L’apathie - réelle ou contrainte - de la population russe face à "l’invasion barbare” de l’Ukraine par son armée est surprenante et préoccupante. Et l’on veut croire que la principale raison en est l’absence d’information objective de la grande masse de l’opinion sur le déroulement réel de cette invasion guerrière et criminelle. Information remplacée par la propagande officielle trompeuse distillée par le régime depuis plusieurs générations mais fortement accentuée depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.
L’absence de liberté de presse constitue un danger ...
Ceci met en lumière le danger que fait courir - tant sur le plan national qu’international - l’absence de liberté de presse et d’opinion lorsqu’elle aboutit jusqu’à couper les citoyens d’un pays de la réalité des choses et jusqu’à leur imposer, à la place, une réalité virtuelle façonnée par le pouvoir politique. Celui-ci peut alors mener - sans obstacle et impunément - les actions les plus extrêmes susceptibles de servir ses causes idéologiques - et, accessoirement, servir les intérêts particuliers de ses dirigeants.
L’Europe occidentale a fait l’expérience douloureuse de ce phénomène au XXème siècle et s’est efforcée d’en tirer les leçons en érigeant la liberté de la presse au rang des droits fondamentaux des citoyens. Diverses Conventions, Déclarations et Chartes ont été promulguées, assorties de mécanismes de surveillance et, dans une certaine mesure, de sanctions. Diverses ONG ont aussi - souvent de façon plus incisive - entrepris des actions de veille et d’alerte.
… y compris au sein de l’Union ...
Toutefois, on voit bien que - au sein même de l’UE - “l’Etat de liberté de presse” demeure précaire et que le “contre pouvoir” médiatique y est parfois mal assuré. Et ce en dépit de l’extraordinaire développement de sources d’information modernes, plus difficilement maitrisables ou influençables que la presse écrite ou audiovisuelle classique. Les analyses effectués régulièrement par des organes publics ou par des ONG mettent en évidence des carences et même des régressions dans plusieurs Etats de l’Union (1).
De fait, le principe de liberté de presse ne figure pas explicitement dans la Constitution de l’Union - cad dans les traités. Seule la Charte dispose brièvement dans son article 11§2 que “la liberté des media et leur pluralisme sont respectés” . Et, au surplus, cette disposition ne concerne qu’indirectement les Etats membres eux-mêmes (2).
… qui devrait en constitutionnaliser le principe
Certes, des avancées jurisprudentielles peuvent permettre, occasionnellement, de limiter des atteintes caractérisées au principe de liberté de presse du chef d’un Etat membre. Mais une reconnaissance, une validation expresses de ce principe dans le corps même des traités renforcerait utilement son caractère constitutionnel et judiciable.
Il pourrait trouver assez naturellement sa place dans la liste des “valeurs” de l’Union énumérées par l’article 2 TUE - dans une déclaration ajoutée à cet article - dans un nouvel article spécifique du titre II relatif aux “principes démocratiques”, etc ...
Bien conscients de l’importance mais aussi de la fragilité de ce principe au sein de l’Union, le Parlement et la Commission s’interrogent actuellement sur les moyens législatifs susceptibles de le renforcer. Mais les seuls outils juridiques dont ils disposent sont de nature indirecte : propriété des medias, protection des journalistes, aides financières, … (3).
En réalité, ce sont les Etats membres eux mêmes qui demeurent globalement les garants de leurs propres régimes de liberté de presse. Et l’expérience montre que cette garantie n’est pas toujours assurée et qu’un cadre général fixé au niveau européen permettrait d’éviter les dérives les plus graves.
Jean-Guy Giraud
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(2) voir article 51 : "Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives”.
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