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DE L’ INDÉPENDANCE DE LA DIPLOMATIE EUROPÉENNE



Le Haut Représentant de l’UE, M. Josep Borrell vient d’annoncer la nomination de 7 des plus hauts responsables du “Service Européen d’action extérieure”(SEAE) - en l’occurrence des Directeurs des départements géographiques du Service : Amérique, Afrique, Russie, Europe - ainsi que ceux de deux départements horizontaux (Affaires multilatérales, Opérations civiles).(1)

Ces personnes constituent en quelque sorte l’ Etat Major du Service et auront autorité directe sur quasiment l’ensemble de ce qui représente le "Ministère des Affaires étrangères" de l’UE.


Un Service “multinational” ou européen ?

À une exception près, ces nouveaux responsables sont directement issus des corps diplomatiques nationaux (Ambassades ou Ministères) sans avoir d’expérience préalable au sein du Service ni dans le domaine des affaires européennes proprement dites.


Il est d’autre part probable que leur choix ait été dicté par leurs autorités gouvernementales respectives et qu’il se trouvent en fait en détachement de plus ou moins longue durée auprès du Service - et susceptibles de réintégrer leurs corps d’origine à l’issue de leur passage dans le Service.


Si ces remarques sont exactes, on est en droit de s’interroger sur ce mode de recrutement qui ne semble favoriser ni l’expérience ni l’engagement ni l’indépendance des titulaires - et on peut se préoccuper de la double allégeance à laquelle ces responsables se trouvent exposés.


De plus, les Directeurs concernés occuperont des postes en lieu et place des fonctionnaires européens de carrière du Service ou de la Commission qui auraient pu y prétendre de par leur qualification propre et dont la motivation ne s’en trouvera pas renforcée.


Enfin, si l’on estime que la “politique étrangère” de l’Union est plus qu’une simple tentative de coordination des diplomaties nationales, ce mode de recrutement n’apparait pas comme le meilleur moyen de favoriser l’émergence d’une authentique politique extérieure européenne unique et commune.


En positif, on peut tout de même espérer que ces passages au sein du Service européen familiariseront ces diplomates avec les problématiques européennes, leur fournira une “culture” et une approche communes qu’ils pourront mettre en oeuvre de retour dans leurs fonctions nationales. Et rappeler que, pour leur part, les Secrétaires Généraux successifs du SEAE (dont le premier Pierre Vimont) ont tout fait pour créer puis développer la spécificité communautaire du Service.


De la nécessité d’Institutions et organes indépendants, pérennes et efficaces

Sans que l’on puisse établir un véritable parallèle, cette pratique de recrutement du Service d’action extérieure est l’occasion d’évoquer des phénomènes similaires qui se produisent au sein des Institutions dans lesquelles beaucoup de hauts postes font l’objet de “parachutages” de fonctionnaires nationaux (Commission) ou d’agents de groupes politiques (Parlement). On voit aussi que, au sein de la Cour des Comptes ou du nouveau Bureau du Procureur européen, les candidatures proposées par les gouvernements posent parfois problème quant à la qualification et l’indépendance des personnes concernées (2)

Bref, c’est à la fois l’indépendance, la neutralité et l’efficacité de ces organes qui pourraient se trouver compromises par une pratique qui tend à se développer dans l’UE 27+.


Dans l’esprit du Traité, les Institutions (à l’exception du Conseil) ont un rôle spécifique à jouer, distinct de celui des Gouvernements. Elles doivent non seulement assurer l’exacte et entière application des règles du Traité mais aussi concevoir et développer des politiques communes qui ne peuvent pas être une simple coordination ou combinaison de politiques nationales par nature instables, souvent opposées et parfois même non coopératives.


Dès l’origine de la CECA, Jean Monnet avait bien compris que seules des Institutions fortes, stables, pérennes et indépendantes (sur le modèle de la "Haute Autorité”) pouvaient - en assurant et perpétuant la “mémoire” de l’Europe - mener à bien au fil du temps la construction européenne. Et ce qui était déjà vrai pour 6 Etats membres l’est encore plus dans une Union plus diverse et plus nombreuse. Pérennité et indépendance qui reposent largement sur la loyauté, l’expérience, l’engagement et la cohésion des responsables qui les dirigent.



Jean-Guy Giraud 22 - 01 2021


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