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L'ACCORD PRÉ-ÉLECTORAL LFI - EELV ET L’UE



En préparation des élections législatives des 12 et 19 Juin 2022, le parti écologiste français (EELV - membre du groupe des Verts au sein du Parlement européen) a signé une sorte de plateforme-manifeste de législature avec le parti de la France insoumise (LFI - membre du groupe GUE au sein du Parlement européen). Bien que cet accord (1) constitue principalement un préalable à un partage des circonscriptions électorales entre ces deux partis (et éventuellement avec le PS - membre du groupe PSE au sein du Parlement européen) - les engagements qu’ils comportent sont susceptibles d’engager les futurs députés et doivent donc être pris au sérieux. Un long paragraphe de ce court manifeste concerne la politique européenne. Il exprime une franche hostilité vis à vis de l’état actuel de l’Union (« en finir », « décalage », « contradiction », « désobéir », …) et une nette volonté de changer « le projet européen ». Voici le texte et les commentaires qu’il peut susciter:

« En Europe, nous voulons en finir avec le cours néolibéral et productiviste de l’Union européenne pour un nouveau projet au service de la construction écologique et sociale. »

Ce point de départ est essentiel : le «cours actuel» suivi par l’UE (cad par l’ensemble de son action) est inacceptable et doit laisser la place à un «nouveau projet». Dans la mesure où ce cours résulte directement des traités et de l’ensemble de l’acquis réglementaire, il s’agit en fait "d’en finir » avec l’ensemble de l’édifice pour le remplacer par un autre.

« Pays fondateur de l’Union européenne, la France ne peut avoir pour politique ni la sortie de l’Union, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique. »

Pour autant, le manifeste ne s’aventure pas à proposer une sortie de la France de l’UE ni de l’Euro. Le changement devra donc être poussé de l’intérieur - au risque de provoquer des blocages répétés et insurmontables causant inévitablement une paralysie (sinon une « désagrégation ») du système. Blocages qui ne pourraient être résolus que par une mise à l’écart ou un retrait de la France. Sauf évidemment à considérer que ses partenaires partagent la même volonté d’élaborer et de suivre le « nouveau projet » prôné par le signataires.

« Mais si certaines règles européennes sont un point d’appui (protection des consommateurs, normes environnementales…), de nombreuses autres sont en décalage voire en contradiction avec les impératifs de l’urgence écologique et sociale. Par exemple, il est impossible de nationaliser EDF dans le cadre des règles de la concurrence, d’investir pour respecter nos engagements climatiques en raison des règles budgétaires. »

Effectivement, les règles européennes s’adaptent trop lentement aux impératifs écologiques - même si elles sont plus avancées que dans la plupart des pays comparables. Pour autant, il n’est pas exact d’affirmer qu’elles sont « en contradiction » avec ces impératifs. D’autre part, chaque Etat membre dispose d’une large marge de manœuvre pour adopter des normes ou des pratiques internes plus protectrices que les minima européens. En matière de concurrence, chaque Etat membre demeure libre du statut de ses services publics à condition que ne se créent pas des monopoles susceptibles de nuire aux intérêts des consommateurs.

Pour les investissements écologiques, ils sont non seulement encouragés par l’UE mais aussi largement financés par son budget.

Quant à l’ « urgence sociale », l’UE n’a, dans ce domaine, que des compétences « partagées » avec les Etats. Par contre, elle met en oeuvre des mécanismes et des aides financières pour assister leurs actions - comme en témoigne son plan de lutte contre la pandémie du COVID.

« Pour être en capacité d’appliquer notre programme et respecter ainsi le mandat que nous auront donné les Françaises et les Français, il nous faudra dépasser ces blocages et être prêt·es à désobéir à certaines règles européennes (en particulier économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations productivistes et néolibérales de la Politique agricole commune etc.). »

La préconisation de « désobéissance » résulte naturellement du souhait de changement de système posé au premier paragraphe. Ainsi la France serait-elle amenée à effectuer un choix entre les règles qu’elle accepte et celles qu’elle refuse. Effectivement, le système en vigueur ne permet pas - pour des raisons évidentes - d’effectuer de tels choix à la carte. De ce fait, la « désobéissance » constitue une rupture de légalité insurmontable et sans issue autre que la sortie de l’Union.

« Cela ne peut se faire que dans le respect de l’état de droit (tel que défini aux articles 2 et 7 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Nous combattrons fermement les attaques contre les libertés fondamentales des gouvernements d’extrême-droite hongrois et polonais

Cette reconnaissance indirecte du rôle de l’UE en matière de protection de l’état de droit est bienvenue. Elle aurait pu être complétée par une référence à la Charte des droits fondamentaux qui instrumentalise cette protection (et, subsidiairement, celle des droits sociaux …).


Au total, une conclusion s’impose : appliqué à la lettre, ce manifeste est incompatible avec le système européen tel qu’il existe depuis l’origine. Si une future majorité parlementaire et un futur gouvernement français entreprenaient de le mettre en oeuvre, cela reviendrait à placer le pays en porte à faux avec l’Union - voire en marge de celle-ci. Cela a au moins le mérite de la clarté. Le parti EELV devra expliquer à ses partenaires européens du groupe des Verts comment il justifie son maintien dans ce groupe. Cela serait encore plus difficile pour le PS vis à vis du PSE s’il venait à signer cet accord. Mais l’essentiel sera que les électeurs soient bien conscients du problème lors du scrutin.



Jean-Guy Giraud 02 - 05 - 2022

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