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VERS UNE SANCTUARISATION DE LA DEPENSE COMMUNAUTAIRE - suite 5



A l’heure où des centaines de millions d’euros sont versés aux Etats membres dans le double cadre du budget annuel et du plan de relance post Covid, la question de "l'utilisation régulière" des fonds européens par les Etats membres refait surface.


En clair, c’est le problème lancinant de la fraude qui est à nouveau évoqué sur la base d’un énième rapport de la Cour des Comptes relatif, cette fois, à un outil spécifique de lutte : celui de la « liste noire » censée répertorier les individus, entreprises ou organismes publics coupables d’actes illégaux comme la fraude ou la corruption (1).


La Cour relève tout d’abord que ce sytème ne concerne que les dépenses gérées directement par la Commission et exclut donc près de 75% de celles gérées par les Etats membres eux mêmes (notamment les fonds agricoles, sociaux et régionaux). Elle constate ensuite que ce système, aussi limité soit-il, « n’est pas utilisé efficacement ». La responsabilité en incombe d’abord à la Commission du fait la mauvaise coordination de ses services et d’une absence de motivation pour exercer ce type de contrôle. D’autre part, la plupart des Etats membres sont eux-mêmes mal équipés pour suivre le parcours des fonds sur leur territoire et pour identifier les bénéficiaires ultimes. Certains Etats contestent même la compétence de la Commission dans le contrôle de la gestion nationale des crédits européens.


En fait, ce rapport ne vise qu’un aspect particulier du problème plus général du « contrôle par l’Union des fonds versés par l’Union ». En dépit des principes et règles de base fixées par les traités et par le règlement financier de l’UE, la bonne utilisation de ces fonds n’est finalement garantie ni par la Commission ni par les Etats membres.


Du côté de la Commission, on constate d’abord que ses moyens de contrôle sont insuffisants à cause du refus du Conseil de mettre en place des outils juridiques suffisamment contraignants pour les Etats. Mais on constate aussi que la Commission ne s’estime pas véritablement responsable de ce contrôle dont les Etats auraient principalement la compétence et la charge. Elle considère d’autre part que le contrôle communautaire est assuré - a posteriori - par d’autres organes tels que … la Cour des comptes, l’OLAF, Europol ou le Procureur européen.


Du côté des Etats, la plupart d’entre eux revendiquent - pour des raisons de souveraineté - la compétence exclusive de leurs organes propres de gestion et de contrôle des fonds européens. Or on sait que, dans un bon tiers des Etats, ces organes ne disposent pas des moyens nécessaires ou voient leur action entravée par le pouvoir politique, lui-même parfois complice de la fraude et de la corruption.


Un telle situation d’irresponsabilité apparait de moins en moins supportable à l’heure où différents « fonds » et « plans de relance » viennent accroitre considérablement le volume des crédits déversés par l’UE. Et ce d’autant plus que les moyens techniques de contrôle des dépenses au niveau européen comme national existent, notamment grâce à l’utilisation de nouveaux outils informatiques de « big data ». À l’occasion de la création du plan de relance post Covid, le Conseil a manqué une bonne occasion de mise à niveau du contrôle des fonds européens en se limitant à un règlement dit de « conditionnalité » d’un caractère très général.


Ce n’est d’ailleurs pas du côté du Conseil ni même de la Commission que l’on peut attendre une initiative forte et d’ensemble en la matière. Par contre, le Parlement européen - qui s’est montré beaucoup préoccupé et motivé par la question du contrôle de la bonne gestion des crédites européens - pourrait jouer un rôle déterminant. L’excellent travail de sa commission de contrôle budgétaire pourrait servir de base à une enquête approfondie et à des propositions de réformes de plus grande envergure. Eventuellement, une commission spéciale pourrait être chargée de relayer cette initiative. Le Parlement dispose d’autre part de certains outils de caractère plus général tels son droit d’initiative législative (2) voire son son pouvoir de proposition de révision des traités (3). Enfin, en cas de blocage de ces tentatives d’amélioration du système, le PE pourrait recourir à l’arme ultime : celle du refus de décharge sur l’exécution du budget général annuel (en fait celui de la Commission) - mettant ainsi en cause la responsabilité politique de la Commission.




Jean-Guy Giraud. 30 - 06 - 2022



NB cette note fait suite à une série précédente sur le même sujet : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/vers-une-sanctuarisation-de-la-dépense-communautaire-suite-4


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(2) l’article 225 TUE permet au Parlement de soumettre une proposition législative à la Commission - et l’article 325 TUE prévoit que le Parlement et le Conseil (statuant à la majorité qualifiée) peuvent arrêter toutes mesures relatives à la protection des intérêts financiers de l’Union dans les Etats membres comme dans les Institutions de l’Union.

(3) l’article 317 TFUE relatif à l’exécution du budget pourrait être modifié afin de confier de façon plus explicite à la Commission une responsabilité de contrôle pleine et entière sur l’ensemble des fonds européens


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