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LA “BALKANISATION" DE L’EUROPE



“Balkanisation : Dislocation d’un État en petits États indépendants. Fig. Morcellement, émiettement d’un ensemble” (dictionnaire de l’ Académie française)


La plus récente actualité de l’UE nous fournit deux exemples d’un phénomène qui évoque bien celui d’une “ balkanisation” de l’union d’Etats que constitue l’Europe communautaire. Ou, pour reprendre la devise européenne, des exemples d'une évolution vers toujours plus de “ diversité" et toujours moins d’ “unité”.



De Varsovie ...

Le premier exemple est celui de la Pologne dont la Cour constitutionnelle, à la demande du gouvernement, vient de mettre en cause l’un des principes fondamentaux de l’Union : la primauté du droit européen sur le droit national.


Bien qu’extrême, ce cas est assez représentatif d’une évolution constatée depuis le passage de l’UE18 à l’UE28 - cad depuis les élargissements successifs de la première décennie du siècle.


L’intégration politique, économique, sociétale de la plupart de ces nouveaux Etats membres dans l’Union s’est avérée beaucoup plus difficile que prévu. La cause principale a sans doute été l’incapacité de ces Etats à se doter de régimes politiques stables et démocratiques en conformité avec le “pacte" et le “modèle" implicitement fixés les traités fondateurs. Dans de nombreux cas, le pouvoir effectif a été accaparé par des élites souvent corrompues des anciens Etats communistes, peu concernées par la construction européenne (sauf sous l’angle budgétaire) et s’opposant même à celle-ci au nom de la préservation de la souveraineté nationale mais aussi, plus récemment, de la défense de certaines de leurs propres valeurs sociétales ou morales. En bref, des régimes souvent de type populiste, incompatibles avec une véritable intégration dans le “moule” européen. Et, loin de se résorber progressivement, cette déviation semblerait au contraire s’accentuer si bien que l’on frôle le constat d’échec.


Il en est par ailleurs résulté de nombreux problèmes de fonctionnement de l’UE elle-même à tous les niveaux. Sa capacité décisionnelle s’en est trouvée affaiblie par la difficulté croissante à réunir des majorités au sein du Conseil et la quasi-impossibilité d’obtenir des consensus sur les grandes décisions ou orientations renvoyées de plus en plus au Conseil européen. De même, toute perspective de nouvelles adaptations des règles de base (et notamment des traités) afin de poursuivre le processus d’intégration a dû être pratiquement abandonnée. L’Union a ainsi pris d’avantage l’aspect d’une zone de libre échange - confortée par de généreuses dotations budgétaires - plutôt que d’une entité politique structurée, unie et solidaire comme l’envisageaient ses Etats membres dès l’origine et jusqu’au début des années 2000.


Ainsi, le pas décisif franchi par la Pologne peut-il être interprété comme la révélation et l’affirmation publiques d’une conception différente de l’Union qui pourrait être partagée plus ou moins ouvertement par plusieurs des autres nouveaux Etats membres - ou plutôt leurs classes politiques et dirigeants au pouvoir. (1)



… à Brdo

Le deuxième exemple tout récent du risque croissant de balkanisation de l’UE nous est fourni par le Sommet de Brdo (5/10/21) lors duquel la perspective d’adhésion à l’UE de six nouveaux Etats (des Balkans précisément ...) a été une fois de plus confirmée. Même si aucune date n’a toujours été fixée et si certains Etats membres ont manifesté une certaine "fatigue d’élargissement” (2)- la voie vers une UE33 reste tracée. Seul l’état actuel de quasi-délabrement politique, économique et social de la plupart des nouveaux candidats est susceptible de freiner ce processus. Ce nouveau délai a d’ailleurs été compensé par la promesse de nouveaux soutiens financiers (dont on peut espérer que le contrôle sera mieux assuré qu’au sein de l’UE elle-même …).


Son aboutissement - même différé - ne pourra à l’évidence qu’alourdir le plateau “diversité” de la balance au détriment de celui de l’”unité” et d’enfouir encore plus le projet initial européen. Certains chefs d’Etat comme le Président français ont souligné ce danger et appelé à un renforcement préalable de l’édifice (3). Mais on voit mal comment - déjà au niveau de l’UE26 - un accord sur un quelconque renforcement pourrait être obtenu. Sauf peut-être à officialiser des mécanismes de différenciation ou d’avant garde en débat depuis plusieurs lustres mais toujours aussi incertains. En vérité, le seul échappatoire à la probable paralysie d’action commune européenne dans une UE33 se situera en dehors du cadre institutionnel et prendra la forme de coopérations inter-gouvernementales à la carte. Une évolution d’ailleurs déjà largement entamée dans plusieurs domaines, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité.



Tout ceci pour souligner un étrange paradoxe.

On sait que la motivation principale de ces élargissements est d’ordre géo-politique : conserver tous les anciens Etats communistes dans l’orbite européen pour éviter qu’ils ne tombent sous la domination de grandes puissances hostiles (même très éloignées géographiquement …) telles que la Russie, la Turquie ou… la Chine. Mais on constate aussi que les élargissements consécutifs ont pour effet d’affaiblir - de "balkaniser” - le bloc ou le groupe ainsi distendus face aux mêmes grandes puissances ! D’autre part, il est de moins en moins évident - au vu de l’expérience - que l’adhésion à l’UE puisse entrainer per se une stabilisation et une démocratisation des régimes politiques concernés, voire même une disparition des conflits et rivalités entre ces Etats eux-mêmes .


Au total, une situation fort inconfortable - parfois qualifiée d’"effet accordéon” (4) - dont l’issue détermine véritablement “l’avenir de l’europe” - … mais dont l’examen n’est pas à l’ordre du jour de la Conférence du même nom.





Jean-Guy Giraud 10 - 10 2021


NB Le syndrome de “balkanisation” a aussi été évoqué dans le contexte du séparatisme de certaines provinces intérieures de plusieurs Etats membres de l’UE tels que l’Espagne, le Royaume Uni, la Belgique ou même la France (voir Jean-Claude Piris, "L'Union Européenne et les sécessionnismes régionaux : la résistible balkanisation de l’Europe - FRS - 2015)


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(1) plusieurs dirigeants soutiennent le concept d’une Union liée au seul marché intérieur et dirigée par … le Conseil européen (“I don’t want the EP - we must strengthen the European Council, where leaders, prime ministers and presidents sit "(M. Babis).

(2) mais pas l’Allemagne de Mme Merkel insistant la nécessité pour l’UE de "tenir ses promesses" (et d’élargir encore son marché intérieur ?)

(3) renforcement d’ailleurs prévu par le - très oublié - quatrième critère de Copenhague de 1993 : "La capacité d’intégration de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan d’intégration européenne constitue également un élément important répondant à l’intérêt général aussi bien de l’UE que des pays candidats”.



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