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UKRAINE : QUELLES PERSPECTIVES POUR SON ADHÉSION À L'UE ?



Une des principales motivations du "grand élargissement » de l’UE en 2004/2006 était d’ordre géo-stratégique. Il s’agissait d’arrimer les anciens pays du bloc soviétique au camp occidental et de les protéger de l’influence russe. Parallèlement, ces pays furent d’ailleurs, pour la même raison, admis au sein de l’alliance atlantique. À la lumière de l’attitude offensive et interventionniste de la Russie poutinienne développée depuis 2012, cette stratégie s’est avérée justifiée comme le démontre l’invasion de l’Ukraine en 2022 .


Il semble bien, en effet, que seule l'appartenance de ces pays à l’UE et à l’OTAN les ait - jusqu’ici du moins - protégés du nouvel impérialisme russe, lequel s’est, de fait, « limité » aux pays limitrophes demeurés en dehors de ces deux organisations (Ukraine, Biélorussie, Géorgie, Moldavie). L’UE a d’ailleurs, depuis 2009, développé ses relations avec ses derniers dans le cadre du « partenariat oriental » dans le même but de les rapprocher de l’Ouest européen sans pour autant envisager leur adhésion au « club ».


L’agression russe en Ukraine - tant par son ampleur que par sa violence - va inévitablement conduire l’UE à envisager plus rapidement que prévu l’opportunité et la faisabilité d’un renforcement de ce partenariat en vue de bloquer - ou au moins de freiner - l’expansionnisme délibéré et déclaré du régime poutinien.


D’ores et déjà, la question de l’adhésion pleine et entière de l’Ukraine à l’UE est posée. Celle-ci a déposé officiellement sa demande de candidature, le Conseil européen s’est engagé à l’examiner et le Parlement européen s’y est déclaré favorable. La question de son entrée dans l’alliance atlantique a été, au contraire, provisoirement écartée.


Mais cette perspective d’adhésion pose de sérieux problèmes de diverses natures.


Le plus évident et le plus immédiat tient à l’évolution et à l’issue du conflit lui-même - pour l’instant imprévisibles. Tout dépend en effet à la fois du rapport de force militaire sur le terrain et des choix stratégiques de la Russie - c’est à dire de ses dirigeants actuels. L’éventualité d’une occupation durable de l’ensemble du territoire ukrainien - un temps envisageable - ne semble plus d’actualité. Celle d’une emprise russe renforcée sur tout ou partie de la région du Dombass ainsi que de la rive Est (Mariopol) de la Mer Noire est, à l’heure actuelle, considérée comme la plus probable. Pour autant, l’arrêt des hostilités - c’est à dire de la résistance prolongée des forces et du Gouvernement ukrainien - ne peut pas être garanti. Une situation de guerre larvée et durable ne saurait donc être exclue. Dans de telles circonstances, la question de l’adhésion de l’Ukraine s’en trouverait reportée sine die. En toute hypothèse, il est clair que la Russie demeurerait fortement opposée à cette adhésion et qu’elle pourrait même la considérer comme une provocation pouvant légitimer des mesures de rétorsion contre l’UE et ses Etats membres.


À supposer que ces obstacles puissent être franchis d’une manière ou d’une autre, se posera pour l’UE la question des conséquences internes d’une adhésion d’un pays tel que l’Ukraine. Du fait de sa position géographique, de son histoire, de sa situation économique et sociale, etc … l’entrée de ce pays dans l’Europe risque de s’avérer bien plus problématique que celle, déjà laborieuse, des ex- pays communistes entrés en 2004/2006. La taille même de l’Ukraine (600.000 km2 et 45 millions d’habitants) en ferait le 3ème ou 4ème « grand » État membre de l’UE et impliquerait un ébranlement potentiel des équilibres politiques, institutionnels, budgétaires, etc… au sein de l’Union. Il faudrait donc, pour le moins, prévoir une longue période de transition tant pour la mise à niveau du nouvel Etat membre que pour l’adaptation de la gouvernance institutionnelle de l’UE elle même.


Il serait même légitime de s’interroger sur les conséquences de nature existentielle de cette adhésion sur l’UE.


Le passage de l’UE17 à l’UE27 a été - et demeure plus de 10 ans après - une épreuve redoutable pour l’unité et la solidarité de l’Union dans son ensemble. Sa marche vers l’intégration politique et économique, telle que fixée par les traités depuis l’origine, s’en est trouvée freinée voire remise en cause. La perspective confirmée de l’adhésion prochaine de plusieurs pays des Balkans (théoriquement au nombre de 6) est à l’évidence susceptible d’aggraver ces difficultés. D’autre part, certains pays du partenariat oriental (tels que la Moldavie et la Géorgie) se sont joints à la demande d’adhésion de l’Ukraine. Théoriquement se dessinerait ainsi une « nouvelle Union » de près de 36 Etats membres dont une bonne partie (près de la moitié) originaires de l’Europe de l’Est et du Sud Est, anciennement liés au bloc soviétique. Une telle translation géo-stratégique, économique, sociale, culturelle, etc … serait, en fait, susceptible de modifier la nature même de l’Union - du moins dans sa conception originelle et encore actuelle.


Pour toutes ces raisons, il serait peut-être opportun d’envisager pour l’Ukraine - du moins à terme - une solution alternative ou intermédiaire à celle de l’adhésion.


Il serait par exemple possible de procéder à un renforcement significatif de l’accord d’association UE/Ukraine conclu en 2014 dont les potentialités demeurent encore largement sous-exploitées. Dans ce cadre pourrait au surplus être inséré une sorte de plan Marshall de reconstruction des structures urbaines et industrielles du pays, largement dévastées par l’armée russe ainsi qu’un soutien financier à l’Etat ukrainien. Conjointement, une déclaration officielle de solidarité politique et de soutien à l’indépendance et à l’intégrité de l’Ukraine pourrait être solennellement signée par l’Union.


Une troisième voie pourrait aussi être examinée : celle de la création d’une nouvelle forme d’association entre l’UE et certains Etats tiers tels que l’Ukraine. Une nouvelle catégorie d’ « États affiliés à l’UE » pourrait être instituée permettant à ceux-ci de participer à - et bénéficier de - certaines politiques communes de l’Union (énergie, agriculture, infrastructures, recherche, …) au même titre que les États membres, sans pour autant être insérés dans le processus institutionnel et décisionnel de l’UE. Souvent envisagée dans le passé (cf. la « Conférence européenne » proposée par le Président Mitterand dès 1989 peu avant la dislocation de l’URSS), cette voie n’a en fait jamais été vraiment explorée avant qu’il ne soit procédé au grand élargissement. Serait-il encore aujourd’hui opportun d’y réfléchir plus avant pour l’Ukraine et, éventuellement, pour d’autres Etats du partenariat oriental ? La question mériterait au moins d’être posée.


On le comprend : la sauvagerie de l’injustifiable agression russe provoque une émotion légitime dans le monde et tout particulièrement en Europe. Cette agression est au surplus de nature à provoquer une grave déstabilisation géo-stratégique régionale et peut-être internationale. Et l’Union européenne est naturellement appelée à jouer un rôle de premier plan pour contenir les conséquences de ce phénomène. Pour autant, elle doit aussi tenir compte des limites de sa propre capacité de réaction et de la nécessaire protection de l’avenir de son propre projet politique, précisément initié pour garantir la sécurité et la stabilité de l’Europe à l’issue de la « guerre civile » de 1939/1945.



Le Conseil européen a transmis à la Commission l’acte de candidature de l’Ukraine et celle-ci a déjà fait parvenir sa réponse au « questionnaire » préliminaire qui lui a été adressé. La Commission semble disposée à prendre position dans de brefs délais, sans attendre l’issue du conflit. Il est probable qu’elle propose d’octroyer à l’Ukraine le statut de candidat tout en soulignant la difficulté particulière de l’exercice. Sans doute proposera-t-elle également des mesures transitoires telles que le renforcement de l’accord d’association et une aide à la reconstruction du pays. Le Conseil européen devra alors se prononcer à l’unanimité et certains États membres pourraient se montrer réticents.


Cet exercice risque malheureusement se dérouler sans que les conséquences (à court, moyen et long terme) d’une adhésion de l’Ukraine (et éventuellement de la Moldavie et de la Géorgie) sur le fonctionnement et sur la nature même de l’Union ne soient précisément prises en compte, comme ce fut le cas lors des précédents élargissements. La question à examiner est aussi claire qu’essentielle : comment maintenir les objectifs fondamentaux de l’Union face à une extension continue de son territoire et du nombre de ses Etats et à une diversité accrue des peuples qui la composent ? L'UE doit s’acquitter dans l’urgence de son obligation morale et confraternelle vis à vis de la nation et des citoyens ukrainiens. En même temps, elle doit aux citoyens européens d’assurer la pérennité du système qui les unit et les protège (1).



Jean-Guy Giraud 20 - 04 2022

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NB Ci-dessous des liens vers certaines des multiples analyses de la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE :


pour une adhésion (graduelle)


  1. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0052_EN.html Résolution PE : " Calls for the EU institutions to work towards granting EU candidate status to Ukraine, in line with Article 49 of the Treaty on European Union and on the basis of merit, and, in the meantime, to continue to work towards its integration into the EU single market along the lines of the Association Agreement;


les problèmes posés par une adhésion


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