Le New York Times (…) daté du 3 novembre 2019 publie une enquête explosive intitulée:
“Farm land grabbing"
Il explique, en résumé, comment “une gros morceau des 65 milliards de subventions agricoles de l’UE sert à renforcer les puissants, à enrichir les politiciens et à nourrir la corruption". (1)
Ce sont essentiellement les nouveaux États membres du centre et de l’est de l’UE - en particulier la Hongrie de Victor Orban et la République tchèque d’Andrej Babis - qui font l’objet de cette enquête. Sont aussi visées la Bulgarie et la Slovaquie.
S’appuyant sur des cas précis, l’article relate comment dans les anciens États du bloc soviétique où le gouvernement possédait une grande partie des terres agricoles, des dirigeants tels que le Premier Ministre hongrois, Victor Orban, ont attribué ces terres à des alliés politiques et à des membres de leur famille” - et profité ainsi des subventions européennes.
Il est expliqué que, lors de l’élargissement de 2004/2006, "les dirigeants européens étaient conscients des problèmes que poserait l’intégration des anciens satellites soviétiques - mais n’ont jamais vraiment réalisé le risque de corruption lié au programme de subventions agricoles”. Comme le résume un témoin cité par le NYT : “They thought they would change us - but they were not prepared for us".
À l’appui de son enquête, le NYT cite deux rapports de source européenne qui corroborent ce phénomène :
une étude externe commanditée par le PE intitulée "Importance de la captation des terres agricoles dans l’UE” , visant essentiellement “les États membres de l’Europe de l’Est” (2)
un rapport de la Cour des Comptes qui relève la faiblesse du contrôle de l’UE (en pratique de la Commission) sur l’acquisition des terres ainsi que sur les mécanismes et circuits de paiement des subventions agricoles par les États membres (3).
La PAC post-2020 en question
On sait qu’une (énième …) révision de la PAC est actuellement proposée par la Commission concernant “la politique agricole commune pour la période post-2020” . Cette réforme envisage notamment, dans une optique de simplification et de décentralisation, de confier aux États membres une plus grande liberté dans la gestion des programmes et des fonds européens.
La Cour des Comptes, dans le rapport cité, a émis de sérieuses réserves sur cette orientation "susceptible d’affaiblir la responsabilité de la Commission” et de laisser aux États membres "le soin de définir en pratique les règles d’éligibilité applicables aux bénéficiaires finaux des financements” (4).
Il sera intéressant de voir comment le Parlement européen - réagissant notamment à des enquêtes du type de celles du NYT - réagira à cette nouvelle orientation.
Comment concilier décentralisation et contrôle ? Plus généralement - et par delà les errements constatés dans le domaine agricole tels qu’illustrés par l’enquête du NYT - on voit à nouveau apparaitre une question lancinante qui concerne la plupart des politiques de l’UE. C’est celle de la difficulté de concilier deux objectifs :
celui de la nécessaire décentralisation des politiques communes pour tenir compte de la diversité des situations spécifiques et disparates dans une Union élargie - mais aussi pour répondre à l'aspiration croissante des États à préserver une marge d’autonomie/souveraineté aussi large que possible dans la gestion de ces politiques,
celui de préserver la cohérence et les objectifs globaux des politiques - et de conserver un contrôle centralisé sur la régularité des financements fournis par l’UE alors que les phénomènes de fraude ou de corruption tendent à s’amplifier.
Une question certes un peu théorique et d’importance diverse selon les domaines - mais qui se pose de façon insistante dans une Union toujours en voie d’élargissement et - du moins en principe - d’intégration.
Jean-Guy Giraud 04 - 10 - 2019
___________________________ (1) NYT (https://www.nytimes.com/2019/11/03/world/europe/eu-farm-subsidy-hungary.html) "Under Communism, farmers labored in the fields that stretch for miles around this town west of Budapest, reaping wheat and corn for a government that had stolen their land.Today, their children toil for new overlords, a group of oligarchs and political patrons who have annexed the land through opaque deals with the Hungarian government. They have created a modern twist on a feudal system, giving jobs and aid to the compliant, and punishing the mutinous.These land barons, as it turns out, are financed and emboldened by the European Union."
(2) Etude du Parlement européen https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2015/540369/IPOL_STU(2015)540369_EN.pdf
"Preliminary evidence indicates that farmland grabbing is concentrated in Eastern European Member States.
The lack of transparency around land deals in the EU and the discrepancies between official records and local realities show that control over extended tracts of land does not simply occur through the routine functioning of land markets alone but implies an “extra-economic force” as well . The term extra-economic force refers to special conditions offered by state-apparatuses (at national, regional and/or local level), good political connections, full support of governors, and to practices of “skirting the law”, such as “pocket contracts” in Hungary."
3) Cour des comptes"The Commission remains ultimately responsible for implementing the budget (9), including the payments made within Member States, according to the rules set out in EU legislation, and those parts of CAP strategic plans required by EU regulation. We understand the proposal as having the impact of weakening Commission accountability over this.
The Commission proposal would not provide a basis for an ‘attestation’ approach to the statement of assurance, which we are currently considering. Under the proposal, the Commission would no longer be able to quantify the extent to which payments breached rules. The proposal would also make it harder to apply a single audit approach, notably because of the reduced role for certification bodies.
(4) NYT : " with the farm bill up for renewal this year, the focus in Brussels isn’t on rooting out corruption or tightening controls. Instead, lawmakers are moving to give national leaders more authority on how they spend money
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