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LE DANGEREUX PRÉCÉDENT DE L'AFFAIRE PHIL HOGAN


La démission du Commissaire Phil Hogan a été abondamment commentée par la presse et il suffit ici de reprendre les trois documents officiels disponibles :

  1. la déclaration de la Présidente de la Commission qui prend acte de la démission.

  2. la déclaration de démission du Commissaire.

  3. les explications données par le Commissaire.


Par delà les considérations de politique intérieure irlandaise, les excès de langage des medias et même la (forte) personnalité du Commissaire concerné, les remarques suivantes peuvent être faites sur cette question :

  • le caractère mineur, voire anodin, des faits (aucune procédure judiciaire ne semble avoir été initiée) par rapport à la gravité des conséquences de cette démission sur le plan institutionnel européen,

  • le fait que le Gouvernement irlandais ait “exigé” - sans aucune autorité pour le faire - la démission du Commissaire en le plaçant sur le même plan qu'un Ministre ou d’un haut responsable national,

  • l’acceptation tacite - ou perçue comme telle - de la part de la Présidente de la Commission qu’il s’agissait d’une affaire irlando-irlandaise dont il valait mieux ne pas se mêler, 

  • la perception erronée - de la part des autorités et de l’opinion irlandaises - de M. Hogan comme le “Commissaire irlandais” alors que tout membre de la Commission devient indépendant dès sa nomination et s’engage même sous serment “à  n'accepter d’instructions d’aucun gouvernement” (art. 17§3 TUE). 

(Notons tout de même qu’il ne semble pas que la Présidente de la Commission ait fait usage de son droit de demander à M. Hogan de présenter sa démission (art. 17§6c TUE). Il semble que celui-ci l’ait présentée sous sa seule responsabilité - tout en niant avoir significativement et délibérément contrevenu aux consignes de sécurité sanitaire (très évolutives) du pays dans lequel il se trouvait.)  Au total, il est clair que M.Hogan a été victime d’une campagne de presse de type populiste à laquelle le (fragile) gouvernement en place n’a même pas essayé de résister. Campagne d’ailleurs dirigée contre l’ensemble de la classe politique irlandaise et transformée en une nouvelle “GolfGate” (1) dont M.Hogan a subi les effets collatéraux en dépit de son “extra-territorialité”.  À présent, le poste de Commissaire devenu vacant va devoir être rapidement pourvu - pour la durée du mandat restant à courir - en application des dispositions de l’article 246 TFUE. Cela implique en particulier que :

  • le gouvernement irlandais émette une “suggestion” pour le poste,

  • le Conseil, d’un commun accord avec la Présidente de la Commission, désigne le candidat choisi par eux,

  • le Parlement européen approuve ce choix.

Il appartiendra ensuite à la seule Présidente de décider du mandat qui sera confié au nouveau membre.  Autrement dit, et contrairement à la plupart des commentaires, la désignation du nouveau Commissaire n’appartient pas au Gouvernement irlandais mais aux Institutions européennes. Et il est regrettable que la presse et l’opinion nationales situent ce choix dans le cadre aléatoire de la politique intérieure du pays en évaluant les chances respectives des différents poids lourds de la classe politique (2). Plus qu’un simple incident (regrettable mais finalement assez dérisoire), cette affaire risque de constituer un dangereux précédent affaiblissant l’indépendance individuelle des Commissaires et collective de l'Institution par rapport aux gouvernements. Déjà, les modalités de nomination de la Commission von der Leyen avaient sérieusement écorné ce principe fondamental d’indépendance de l’exécutif européen (3).  Il ne faudrait pas qu’à présent chacun des commissaires se sente dépendant (“accountable”) de la fluctuation de la situation politique - ou de l’appréciation mouvante des medias-  “du pays qu’il connait le mieux”. Ce serait à la fois contraire à la lettre et à l’esprit du Traité et un handicap majeur pour le rôle central que celui-ci confie à l’Institution. NB : un article de Jean Quatremer (Libération) - consulté après l’envoi de la présente note - aboutit aux mêmes conclusions.

Jean-Guy Giraud  28 - 08 2020 


______________________________________ (1) voir la précédente affaire - dite de “Golf Connection” - liée aux scandales financiers et immobiliers de 2018 : http://regards-citoyens-europe.over-blog.com/2016/02/the-golf-connection-le-krach-bancaire-irlandais.html (2) Certains commentaires tendent à disqualifier par avance une candidature “bureaucratique” - en l’occurrence celle d’un ancien haut fonctionnaire irlandais de la Commission particulièrement expérimenté et qualifié - voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_O%27Sullivan (3) voir Rapport Schuman sur l’Europe 2020 : "Nomination de la Commission : une interprétation extensive des règles du Traité" - Jean-Guy Giraud   https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/ouvrages/sommaire_rs2020.pdf

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