La Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale vient d’adopter un rapport - présenté par Jean-Louis Bourlanges - sur le processus d’élargissement de l’Union (1).
C’est la 3ème partie de ce rapport intitulée « Réviser la procédure d’élargissement « qui nous intéresse ici.
Il y est en effet proposé de réviser profondément la procédure actuelle avant d’entamer - ou de poursuivre - des négociations avec les 9 Etats (pré)candidats.
La nouvelle procédure se déroulerait en 3 étapes successives intitulées :
l’engagement politique,
l’acculturation administrative,
l’adhésion à part entière.
Une étape préalable nouvelle : l’engagement politique
Cette proposition est tout à fait novatrice. C’est elle qui nous intéresse principalement ici.
Chaque candidat devrait prendre - sous une forme solennelle - un engagement moral et institutionnel sans équivoque tant vis à vis de lui-même que de ses futurs partenaires et des Institutions de l’Union.
Ces engagements porteraient sur les points suivants :
proclamation d’une volonté de bon voisinage, de confiance mutuelle et de gestion solidaire des problèmes avec tous les Etats de l’Union (donc dépassement des contentieux et conflits passés ou actuels)
souscription à la Charte des Droits fondamentaux ainsi qu’à toutes les dispositions des traités relatives à l’État de droit
adhésion aux principes fondateurs du système institutionnel de l’UE et notamment : vote à la majorité qualifiée, respect des Institutions communes, primauté du droit européen
adoption d’un plan pluriannuel de développement de la démocratie et des libertés, ainsi que de lutte contre la corruption
déclaration de solidarité diplomatique et militaire au sein de l’UE - acceptation de ses orientations de politique étrangère (« la boussole stratégique ») - et adhésion à la clause de défense mutuelle (art. 42§7).
Cet engagement constituerait et consacrerait l’adhésion politique de chaque candidat aux principes et objectifs de l’Union. Et il lui ouvrirait la porte - en tant que membre associé - du Conseil Européen.
On ne saurait sur-estimer la valeur et la portée de cette proposition.
Elle est bien sûr motivée par les profondes déconvenues subies par l’UE après le grand élargissement de 2004/2006 suite à l’attitude de plusieurs nouveaux Etats membres remettant en cause des principes et règles de base de l’UE ainsi que - finalement - l’unité et la solidarité de l’ensemble.
Le fait même d’inviter chaque candidat à souscrire à un tel engagement politique avant même d’entamer (ou de poursuivre) le processus technique d’adhésion permettrait à ses dirigeants et à son opinion de prendre pleinement conscience des obligations qu’ils s’apprêtent à assumer.
Et notamment de faire mieux apparaitre que l’UE n'est pas une simple organisation économique, commerciale, financière et … budgétaire - mais aussi et surtout un mode solidaire de démocratie libérale.
Une fois un tel engagement solennellement et publiquement assumé, il est permis d’espérer que les gouvernements successifs de nouveaux Etats membres hésiteront avant d’enfreindre les règles concernées.
Une étape progressive d’ "acculturation administrative »
Dès la signature de l’accord politique, l’État candidat pourrait - selon certaines conditions - bénéficier des politiques communes compatibles avec sa situation économique, sociale et administrative. Cette étape serait gérée « en régate » c’est à dire en fonction des situations respectives des candidats - plutôt qu’ » en bloc » comme ce fut le cas lors du précédent « grand élargissement ».
Une étape finale : l’adhésion à part entière
A l’issue d’un contrôle technique sur l’état de préparation du candidat assuré par la Commission - puis d’une vérification politique menée conjointement par le Parlement et la Commission - le candidat accèderait à la participation pleine et entière aux Institutions (2)
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Ce rapport passe également en revue d’autres aspects du processus renforcement/élargissement (dans cet ordre) :
le triple défi auquel est confrontée l’UE : son identité, sa gouvernance, sa position géopolitique,
l’impact de la guerre en Ukraine qui impose à l’UE un renversement de ses priorités, la politique prenant le pas sur l’économique comme moteur de l’intégration,
la nécessité de se conformer au « 4ème critère de Copenhague » : celui de la capacité de l’UE à intégrer de nouveaux États membres,
la nécessité de gérer l’hétérogénéité croissante de l’espace européen (le nombre, les inégalités économiques, les différents degrés de maturité démocratique des États).
l’exigence d’une révision préalable des traités.
Chacun de ces différents points mériterait une analyse distincte du fait de la clarté et de l’honnêteté intellectuelle de leur présentation.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ce rapport parlementaire de prendre ses distances avec les précautions diplomatiques habituelles qui affaiblissent les rapports des Institutions ou organes gouvernementaux.
On y retrouve avec plaisir la « patte », les convictions, l’expérience et l’acuité d’analyse de l’ancien parlementaire européen Jean-Louis Bourlanges, passionné des questions institutionnelles - et aujourd’hui Président de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale.
Son rapport devrait être soumis à la plénière en Novembre 2023. Il n’est pas certain que le Gouvernement - prévoyant les objections tant des candidats que de certains États membres - reprenne à son compte ses préconisations - notamment celle relative à l’exigence d’un engagement politique préalable des États candidats.
Mais la tonalité même de ce texte pourrait renforcer la position de négociation de la France sur un point central : l’élargissement de l’UE est bien une nécessité stratégique prioritaire pour la France comme pour l’Union. Mais à deux conditions préalables de première importance : que soient simultanément assurées l’adhésion des nouveaux Etats au projet politique européen d’une part et la capacité du système communautaire à gérer et maintenir l’unité et la solidarité d’une UE élargie d’autre part.
Il faudra revenir ici sur ce texte tonique et hardi qui exprime ouvertement des analyses que partagent secrètement bien des milieux diplomatiques européens - ainsi d’ailleurs que sur un entretien de Jean-Louis Bourlanges sur ce même sujet (3).
Jean-Guy Giraud
11 - 09 - 2023
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(2) "La méthode est de fractionner la procédure en trois phases : déclaration solennelle et reconnaissance des droits fondamentaux et des principes fondateurs de l’Union européenne ; extension graduelle des politiques de l’Union aux nouveaux adhérents en fonction de leur capacité à en bénéficier ; adhésion solennelle, qui se traduit par la participation aux institutions communes. Cette dernière représente l’aboutissement du processus."
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