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LE CONSEIL EUROPÉEN VEUT-IL/ PEUT-IL FIXER LE PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ DANS L'UE ?



Dans un entretien publié par le journal « l’Echo » belge du 2 septembre 2022 (1), le Président du Conseil européen, M. Charles Michel, estime que l’UE doit prendre très rapidement des mesures pour stopper ou limiter la hausse des prix de l’énergie en Europe et - en particulier - celle du prix de l’électricité. Cette hausse est une des principales causes de la flambée inflationniste dans l’UE, elle même facteur de graves problèmes économiques et sociaux.


M. Michel insiste en particulier sur l’urgence de ces mesures et sur la nécessité d’une réforme du système de fixation des prix aujourd’hui indexée sur le coût de l’électricité produite à partir d’hydrocarbures (notamment importées de Russie).


Si cette analyse est aujourd’hui largement et objectivement partagée dans les milieux scientifiques, la manière dont M. Michel l’exprime est assez inhabituelle.



M. Michel accuse la Commission ...

Il accuse en effet la Commission de tarder à présenter les propositions à caractère législatif nécessaires pour permettre la réforme du système : «Je réitère l’impatience des membres du Conseil européen pour que, le plus rapidement possible, la Commission mette des propositions sur la table ». Et il la somme même de présenter ces propositions avant la prochaine réunion du Conseil européen prévue le 9 septembre 2022 en ajoutant que ce retard crée des tensions au sein du Conseil.


Implicitement, il accuse aussi la Commission de tenter de se substituer au Conseil (européen) en s’efforçant de réunir un consensus entre les Etats membres avant même de présenter son projet de révision du système : « Nous ne demandons pas à la Commission de faire le travail du Conseil. C’est au Conseil de faire l’unité pour décider ». Et il ajoute : «l’argument des divergences entre les États membres ne peut être un argument pour la Commission, car les États membres lui ont unanimement demandé de faire des propositions».


… ce qui appelle quelques remarques institutionnelles

Sur la forme au moins, cette intervention de M. Michel appelle quelques remarques :

  • il n’appartient pas au Conseil européen d’exiger de la Commission la présentation d’une proposition législative (et encore moins de lui fixer des délais) : la Commission doit exercer son droit d’initiative législative en toute indépendance,

  • lorsque la Commission aura présenté son texte, il n’appartiendra pas au Conseil européen de l’adopter, l’amender ou le refuser : son rôle se limitera à définir des «orientations ou des priorités générales » (art. 15 TUE) sur la question concernée. Le travail législatif sera accompli par le co-législateur c’est à dire le binôme Parlement/Commission,

  • le reproche fait à la Commission de tenter de réunir un consensus des Etats avant même de présenter ses propositions n’est pas injustifié : c’est là une pratique de plus en plus courante de l’exécutif qui peut être critiquée. Elle risque en effet d’aboutir à des blocages de l’initiative législative ou à des arbitrages a priori qui affaiblissent ses propositions,

  • toutefois, dans la réalité des choses au sein de l'UE27, les textes qui exigent un vote unanime du Conseil (et c’est le cas pour la décision concernée, au moins pour son volet fiscal) doivent bien être préparés en tenant compte de cette exigence. On notera que M. Michel n’y fait pas allusion car il a constamment défendu le maintien du principe de l’unanimité au sein du Conseil européen comme du Conseil de ministres,

  • enfin, toujours au niveau de la real-politik, même un texte adopté par le co-législateur peut ne pas être appliqué par certains Etats membres. Ou bien ceux-ci prennent unilatéralement des mesures contraires à l’intérêt commun comme pour les contrats engagés avec la Russie par des pays tels que la Hongrie. M. Michel y fait lui-même allusion en assurant que le Conseil européen en débattra et qu’il « fera tout pour que l’on soit uni ».

Au total, on voit bien la sagesse de l’équilibre établi par les traités : le Conseil européen définit les grandes orientations - la Commission exerce de façon exclusive et indépendante son droit d’initiative en fonction de l’intérêt général et collectif de l’Union - le Conseil (représentant les Etats) et le Parlement (représentant les citoyens) débattent, négocient et adoptent les propositions de la Commission.

Et l’on voit tout aussi bien les deux écueils auxquels se heurte ce système au sein de l’UE27 : la persistance du vote à l’unanimité au sein du Conseil(européen) et l’affaiblissement du principe de base de coopération loyale entre les Etats (et entre ceux-ci et les Institutions), affaiblissement aggravé par la mise en cause de l’état de droit dans certains d’entre eux.


On ajoutera enfin une remarque générale : les compétences juridiques de l’Union en matière de sécurité énergétique se trouvent drastiquement limitées par la volonté des Etats. Ceux ci ont souhaité préserver l’autonomie de leurs politiques énergétiques nationales et réserver au Conseil (européen) les principales décisions - voir ici.


Jean-Guy Giraud. 04 - 09 - 2022

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