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EUROPA : "NO DEMOS ?"



Un ouvrage récent fait l’objet de nombreux et élogieux commentaires dans la presse : celui de Mme Céline Spector (professeur de philosophie à Sorbonne Université) intitulé “NO DEMOS” . Centré sur une analyse historique et philosophique des notions de peuple et de souveraineté, le livre s’efforce de montrer comment et dans quelle mesure ces deux concepts peuvent être combinés dans - et réconciliés avec - le "système européen”, une sorte d’hybride sui generis, intermédiaire entre les ordres/modèles fédéral et confédéral.


On ne peut faire justice en quelques mots à une analyse aussi riche et profonde de plus de 400 pages qui passe en revue les oeuvres des grands théoriciens de l’organisation politique tels que Platon, Kant, Montesquieu, Rousseau, Hume … On notera ici avec un intérêt particulier les nombreuses références aux écrits des “pères fondateurs” de la République fédérale américaine et notamment ceux de James Madison, lui-même inspiré par la pensée des auteurs anciens.


Mme Spector révèle en 4ème de couverture la thèse centrale de son livre : répondre aux critiques relatives à une présupposée absence de légitimité du système de l’Union du fait de la non-existence d’un “peuple européen” dont la “souveraineté” serait dès lors sans objet.


Pour illustrer cette thèse, on peut reprendre quelques passages d’un entretien récent de Mme Spector (1) :


"On peut constater qu’il existe un contrat social européen, qui a fédéré des peuples déjà constitués, qui a créé un peuple européen. Cela ne veut pas dire que ce peuple est homogène. Ce n’est certes pas un peuple ethnique qui aurait une langue ou une religion unique, mais c’est un peuple qui, dans sa diversité culturelle, linguistique, juridique, présente les caractéristiques qui nous intéressent. Il constitue une association politique avec un certain nombre de fins : la paix, la liberté, la prospérité, mais aussi la solidarité."


"Il existe des obstacles colossaux à l’existence d’une souveraineté européenne. Et notamment, depuis l’élargissement de 2004 : certains États qui ont recouvré leur souveraineté nationale, après le temps des démocraties populaires et de l’URSS, n’ont aucune envie de se plier à ce qu’ils considèrent comme un « diktat » de Bruxelles. Ils ont donc une vision extrêmement négative du modèle fédéral."


"Faire comme si l’Europe n’avait pas contribué à la paix du continent, alors qu’elle en a été l’artisan principal depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est sidérant. Ne pas reconnaître le bénéfice de l’Union et considérer, à gauche comme à droite, que c’est quasiment donner les clefs à l’ennemi, c’est un niveau de débat politique affligeant."


"Oui, mais il faut bien saisir que ces nations, qui constituent aujourd’hui l’Union européenne, ont longtemps été ennemies les unes des autres. Le processus de réconciliation paraissait initialement totalement utopique. Puisque nous sommes les enfants gâtés d’une période pacifique, nous oublions qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le projet européen était un défi presque insurmontable. "


"Il faut rappeler ce qu’était l’Europe en 1945, et même encore en 1957 au moment du Traité de Rome. Rappeler à quel point l’utopie est devenue réalité. Faire des ennemis des voisins, c’était un projet d’une noblesse stupéfiante. Qu’on ait réussi à lui donner corps est merveilleux. On n’a pas pris la mesure de la gravité de ce qu’on a pu s’épargner grâce à l’Union"."


Lorsque l’on dit que l’Europe est angélique, je pense qu’on se trompe. L’Europe, c’est tout le contraire. C’est la prise de conscience de la barbarie. Et c’est donc la prise de conscience des institutions absolument indispensables pour qu’une réconciliation des peuples soit possible. Je crois beaucoup à la nécessité d’une éducation civique européenne, alors qu’elle est aujourd’hui défectueuse..."



À l’heure où l’Europe est confrontée à une sidérante et menaçante montée en puissance de régimes illibéraux prônés par les plus grandes puissances mondiales - cette légitimation argumentée des fondements mêmes de l’"ordre libéral européen" est la bienvenue. Souhaitons qu’elle recueille une large audience auprès du public et inspire les dirigeants dans leurs réflexions en cours sur “l'avenir de l’Europe”.




Jean-Guy Giraud 13 - 01 - 2022

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