.
Jean-Guy Giraud 18 - 12 - 2016
(1) On cite souvent à cet égard l'exclamation de ... Donald Trump lors de la campagne présidentielle américaine "The huge CEO salaries are a total and complete joke". De même, de nombreux articles de presse - y compris financière - ont dénoncé "the madness of executive pay" (https://www.ft.com/content/b3cee000-15d1-11e6-9d98-00386a18e39d)
(2) https://www.ft.com/content/0042a9ac-13a8-11e6-91da-096d89bd2173