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L'UKRAINE VA-T-ELLE OBTENIR LE STATUT DE CANDIDATE À L'ADHESION A L’UE ?



Le 28 Février 2022 (soit 5 jours après le début de l’agression russe) l’Ukraine a présenté une demande formelle de candidature à l’adhésion à l’UE. Le 7 Mars le Conseil a demandé l’avis de la Commission sur cette demande. Le 17 Juin la Commission a rendu cet avis. Les 23/24 Juin, le Conseil européen devrait prendre position sur le sujet. Le Conseil (de Ministres des affaires étrangères) devra ensuite prendre une décision à l’unanimité sous réserve de l’approbation préalable du Parlement européen.


Telle est la procédure prévue par l’article 49 TUE au sujet de laquelle quelques remarques générales peuvent être faites.

« Tout état européen (…) peut demander à devenir membre de l’Union »

Le traité ne précise pas quels sont les Etats dits « européens ». Il n’y a donc pas de limite géographique précise à l’élargissement de l’Union - du moins à l’intérieur du "continent européen" dont la définition demeure indéterminée (cf. le cas de la Turquie). Cette disposition est fondamentale dans la mesure où elle consacre le caractère ouvert de l’Union : ses frontières sont délibérément laissées ouvertes car le projet est de nature politique et civilisationnelle tout autant qu’économique et commerciale (la création d’un grand marché).

"Tout Etat qui respecte les valeurs (de l’Union) et s’engage à les promouvoir (…)"

La seule condition générale à l’admissibilité est d’ordre "moral" » : le pays candidat doit se conformer à un corpus de principes censés caractériser l’Union et ses Etats membres. Si la liste en est longue (1), la nature exacte n’en est pas forcément précise. Toutefois tant les textes applicables au sein de l’UE (cf. la Charte des droits fondamentaux el les règlements/directives concernés) que la jurisprudence de la CJE fournissent des références utiles.

En posant d’entrée de jeu cette condition (que l’on peut qualifier, par facilité de language, de « démocratique"), l’UE confirme qu’elle place au-dessus de tous autres objectifs celui de promouvoir un certain type de société. Une société dans laquelle les droits et libertés individuelles de toutes natures sont à la base même de l’organisation politique et sociale. Cette conception la démarque en fait clairement des régimes prévalant dans la plus grande partie du monde contemporain dont certaines grandes puissances telles que la Russie et la Chine.

"Les critères d’éligibilité (…) sont pris en compte »

Il s’agit ici - toujours pour l’admissibilité de la candidature - de conditions plus précises définies non par le traité mais par une décision du Conseil européen adoptée en 1993 (les critères dits "de Copenhague") à la veille de la prise en considération de probables candidatures de certains Etats issus du bloc communiste. Ces critères sont les suivants : des institutions stables garantissant l’ordre démocratique, l’existence d’une économie de marché viable, la capacité à assumer les règles économiques de l’UE. S’y ajoute un quatrième critère relatif à l’UE elle-même : "sa capacité à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan d'intégration européenne".


Ce dernier point mérite un bref commentaire. Selon l’interprétation donnée par la Commission puis par le Conseil européen lui-même, il signifie que l’adhésion d’un nouvel Etat (et, à plus forte raison d’un groupe d’Etats) doit être compatible avec le fonctionnement efficace des Institutions et des procédures décisionnelles ainsi qu'avec les politiques communes et leur financement. De fait, les élargissements successifs ont conduit l’Union à adapter certaines règles institutionnelles : le traité de Lisbonne a par exemple prévu la limitation du nombre des commissaires (qui n’a pas été appliquée à ce jour), l’extension du vote majoritaire au sein du Conseil (toujours limitée) et la modification des règles majoritaires (nombre d’Etats et pondération démographique : entrée en vigueur).


Toutefois, la condition plus générale relative au "maintien de la capacité d’intégration européenne » n’a guère été prise en compte. En clair, elle pose la question suivante : dans quelle mesure (1) l’accroissement du nombre et de la diversité des Etats membres de l’Union est-il compatible avec la finalité (fédérale ?) du projet européen ?


Cette question - posée par le Président Giscard d’Estaing au début de la Convention de 2001 - n’a jamais reçu de réponse et, à vrai dire, n’a jamais été réellement débattue.

"Le Conseil se prononce à l’unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen"

La Commission est chargée d’évaluer - sur le plan technique - si les trois premiers critères de Copenhague sont remplis par le pays concerné. En fait, elle doit parvenir à une proposition motivée et précise : approuver la demande ou la refuser (en précisant éventuellement des conditions à remplir). Elle ne s’aventure généralement pas à apprécier si le quatrième critère (la capacité d’intégration de l’UE) est rempli - ou, du moins, à en faire une condition préalable à l’admissibilité de la candidature.


Le Parlement européen - déjà "informé" de la demande - doit se prononcer le premier sur l’admissibilité. S'il la rejette, l’affaire s’arrête là. Il statue à une majorité renforcée : celle du nombre de ses membres. Sa décision est d’autant plus importante que, étrangement, il ne sera plus saisi ni lors des négociations ni, surtout, lors de la décision finale d’adhésion (voir ci-dessous).

Le Conseil (de Ministres) prend ensuite la décision en se prononçant à l’unanimité. C’est un des rares cas où cette exigence d’unanimité est largement reconnue comme légitime du fait de son enjeu "existentiel" pour l’Union. A noter que, en fait, c’est le Conseil européen qui donne - toujours à l’unanimité - le feu vert politique sans que, pour la même raison, on puisse contester cette intervention non prévue par le traité.

"Un accord entre les Etats membres et l’Etat demandeur »

À l’issue des négociations, la décision finale et les conditions d'adhésion prennent la forme d’un "accord" entre les Etats membres et l’Etat demandeur. Il s’agit d’un traité intergouvernemental (entre Etats) dont les Institutions de l’UE ne sont pas parties en tant que telles.


De ce fait, le Parlement européen n’est pas appelé à se prononcer sur une décision d’une importance pourtant aussi décisive pour le futur de l’Union. En réalité, il dispose aujourd’hui d’une expertise et d’un poids politique lui permettant d’influencer les négociations et, surtout de peser sur la décision. On imagine mal, en effet, que les Etats puissent passer outre à une prise de position négative de l’assemblée. Quoiqu’il en soit, la légitimité démocratique d’une décision d’adhésion est en définitive assurée non par la représentation unique de l’ensemble des citoyens européens - mais séparément par celles des citoyens de chacun des Etats membres (voir ci-dessous). Un paradoxe sur lequel il conviendrait peut-être de s’interroger.

"L’accord est soumis à la ratification de tous les Etats contractants"

Comme pour la plupart des traités internationaux, la ratification de l’accord est effectuée par les gouvernements "conformément à leurs règles constitutionnelles respectives". Celles-ci exigent le plus souvent une autorisation par voie parlementaire ou, parfois, référendaire. L’expérience montre que cette procédure peut s’avérer délicate, vu le nombre des assemblées concernées (au total plus de …quarante), la fragilité des majorités gouvernementales ainsi que les aléas propres aux referendums. On sait que, en France, l’autorisation de ratification peut, depuis 2008, être donnée soit par le Congrès (à la majorité des 3/5èmes) - soit par referendum … au choix du Président.



* * * *


Le cas de l’Ukraine

La demande d’adhésion de l’Ukraine se présente, on le sait, dans des circonstances très particulières - voire « exceptionnelles" , au sens juridique du terme, c’est à dire pouvant justifier une adaptation des règles concernées. L’UE se trouve en effet indirectement confrontée à une guerre et à un drame humain de grande ampleur résultant d’une crise géo-politique d’une extrême gravité. Elle est directement concernée par ses conséquences migratoires, alimentaires, énergétiques, …


On comprend dès lors la façon expéditive dont se déroule le traitement de la demande de candidature ukrainienne.

Au stade actuel (voir l’introduction ci-dessus), la Commission vient de rendre son avis sur cette demande (2). Cet avis est positif sur le fond mais prend la forme de deux recommandations distinctes. Il est d’abord proposé au Conseil de confirmer "la vocation de l’Ukraine à devenir membre de l’UE". Dans la foulée, la Commission propose que le statut de candidat soit formellement accordé à l’Ukraine, "étant entendu" que celle-ci devra prendre (sans délai) plusieurs mesures relatives à l’indépendance de ses organes judiciaires, à la lutte contre la corruption, à l’influence des oligarques, à la liberté de la presse et à la protection des minorités.


La Commission vérifiera l’avancement de ces mesures fin 2022 - en même temps qu’elle présentera une appréciation détaillée de la situation de l’Ukraine. Elle ajoute qu’elle "estimera à un stade ultérieur l’impact de l’adhésion sur les politiques de l’UE (EU policies areas)". Elle rappelle in fine que le processus ultérieur de négociation d'adhésion est basé sur des critères et des conditions précis et qu’il peut être inversé si ceux-ci ne sont pas remplis.


Au total, cet avis constitue clairement un feu vert à la candidature. Les "conditions" posées ne doivent guère poser problème au gouvernement ukrainien en dépit de la situation de guerre. Mais deux éléments peuvent surprendre.

D’abord que l’avis soit donné avant que la "situation" de l’Ukraine n’ait pu être analysée. Ensuite que l’estimation de l’impact de l’adhésion sur les politiques communes (fonds structurels, énergie, budget, etc …) soit renvoyé à une date ultérieure.


Mais surtout, comme dans le cas des adhésions précédentes, la Commission ne fait aucune allusion aux conséquences plus politiques de l’entrée (même très éloignée) de l’Ukraine au sein de l’UE. Il s’agit pourtant d’un pays d’une taille exceptionnelle (0,6 M de km2 et 44 M d’habitants) se rangeant au niveau des 4 grands pays de l’UE et donc susceptible de modifier les équilibres actuels dans les Institutions. Cet nouvel élargissement représente, pour l’Union un grand pas vers l’Est de l’Europe, en territoire sinon inconnu du moins très éloigné de son centre historique déjà décalé suite aux élargissements de 2006/2009. La "poursuite du processus d’intégration européenne" risque-t-elle d’être affectée par cette adhésion, combinée éventuellement avec celle de la Moldavie et s’ajoutant à celles aux processus des pays des Balkans ? Se dirige-t-on, en résumé, vers un autre type d’Union, voire vers "une autre Europe"?


Il est vrai que d’autres problèmes plus graves et plus immédiats se posent : l’issue militaire et diplomatique de la guerre, le gigantesque chantier de reconstruction, la réaction de la Russie à la perspective d’entrée de l’Ukraine dans le monde occidental …

Autant de questions que devrait examiner le Conseil européen des 23/24 Juin 2022. En dépit des hésitations de quelques membres, il est probable que - sauf veto de l’un ou l’autre Etat membre coutumier du fait - il suive l’avis de la Commission et du Parlement qui a déjà fortement appuyé la demande de candidature. Et qu’il ne s’aventure pas trop dans des spéculations sur les conséquences - encore lointaines - de l’adhésion de l’Ukraine sur "le futur de l’Union » A chaque jour suffit sa peine.

Deux autres dossiers connexes seront joints à celui de l’Ukraine, eux aussi destinés à préparer l’avenir : celui du projet de révision des traités déposé par le Parlement, notamment dans la perspective de nouveaux élargissements (3) et celui de la création d’une Communauté Politique Européenne déposé par la France pour coordonner les relations entre l’UE et les Etats tiers au niveau pan-européen (4). Le Conseil européen décidera probablement … de renvoyer leur examen à une date ultérieure.


Jean-Guy Giraud 17 - 06 - 2022

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(1) Dignité, liberté, démocratie, égalité, Etat de droit, droits de l’homme, droit des minorités auxquels s’ajoutent pluralisme, non-discrimination, tolérance, justice, solidarité, égalité entre les femmes et les hommes

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