Pour la première fois, lors du Conseil européen des 26/27 Juin 2021, le décalage Ouest/ Est entre les anciens et les nouveaux Etats membres de l’UE issus des régimes communistes est apparu en pleine lumière. Il s’est manifesté à l’occasion de deux questions mises à l’ordre du jour par le Président Michel : celle de la discrimination liée à l’orientation sexuelle et celle de la relation de l’Union avec la Russie.
C’est sur le premier sujet relatif aux moeurs que ce décalage s’est manifesté de la façon la plus violente en raison l’attitude provocatrice du Premier Ministre hongrois et de l’emballement médiatique général autour des droits de la minorité LGTBQI. À travers cette question spécifique, le débat visait plus généralement la protection des valeurs de l’Union et le respect des principes de démocratie et de libéralisme politique par les dirigeants des nouveaux Etats membres, plus particulièrement ceux du centre-est de l’Union. Indirectement étaient aussi visés les problèmes liés à la gestion des fonds européens dans ces pays, insuffisamment protégés contre diverses formes d’irrégularité (corruption, fraude, conflits d’intérêt).
Sur le sujet de la Russie - d’intérêt plus général et de caractère géo-stratégique - le rejet sans nuance de la proposition franco-allemande d’amorcer un dialogue avec Moscou a été principalement causé par les nouveaux Etats membres. Il a ainsi contribué à mettre en évidence la division O/E au sein de l’Union sur un sujet majeur. Division d’ailleurs bien connue des chancelleries et des analystes mais jusqu’ici jamais affichée aussi ouvertement.
On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité d’inscrire deux tels débats à l’ordre du jour de la réunion des Chefs d’Etat et de gouvernement sans attendre que se calment les esprits sur le premier et qu’un travail intense de préparation ait été effectué sur le second. Mais c’est ici toute la problématique de l’interventionnisme croissant et mal contrôlé du Conseil européen qui est posée. Ces deux “incidents” devraient inciter ses membres - et notamment son Président - à une pause de réflexion.
Quoiqu’il en soit, le diable de la division O/E est sorti de la boite où chacun (Conseil, Parlement, Commission) tentait de le contenir et il va falloir l’affronter plus directement et plus ouvertement.
Mais une erreur ne doit pas être commise en se trompant de cible: c’est la gouvernance de certains de ces nouveaux Etats - et parfois la conduite personnelle de leurs dirigeants - qui sont en cause. Et non pas leurs populations, leurs sociétés ou leurs cultures qui, après un demi siècle de domination sovieto-communiste, ont été reprises en main par des régimes nationalistes, populistes et illibéraux. Leur évolution vers un ordre de type occidental compatible avec le système européen en a été retardée voire bloquée - sauf pour la frange urbaine, éduquée mais minoritaire de la société.
(On pardonnera de rappeler ici que ces problèmes étaient prévisibles depuis de nombreuses années ainsi que tentait de l’illustrer cette note écrite en 2017.)
La situation étant ce qu’elle est - et au moment où l’Union tente de définir son “futur” dans le cadre de la Conférence - certaines questions doivent à présent être éclaircies :
comment maintenir ou restaurer l’unité et la solidarité d’un ensemble ainsi fracturé ?
les mécanismes juridiques dont l’UE dispose pour prévenir les dérives de certains gouvernements sont-ils vraiment opérationnels ?
une approche purement punitive est-elle adaptée ou au contraire contre-productive
comment faire évoluer des sociétés sans l’appui - voire contre la volonté - de leurs dirigeants, au demeurant démocratiquement élus ?
est-il bien prudent de poursuivre un élargissement de l’Union à d’autres Etats (6 voire 9) victimes de dérives comparables ? Si cela s’avère indispensable pour des raisons d’ordre stratégique, quelles précautions prendre pour éviter d’accentuer la fracture actuelle - et notamment comment adapter la gouvernance institutionnelle de l’UE avant qu’elle ne devienne incontrôlable ?
le Conseil européen est-il en mesure de jouer le rôle que lui assigne le Traité : “définir les orientations et les priorités politiques générales de l'Union” ? Sinon, comment modifier son fonctionnement et restaurer son efficacité et sa légitimité ?
Même si ces questions ont été (délibérément ?) exclues de la liste des sujets proposés pour la Conférence (1), elles ne pourront plus être longtemps ignorées.
C’est d’ailleurs le Conseil européen lui-même qui, le 26 Juin 2021, les a maladroitement mises en exergue.
Jean-Guy Giraud 27 - 06 - 2021
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