La semaine prochaine, la Commission devrait dévoiler ses propositions précises pour le cadre financier pluri-annuel (CFP) pour la période 2021/2027 (1).
Alors que l’attention se portera principalement sur les dépenses - et notamment sur leur taux d’augmentation par rapport au CFP en cours (2014/2020) - la question des recettes ("ressources propres” : RP) risque de passer au second plan.
En fait, il est fort probable que le système actuel sera purement et simplement reconduit - alors même que, depuis une dizaine d’années au moins, chacun s’accorde à considérer que ce système devrait être profondément modifié.
A l’heure actuelle, les RP proviennent essentiellement de trois origines :
les droits de douane (RP DD) : 15 %
la TVA (RP TVA) : 12 %
les contributions nationales versées en pourcentage du revenu intérieur brut des Etats (RP RIB) : 71%
Ce panier est généralement considéré comme insatisfaisant car :
la RP DD est en constante et inexorable diminution,
la RP TVA est devenue trop complexe, ayant été dénaturée par de multiples rabais/compensations/plafonnements intervenus depuis sa création,
la RP RIB n’a pas le caractère d’une ressource propre mais constitue plutôt une sorte de subvention versée par les Etats membres à partir des budgets nationaux.
La Commission aurait l’intention de proposer :
le maintien de deux RP : DD et RIB (cette dernière étant réduite à environ 50% du total)
une “modernisation” (en fait une remise à plat) de la RP TVA
la création ex nihilo de nouvelles RP basées notamment sur trois sources de revenus : l’impôt sur les sociétés, la taxe carbone, le recyclage des déchets (2).
Mais, en pratique, ni la TVA modernisée ni aucune des nouvelles RP ne sont encore opérationnelles.
Les textes législatifs de base relatifs à ces quatre domaines n’existent pas et leur négociation entre les Etats membres se heurte à de profondes divisions politiques. Il y a donc fort à parier que ces textes ne seront pas prêts en temps utile pour l’incorporation des taxes afférentes dans le CFP 2021/2027.
Au total, il est probable que le prochain CFP n’incorporera que les RP existantes ( DD/TVA (ancien modèle)/RIB). Il est même possible que la RP TVA (ancien modèle) soit abandonnée pour cause d’obsolescence.
On se retrouvera alors avec près de 80% des RP basées sur la seule RP RIB - considérée unanimement comme la moins “communautaire” et, en fait, difficilement qualifiable de RP !
Comment en est-on arrivé là ?
De multiples rapports, livres blancs et résolutions du PE (3) ont pourtant - depuis des années - alerté la Commission et le Conseil sur la nécessité de réformer le système actuel des RP.
Mais les propositions de la Commission ont terriblement tardé et son projet de baser les RP sur de nouvelles recettes liées à des politiques communes - bien que louable - est également mal synchronisé et mal préparé.
D’autre part, Les Etats membres s’accommodent fort bien d’un système essentiellement basé sur la RP RIB - dans lequel ils ont le sentiment de garder le contrôle des ressources du budget de l'Union. Ils sont peu enclins à créer de nouvelles taxes (au surplus de caractère “punitif”) dont le produit, versé pour partie directement au budget, leur échapperait et dont le volume effectif resterait indéterminé.
Au total donc, un probable constat d’échec : l’impossibilité de mettre en oeuvre la règle fixée dès l’origine par les Traités :
"Le budget est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres.” (art. 311 TUE)
La situation actuelle et future serait mieux décrite par une inversion des termes :
“Le budget est, sans préjudice des ressources propres, intégralement financé par d’autres recettes”
Cet échec est symptomatique de la quasi-impuissance de l’UE 28/27 à accomplir quelque réforme de fond que ce soit - notamment lorsque celle-ci exige l’accord unanime des Etats (4) .
Le rêve des pères fondateurs (5) de voir un jour l’Union acquérir son autonomie et son indépendance financières (6) ressemble de plus en plus à un mirage (6).
Mais puisqu’il faut toujours, en conclusion, laisser une porte ouverte - comme on l’apprend dans les bonnes écoles - rappelons que l’UE dispose d’autres sources de financement basées sur plusieurs mécanismes d’emprunts/prêts (BEI, plan Juncker, …). Globalement, le volume financier de ces mécanismes est comparable à celui du budget. Peut-être s’agit-il finalement d’un système d’avenir qui pourrait un jour remplacer le vieux modèle du “budget” … Mais c’est un autre débat.
Jean-Guy Giraud 29 - 04 - 2018
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NB Pour une analyse critique du mécanisme législatif d’adoption du CFP voir : https://www.taurillon.org/LE-CADRE-FINANCIER-PLURIANNUEL-DE-L-UE-UNE-PROCEDURE-A-REVOIR,06036
(1) voir doc de travail : https://drive.google.com/file/d/1Hhzxw2BCTp0hx43LQDR6da-Kp-Sfd0AF/view
(2) d’autres sources de revenus comme les droits de seigneurage de la BCE sont également évoquées (le plus souvent pour mémoire)
(3) lors de l’adoption du CFP 2014/2020, le PE avait conditionné son approbation à une réforme du système des RP avant 2021. Il avait également commissionné un important et ambitieux rapport sur le sujet (rapport Monti).
(4) rappelons que le CFP est adopté “à l’unanimité” par le Conseil (art. 312 §2) - en pratique par le Conseil européen. Il en est de même pour la création de nouvelles RP (art. 311al.3).
(5) Rappelons que la CECA (des 6 Etats membres …) était principalement financée par une authentique RP : un prélèvement assis sur la production de charbon et d’acier.
(6) Il reste toutefois possible que, dans le courant 2021/2027, l’une ou l’autre des “nouvelles recettes” puisse être finalisée et prise en compte - par exemple à l’occasion de la révision prévue à mi-parcours du CFP. Mince espoir en vérité au vu des constants renvois à moyen/long terme de toute réforme du système.
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