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LA BCE ET LA "DANSE DES COURS"




La récente - et à présent fameuse - décision de la Cour constitutionnelle allemande (sur les mesures prises par la BCE pour lutter contre les effets économiques de la crise du Coronavirus) a provoqué de nombreux commentaires du fait de ses possibles conséquences tant sur la marge de manoeuvre de la BCE que sur l’autorité suprême des arrêts de la CJE. (1)


Deux exigences à conciler

Cette décision met en effet en relief un risque réel d’incompatibilité entre deux exigences :


  • celle liée à la politique anti-crise menée par la BCE : pour être crédible, cette politique ne doit pas être (ou même apparaitre) comme contrainte par des limites pré-établies qui feraient douter de sa capacité réelle d’intervention. C’est la doctrine du “Whatever it takes” qui est la base même de l’efficacité potentielle de l’action de la BCE, 

  • celle imposée par le cadre juridique (d’ordre constitutionnel) de cette politique fixé par le traité : la distinction entre mesures monétaires et économiques, l’interdiction du financement direct de déficits publics, le principe de proportionnalité, … Autrement dit une sévère inflexion de la doctrine : “Whaterver it takes within the ECB mandate

Il est clair que, dans les circonstances exceptionnelles actuelles, la première exigence tend à l’emporter sur la seconde. 


Deux jurisprudences à réconcilier

Dans son arrêt relatif aux mesures prises en 2010 lors de la précédente crise, la CJE avait d'ailleurs précisé les limites juridiques de l’action de la BCE. Si ces limites devaient être applicables aux nouvelles interventions effectuées en 2020 par la BCE, le risque d’incompatibilité relevé ci-dessus s’avèrerait plus manifeste encore.    

La Cour allemande a pris acte de la fixation juridictionnelle de ces limites par la CJE - ce qui lui a permis de rejeter le recours dont elle était saisie. Mais elle l’a fait avec une réticence manifeste et en exigeant une clarification supplémentaire de la portée des interventions de la BCE. 


Au surplus, elle a estimé que, même si ces interventions limitées pouvaient être jugées compatibles avec le droit communautaire, elles pourraient cependant s’avérer contraires au droit constitutionnel allemand et notamment au principe du consentement démocratique à des mesures ayant des effets directs sur les citoyens allemands. 


Cette limite supplémentaire - conforme d’ailleurs à une doctrine constante de la Cour constitutionnelle - est évidemment plus problématique que la précédente car elle risque de créer une cloison étanche entre droit communautaire et droit national. Elle est au surplus susceptible de s’appliquer à d’autres secteurs que la politique monétaire de la BCE - tels que la politique budgétaire et fiscale de l’UE (qui constitue un complément nécessaire de la première). Et elle risque même de bloquer l’adoption - et l’application - d’éventuelles révisions du Traité destinées à renforcer et légitimer l’action de l’UE dans ces domaines.


Deux ordres en tension

Au total, cet épisode juridictionnel est une nouvelle illustration des inévitables tensions que provoque en Europe - comme ce fut jadis le cas aux États Unis (2) - le passage progressif d'un ordre confédéral à un ordre fédéral protéiforme. 


Pour l’UE, la “destination” fédérale ne résulte d’ailleurs pas d’un objectif expressément assumé mais d’un enchainement fonctionnaliste laborieux qui, pour être le plus souvent justifié dans les faits, se heurte constamment à de nombreux obstacles et de fortes résistances. Dans le cas des mesures "non conventionnelles” de la BCE ici en question, les tensions sont évidemment aggravées par le décalage temporel entre la réalisation de l’union monétaire et celle de l’union budgétaire et fiscale.

Les systèmes constitutionnels nationaux et communautaire se heurtent inévitablement. Et les Cours chargées de les protéger sont régulièrement amenées à s’opposer - se livrant à une sorte de “danse of Courts” qui ne saurait occulter le caractère essentiellement politique du phénomène. 

Un point essentiel demeure : celui de la gravité exceptionnelle de la crise économique de 2020. Dans de telles circonstances, la “raison d’état” - au sens noble du terme - doit primer. L’”état de droit” doit “plier" sans pour autant "se rompre" face à l’ouragan. La Cour européenne a su faire preuve de la souplesse nécessaire pour préserver l’essentiel. La Cour allemande s’est montrée plus rigide mais, s’en remettant à une forme d’arbitrage politique du Gouvernement et du Parlement, elle a tout de même retenu son coup.

L’ “affaire” suit son cours …

NB une récente série de notes sur cette question figure sur le site du Verfassungsblog avec notamment une excellente analyse de l’ancien Avocat général auprès de la CJE, M. Miguel Poiares Maduro (https://verfassungsblog.de/some-preliminary-remarks-on-the-pspp-decision-of-the-german-constitutional-court/)



Jean-Guy Giraud  09 - 04 - 2020

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(2) on sait la question de la mutualisation des dettes des États confédérés - peu après la (difficile) ratification de la Constitution (fédérale) des Etats Unis en 1780 - fut l’objet de délicates négociations et arbitrages menées par  Alexander Hamilton d’une part et James Madison d’autre part ( https://www.pressefederaliste.eu/comment-les-Etats-Unis-creerent-la-dette-publique-federale )

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