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L'ÉLARGISSEMENT DE L'UE - OU LES ARROSEURS ARROSÉS



Un "grand élargissement" précipité

Certains observateurs se souviennent peut-être de l'intense campagne d'opinion que menèrent - dans les années 2000/2004 - les partisans d'un élargissement global et précipité de l'Union européenne aux anciens États communistes de l'Europe de l'Est.


Un puissant réseau, moralisateur et/ou opportuniste, d'intellectuels écartait avec indignation tous les avertissements relatifs à l'impréparation de ces pays - tant sur le plan politique que sociétal - au véritable bouleversement que représentait leur entrée dans un univers aussi différent que celui de l'Europe des 15 États membres de l'Europe de l'Ouest.

Ils ne voulaient pas voir que des sociétés, à peine sorties de régimes et de systèmes aussi incompatibles avec ceux des pays de la Communauté, auraient beaucoup de mal à s'y adapter sans transition aucune.

Ils avaient choisi de sous estimer les situations d'instabilité politique, de désordre administratif, de corruption endémique, d'inaccoutumance aux principes de démocratie et d'état de droit, de sous-développement économique , ... pourtant bien évidentes - à des degrés divers - dans la plupart de ces pays.

Ils s'opposaient farouchement à toutes suggestions d'étapes préalables à l'adhésion pleine et entière qui auraient permis d'acclimater et d'adapter progressivement ces sociétés à un ordre européen totalement nouveau et, surtout, pratiquement inconnu d'elles au moment de leur entrée (1).

Ils voulaient, à tout prix, accélérer/ bousculer ce qui était certes une évolution historique souhaitable mais qui, pour réussir, nécessitait une plus longue période de préparation en profondeur sans laquelle cette mutation risquait d'échouer.


Accessoirement (si l'on peut dire), ils évacuaient une autre interrogation fondamentale : l'Union elle-même était-elle en état d'absorber - dans ses structures comme dans son équilibre politique - un nombre si important d'États aussi peu préparés ? N'était-il pas, au surplus, nécessaire d'y accoutumer l'opinion dans les États membres eux-mêmes ?


Une greffe incertaine

Et il aura fallu une dizaine d'années pour s'apercevoir que la greffe n'avait pas pris.


Nous apercevons douloureusement aujourd'hui - à la lumière de toutes les dérives autoritaires, nationalistes, anti-démocratiques, inégalitaires - qu'un vaste phénomène de rejet affecte les principaux États membres issus de cet élargissement. Rejet dont les populations elles-même ne sont pas responsables dans la mesure où elles ne sont que les spectatrices - désorientées - de l'attitude de plus en plus hostile au projet européen de leurs élites.

Parallèlement, nous voyons que ces graves dérives, dans la partie orientale de l'Union, affectent et contaminent, aussi l'équilibre général de l'ensemble - lui-même en proie à de sérieuses incertitudes existentielles. Nous assistons bien à présent, en pleine lumière, à l'explosion du syndrome ("la fatigue") de l'élargissement dans l'opinion publique de l'Ouest de l'UE (2) et nous percevons que la confiance et l'attachement de l'opinion au projet européen ont sérieusement décliné depuis cet élargissement. La perte consécutive de repères sur la dimension géographique (les "frontières") de l'UE est une des principales causes de cette désaffection.


Ré-unification puis re-division

Si bien que ceux-là mêmes qui ont voulu précipiter cette "ré-unification de l'Europe" - se joignent à présent aux partisans d'une re-division de l'Union entre deux catégories d'États : les anciens et ... les nouveaux membres de l'Union (3)(4) - selon des modalités encore très floues. Et ceci afin de permettre au projet européen initial de survivre, sinon de se développer. Arrosé, l'arroseur ré-oriente son jet. Mais l'on voit bien que la solidité et la solidarité de l'ensemble sont affectées et que la principale fracture date de l'élargissement mal préparé de 2004/2006.

Cette re-division s'avèrera d'ailleurs particulièrement délicate pour des raisons évidentes - la première étant la remise en cause politique, institutionnelle et économique des principes d'unité et d'unicité qui fondent l'Union. Il faudra bien pourtant affronter cette question avant que "les évènements" eux-mêmes - internes ou externes à l'UE - ne la tranchent de façon brutale, désordonnée et déstabilisatrice. Évènements d'ailleurs rendus encore plus imprévisibles et périlleux par l'accélération récente de l'histoire à l'Est comme à l'Ouest du continent.


Jean-Guy Giraud 04 - 01 - 2017

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(1) Aucune sérieuse campagne d'information sur la nature même de l'UE n'avait été organisée, auprès des populations concernées, pendant la période des négociations d'adhésion. Négociations menées - comme à l'accoutumée - sous l'impulsion de décisions nocturnes de membres (aujourd'hui retirés) du Conseil européen et mises en oeuvre de façon parfaitement bureaucratique.

(2) Syndrome qui a provoqué, au moins officiellement, une décision tardive de "pause de l'élargissement" - laquelle n'empêche pas de fonctionner la "machine à élargir" bureaucratique, notamment dans les Balkans.

(3) Re-division qui s'articulerait notamment - mais pas exclusivement - autour de l'appartenance à la zone Euro.

(4) La manifestation la plus spectaculaire de cette re-division fut la conclusion du Conseil européen du 19 Février 2016 dans laquelle il était reconnu que "les divers États membres n'étaient pas obligés d'aspirer à un destin commun". Bien que cette conclusion - liée à la question britannique - ait été "annulée" suite au Brexit, le concept est resté vivant et fait l'objet de fréquentes déclarations de responsables politiques.

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