top of page
Rechercher

LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU MANDAT DE LA BCE



Le 6 Mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande ("Bundesverfassungsgericht" ou BVerfG) a adopté une décision relative à certaines mesures prises par la BCE dans le contexte de la lutte contre la crise financière de 2008/2010 (1). 


Une décision regrettable et préoccupante ...

Cette décision et les faits de l’affaire - sur lesquels nous ne reviendrons pas ici - ont été abondamment commentés par la presse qui a surtout mis en exergue la vigueur inusitée des termes utilisés à l’encontre de la BCE mais aussi de la jurisprudence de la Cour. 


Regrettables sur la forme, ces “obiter dictum” de la BGH sont surtout préoccupants quant au fond dans la mesure où ils sont susceptibles de porter atteinte à deux principes fondamentaux du système européen : celui de l’indépendance de la BCE et celui de l’autorité suprême de la CJE dans l’interprétation du droit de l’UE. Cependant - du moins pour l’instant - ils sont sans effet direct sur les prérogatives de ces deux Institutions. 


… mais qui soulève un problème réel ...

Ceci dit, il faut reconnaitre que la BGH met une fois de plus l’accent sur un problème réel : celui du décalage croissant entre certaines mesures prises par la BCE et les limites de son mandat tel que fixé par le Traité. 


Ce mandat, on le sait, est “de maintenir la stabilité des prix” et, par conséquence, de mener une politique de nature principalement monétaire. Toutefois , le Traité ajoute que, “sans préjudice" de cette mission, la BCE "apporte son soutien aux politiques économiques générales de l’Union" dont les principes directeurs sont "des prix stables, des finances publiques et des conditions monétaires saines et une balance des paiements stable” (art. 127§1 et 119§3 du TFUE).

Si cette compétence (accessoire) de “soutien” à la politique économique (cad à la politique dite conjoncturelle) donne à la BCE une certaine liberté de manoeuvre dans sa politique monétaire, celle-ci est cependant bordée par une limite précise : en effet le Traité “interdit” formellement à la BCE "d’accorder des découverts (…) aux administrations centrales” et, plus précisément encore, “d’acquérir directement des instruments de la dette des banques centrales nationales” (art; 123 TFUE). 


Or, l’on sait aussi que c’est  principalement par cette voie que la BCE a - même si indirectement - lutté contre les effets financiers et monétaires de la crise de 2008/2010 . Et, surtout, que c’est par ce moyen qu’elle s’efforce actuellement d’atténuer les effets de la crise économique provoquée par la pandémie du CV19. 


… qu’il serait possible de régler ...

On voit donc clairement les dangers qu’une interprétation stricte du mandat de la BCE ferait demain peser sur la préservation et la reprise de l’activité économique (et notamment sur la situation de l’emploi) en Europe. 


Il est certes possible - en 2020 plus encore qu’en 2010 - de faire appel à la notion de "circonstances exceptionnelles” pouvant motiver - à titre provisoire - une interprétation large des règles constitutionnelles (et règlementaires) en vigueur - sous le double contrôle démocratique et juridictionnel. 


Mais, comme le montre la décision de la BGH, cette notion a elle-même des limites - plus encore dans l’application d’un Traité entre nations souveraines que dans une constitution nationale. 


… par une révision limitée du Traité

Il serait donc préférable que ce soit le Traité lui-même qui légitime l’utilisation de mesures non conventionnelles dans certaines situations de crise. Il pourrait par exemple s’agir d’un “assouplissement” de l’interdiction faite par l’article 123 TFUE citée ci-dessus. 


Ou, de préférence, l’ajout d’un nouvel article de caractère plus général donnant formellement à l’UE - et notamment à la BCE - les moyens de faire face à une grave crise financière et/ou économique.

À cet égard, le précédent de la révision de l’article 136 TFUE effectuée en 2011 pour la création du “Mécanisme Européen de Stabilité” pourrait être invoqué (2). Rendue nécessaire pour préserver l’union monétaire face à la crise financière mondiale, cette révision a pu être menée à bien rapidement et efficacement par la procédure dite “simplifiée” (art. 48§6 TUE). S’il s’agissait en l’occurrence de légitimer un accord de nature intergouvernementale, celui-ci n’avait pas moins pour objectif de produire des effets directs sur la politique monétaire et financière de l’UE - ce qui fut effectivement le cas.

Une telle initiative serait susceptible, non seulement de parer à des objections politico-juridiques (soutenues éventuellement par certaines juridictions) - mais aussi de rassurer les marchés et opérateurs économiques sur la capacité d’action et de réaction de l’UE (via la BCE). 


Dans les circonstances actuelles, il ne semble pas totalement irréaliste d’envisager un consensus possible des Institutions et des États membres sur ce point. Consensus qui pourrait par ailleurs s’étendre à d’autres réformes tout aussi nécessaires, trop longtemps reportées et dont la liste a maintes fois été dressée (3). 



Jean-Guy Giraud  06 - 04 - 2020

______________________________



(2) "Au lendemain de la crise bancaire de 2008, la procédure simplifiée a été utilisée pour permettre la création du mécanisme européen de stabilité par le biais d’un accord intergouvernemental conclu entre les pays de la zone euro. La décision du Conseil européen du 25 mars 2011 ajoute un troisième paragraphe à l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui s’établit comme suit «les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité…» mais «…l’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité.” » (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Aai0013)

(3) voir tout récemment l’excellente déclaration du Groupe Spinelli du Parlement européen à l’occasion du 70 ème anniversaire de la déclaration Schuman : https://mailchi.mp/federalists/pr-10-proposals-coronavirus-2613272?e=03139dba10

bottom of page