En marge de la réunion du Conseil Européen à Versailles (10 et11 Mars 2022), plusieurs Etats membres de l’UE (dont la Suède et la Finlande) ont demandé d’inclure dans la déclaration finale une référence à la “clause de défense collective" de l’Union (Article 42§7 TUE). Cette demande n’ait pas été, à ce stade, formellement reprise par le Conseil.
Mais elle a eu pour effet d’introduire pour la première fois cette question dans les débats politiques relatifs aux réactions de l’UE à l’agression russe en Ukraine. L’avancée des troupes russes vers les frontières Nord et Est de l’Union représente effectivement un risque d’attaque ou d’intrusion militaires (délibérées ou accidentelles) sur le territoire même de l’Union. De même, une offensive cybernétique russe de grande ampleur contre des installations stratégiques (civiles ou militaires) d’un ou plusieurs Etats membres pourrait intervenir.
Dès lors, l’éventualité d’un recours à la clause de défense collective n’est plus à exclure. Des mesures de préparation à son déclenchement pourraient même être prises qui seraient en même temps un avertissement potentiellement dissuasif à l’intention des dirigeants russes. On peut d’ailleurs considérer que le positionnement déjà opéré de certaines forces européennes dans plusieurs Etats membres riverains de l’Ukraine rentrent dans ce cadre.
Sans revenir ici sur la genèse de cette clause (1) , rappelons qu’elle a été introduite en 2009 dans le Traité de Lisbonne à la demande de la France et de l’Allemagne. Elle a été reprise du Traité sur l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) dissoute en 2010. Elle a été déclenchée une seule fois par la France à la suite des attentats terroristes de Novembre 2015.
Cette clause est à la fois brève et contraignante :
“ Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir (…)”
Plusieurs arguments plaident en faveur de son caractère effectif et opérationnel :
elle est une obligation de nature “constitutionnelle” - tant du fait de son insertion dans le TUE lui-même que par sa rédaction formelle et sans ambiguïté (“ les Etats membres lui doivent aide”),
elle engage l’Union en tant que telle et dans son ensemble - même si sa mise en oeuvre relève des Etats membres,
elle ne nécessite aucune décision préalable d’une Institution de l’UE - même si un “feu vert” du Conseil Européen (non soumis au vote unanime) serait probable,
elle laisse les Etats membres libres de préparer et de coordonner leurs actions de la façon jugée collectivement la plus efficace et en fonction des capacités respectives,
ces actions peuvent être de toutes natures (logistique, militaire, cybernétique) - en fonction du caractère de l’”agression”, des capacités respectives des Etats, du terrain, etc ...
les organes techniques compétents de l’Union (PESD) ainsi que ses moyens budgétaires peuvent être utilisés pour la préparation et la coordination de ces actions - comme c’est déjà le cas pour la fourniture d’armes aux forces ukrainiennes,
les Etats membres peuvent tenir compte - et adapter si nécessaire - leurs propres obligations internes (cf. autorisation parlementaire) ou internationales (cf. neutralité) dans leur engagement,
elle n’est pas conditionnée par une implication préalable de l’OTAN (nécessitant notamment l’accord des Etats-Unis) qui peut toutefois lui fournir des appuis logistiques avant même une éventuelle intervention formelle.
Au total, la clause de (légitime) défense (collective) de l’Union - conforme à celle figurant dans la Charte des Nations Unies - constitue pour celle-ci à la fois une garantie de sécurité et un moyen de dissuasion puissants. La nature même de la menace russe renforce l’unité et la solidarité des Etats membres, déjà manifestée sans faille depuis le début du conflit. À défaut d’”armée” commune, l’utilisation coordonnée des moyens militaires nationaux peut s’avérer performante et crédible sur les terrains potentiellement concernés.
Il appartient à présent aux responsables politiques de décider de l’opportunité du déclenchement de cette clause en fonction des événements. Et de signifier clairement à l’agresseur russe que toute attaque contre l’un quelconque des 27 Etats membres sera considérée comme visant l’Union toute entière.
Jean-Guy Giraud 13 - 03 2022
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