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UE ET OTAN : "ENCORE UN MOMENT, MONSIEUR LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS”



Le conflit russo-ukrainien est une parfaite démonstration - en creux, à ce stade - de l’extrême dépendance stratégique de l’UE vis à vis de l’OTAN (1).


Lors des différents sommets UE/G7/OTAN des 24 et 25 Mars 2022, en particulier, c’est autour du Président Jo Biden que les dirigeants européens se sont regroupés en implorant celui-ci de renforcer massivement et de toute urgence le dispositif militaire de l’Alliance sur son flan Est. Et l’on a bien vu que, pour les Etats agressés (Ukraine) ou menacés (Moldavie), leur sécurité ne pouvait être assurée que par leur future adhésion à l’OTAN.


À l’inverse, aucune mention n’a été faite de l’UE en tant qu’organisation susceptible de prendre en charge elle-même la sécurité de ses propres Etats membres. Et ce, alors même que ceux-ci sont expressément liés par une clause d’assistance mutuelle en cas d’agression extérieure de l’un d’entre eux. Lors du Conseil européen, la seule réaction notable a été de nature institutionnelle et déclarative : l’adoption d’une boussole stratégique relative à l’évolution souhaitable de la politique étrangère de l’Union. Quelques initiatives de caractère plus opérationnel ont aussi été annoncées ou récemment lancées - mais sans commune mesure avec l’ampleur d’une menace telle que concrétisée par le conflit ukrainien.


L’OTAN reste donc très clairement, pour la plupart des Etats membres - et de fait pour l’Union elle-même - “le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en oeuvre”.


Cette doctrine n’a donc pas évolué depuis les … trois quarts de siècle écoulés depuis la création de l’OTAN en 1949. Alors même que les rapports de force mondiaux se sont complètement transformés et que, en particulier, les Etats-Unis ont manifesté de façon croissante leur souhait de désengagement stratégique de l’Europe.


Si le conflit ukrainien s’était déroulé seulement trois ans plus tôt - cad lors de la présidence de Donald Trump - la situation aurait été beaucoup plus périlleuse. Le soutien diplomatique et stratégique des Etats-Unis - cad de l’Alliance elle-même - aurait été beaucoup plus incertain et donc moins dissuasif vis à vis de la Russie.


Pour cette même raison, on peut s’interroger sur la situation de l’Alliance dans les toutes prochaines années au regard des échéances électorales américaines de 2022 (élections parlementaires de mid-term) et de 2024 (élection présidentielle). On peut en effet prévoir que le probable renforcement du camp républicain - porté par une opinion de plus en plus conservatrice et nationaliste - sera susceptible d’affecter l’engagement des Etats-Unis sur le terrain européen et donc d’affaiblir l’Alliance.


À cet égard, la récente analyse d’un ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis (Mr. Gérard Araud) mérite d’être citée :


“Nul ne doute que les républicains reprendront la majorité dans au moins une des deux chambres aux élections législatives de novembre 2022 (…) Au sein du Parti républicain, le camp trumpiste l’a emporté et y entretient les théories les plus absurdes, du vaccin à l'Ukraine(…)

De son côté, la gauche se perd dans des batailles identitaires (loin des) préoccupations quotidiennes des classes populaires (…)

Dans ce vacarme médiatique, Biden est largement inaudible (…) Le président n’a pas réussi à maintenir l’unité du Parti démocrate, qui se déchire entre modérés et gauche (…) Le sortant pourra-t-il se représenter, vu son âge (il aura 82 ans fin 2024) ? Sa vice-présidente, Kamala Harris, ne convainc personne, et aucun candidat crédible n’apparaît du côté démocrate alors qu’en face Trump prépare sa revanche (…) “.


Et il est peu probable que cette situation de dépendance de l’Europe évolue quelle que soit l’issue du conflit ukrainien.


Si l’offensive russe devait finalement réussir et que l’Ukraine toute entière tombe sous domination russe, la protection de l’OTAN apparaitrait comme plus vitale encore pour l’UE. Si elle échouait - ou “se limitait" à l’occupation du Donbass - l’OTAN serait considéré comme un des facteurs décisifs de la dissuasion vis à vis de la Russie. Dans les deux cas, même pour les Etats membres de l’Union les plus soucieux de “souveraineté stratégique européenne”, la réaction sera sans doute : “souverains nous devons l’être, mais pas tout de suite : encore un moment, s’il vous plait, M. le Président des Etats-Unis”.


Il faut donc se résoudre à une poursuite lente - à “une longue marche” - de la construction d’une défense européenne crédible et autonome. Ce sera surtout dans d’autres domaines - tels que l’énergie, les hautes technologies, l’agriculture, ... - que des progrès plus rapides vers une autonomie européenne renforcée seront accomplis pour tenir compte des autres leçons de la crise ukrainienne. L’unité et la solidarité manifestées par les 27 face à cette crise faciliteront peut-être - si elles persistent - cette relance d’ordre économique.


L’Europe n’a certes pas à rougir de son tropisme pacifiste et libéral, conforme à un modèle universel idéal, tel qu’énoncé par la Charte des Nations Unies à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Ce modèle lui a permis d’assurer 70 années de paix intérieure. Mais, pour le préserver dans le nouveau monde du XXI ème siècle, elle devra se donner un jour les moyens de le défendre.



Jean-Guy Giraud


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