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6 OCTOBRE 2022 : NAISSANCE DE « LA GRANDE EUROPE » ?



Sommes-nous à J - 4 de la création de « la grande Europe » provisoirement dénommée « Communauté Politique Européenne » ?


Le 6 Octobre 2022 se réuniront pour la première fois dans l’histoire de l’après guerre les chefs d’Etat et de Gouvernement de 44 pays européens - c’est à dire de tout le continent à l’exception de la Russie (et de son satellite, la Biélorussie).


Plus extra-ordinaire encore, cette réunion résulte de l’initiative personnelle d’un chef d’Etat - le Président Macron - lancée unilatéralement il y a à peine six mois.


Et elle aura lieu au moment même où la guerre en Ukraine - donc sur le territoire européen - prend des proportions de plus en plus dramatiques et menace même de dégénérer en un conflit nucléaire.


On sait finalement peu de choses sur la préparation diplomatique (hâtive) de cette réunion - à part les informations données sur la participation et l’organisation de la journée (1):



Participation

L’UE est la puissance invitante à travers sa présidence actuelle, la République tchèque.


Aux 27 dirigeants des Etats de l’UE se joindront ceux des 7 Etats (pré) candidats des Balkans et ceux des 2 nouveaux candidats d’Ukraine et de Moldavie.


Mais l’originalité du format réside dans la participation des dirigeants de 8 autres Etats européens et notamment de 2 grands pays : le Royaume Uni et la Turquie. De même, les dirigeants de trois autres Etats ouest-européens seront présents : ceux de la Suisse, de la Norvège et de l’Islande. A noter également la participation de l’Azerbaïdjan.


Siègeront aux côtés des dirigeants nationaux les Présidents du Conseil européen et de la Commission ce qui, de facto, confirme et accentue le poids politique de l’Union au sein de ce groupe.



Organisation

La durée prévue de la réunion est étonnamment brève : elle se déroulera dans l’après midi et la soirée du 6 Octobre. Deux réunions plénières sont prévues : à 12.30 (ouverture) et à 19.30 (clôture). Entre les deux auront lieu deux « tables rondes » sur la Paix/Sécurité et sur l’Energie/Climat/Situation économique - suivies par des « réunions bi-latérales » .


Le communiqué très sobre du Secrétariat du Conseil (1) se borne à rappeler que la « Communauté Politique Européenne » vise, « dans un esprit d’unité » à :

  • favoriser le dialogue politique et la coopération afin de répondre aux questions d'intérêt commun

  • à renforcer la sécurité, la stabilité et la prospérité du continent européen


Il est toutefois assez curieusement ajouté un paragraphe qui sonne comme un avertissement ou une garantie :


"Cette plateforme de coordination politique ne remplace aucune organisation, aucune structure ou aucun processus existants et ne vise pas à en créer de nouveaux à ce stade. »

Il ne s’agirait donc, « à ce stade » du moins, que d’une « plateforme » et non d’une nouvelle organisation stricto sensu. Il semble toutefois, selon le schéma envisagé dès l’origine par la France, que cette plateforme ait vocation à se réunir régulièrement, par exemple tous les six mois. D’ailleurs, le lieu et la présidence de la prochaine réunion au cours du premier semestre 2023 fait déjà l’objet de débat et le Royaume-Uni se serait porté candidat.


Contexte et objectif immédiat : l’agression russe

C’est bien entendu la guerre en Ukraine qui est le déclencheur de cette initiative. Cette guerre est le premier conflit pan-européen de grande ampleur survenu depuis la deuxième guerre mondiale. Tant la violence et la cruauté des combats (qualifiés de crimes de guerre) que les risques croissants d’escalade militaire nécessitent une réaction commune - en quelque sorte de légitime défense collective - de la part de l’ensemble des Etats européens.


En quelques mois, ce conflit localisé aux marges de la Russie s’est transformé en un affrontement de deux blocs Est et Ouest européens. Ou, de plus en plus nettement, entre la Russie et le reste du continent. Le Président Poutine lui-même a théorisé cet affrontement entre « le monde russe » et « l'Occident », le premier étant victime de l’agression du second. Il semble d’ailleurs considérer que, outre l’Ukraine, la Russie doit re-conquérir dans l’est de l’Europe des marges de l’ancien empire russophone ce qui menace directement plusieurs Etats membres (ou candidats) de l’UE.

L’autre motif, lié au précédent, de la réaction pan-européenne est la défense d’un ordre démocratique et libéral (au sens politique du terme) opposé aux tentatives de la Russie de promouvoir un type de régime autoritaire et autocratique. Ce conflit, d'ordre idéologique, a des conséquences concrètes pour les Etats européens dans la mesure où la Russie tente d’imposer ce modèle dans son voisinage plus ou moins proche. Et, inversement, Poutine accuse à présent « l'Occident » d’agression idéologique délibérée contre la Russie.



Objectif plus général : l’unité et la coopération pan-européennes

Mais l’initiative de la CPE a un objectif plus général et plus ambitieux. Dans l’esprit de ses promoteurs, le conflit ukrainien devrait être l’élément déclencheur d’une prise de conscience du destin commun de l’ensemble des Etats du continent européen dans un monde nouveau au sein duquel ces Etats, pris isolément, risqueraient d’être dominés par les trois ou quatre grandes puissances mondiales. Domination qui pourrait être politique, idéologique, culturelle et, surtout, économique.


C’est donc - très logiquement - un appel à l’unité de cet ensemble pan-européen qui devrait être lancé le 6 Octobre. Et, dès ce jour là, des pistes concrètes de coopération à différents niveaux pourraient être tracées. Les principaux secteurs concernés seraient sans doute dictés par l’actualité c’est à dire par les crises - ou menaces de crises - communes à tous ces Etats : climat, épidémies, migrations, croissance, stabilité financière … Plus positivement, des modalités de coopération économique pourraient être envisagées dans différents domaines tels que l’énergie, le numérique, la recherche,



L’UE au centre du jeu

Cet appel à la solidarité, à l’unité et à la coopération s’inspire à l’évidence du modèle bâti par l’UE depuis 70 ans. Plus des trois quarts des participants sont des membres de l’Union ou aspirent à l’être.


La participation à la CPE des deux Présidents de l’UE (Conseil européen et Commission) au même titre que les dirigeants des Etats membres est évidemment un signe du rôle et de l’influence probables de l’Union. S’y ajoutent la contribution des deux secrétariats à l’organisation des réunions et, peut-être, à la mise en oeuvre des décisions éventuelles.


On ne peut d’ailleurs s’empêcher de constater que cette plateforme ressemble furieusement à celle … du Conseil Européen (2) qui était censé - à l’origine du moins - ne dresser que de « grandes orientations ». On trouve aussi dans cette conception de la plateforme de la CPE ce syndrome très caractéristique des réunions entre pairs lors desquelles les contacts personnels permettent d’établir des relations de confiance au plus haut niveau susceptibles de ruisseler sur les échelons politiques et administratifs inférieurs.

Pour autant, les initiateurs de la CPE prennent soin de ne pas éveiller des soupçons de main mise de l’UE sur la nouvelle plateforme. Ils insistent sur le caractère informel - et non organisationnel - de celle-ci. A ce stade, il ne s’agit que de réunir épisodiquement des dirigeants pour des discussions libres sur des sujets d’intérêt commun.


D’autre part, la CPE pourrait être utile à l’UE dans la gestion de son processus d’élargissement. Les dirigeants des Etats candidats - membres à part entière de la CPE au même titre que les dirigeants de l’UE - seraient associés directement à un processus politique et économique plus large. Processus qui complèterait - sans le remplacer - le face à face de chacun d’eux avec les instances de l’Union.



Les risques éventuels

Il est à ce stade plus facile de prédire les problèmes que les résultats positifs éventuels de cette première réunion.


L’improvisation relative des préparatifs peut faire craindre un certain désordre ou une certaine confusion d’autant plus que les sujets de discussion sont aussi nombreux que peu définis. Le contexte militaire dramatique en Ukraine (dont le dirigeant sera présent à Prague) pèsera sur les débats et sera susceptible de diviser les participants (y compris parmi ceux de l’UE elle même). Le risque évident est que cette réunion s’apparente - sur une échelle réduite - à une sorte de session de l’Assemblée générale des nations-Unies. Les organisateurs en sont évidemment conscients et ont sans doute déjà élaboré - selon la méthode utilisée pour le Conseil européen - un projet de déclaration finale plus ou moins acceptable par les 44 dirigeants …


En fait, ce sera l’attitude d’une poignée d’Etats qui sera déterminante. D’abord celle de deux Etats non représentés à Prague : les Etats-Unis et la Russie. Les USA n’ont pas pris de position publique : ni opposition ni encouragement. Cette incertitude risque de peser lourd sauf si un signal positif n’intervenait d’ici là. La Russie a d’ores et déjà condamné vigoureusement la création de la CPE qu’elle considère comme une machine de guerre anti-russe. Elle va d’ailleurs s’efforcer de trouver des alliés au sein même de la plateforme.


Deux autres Etats - qui participeront à la réunion - risquent également de poser problème : le Royaume Uni et la Turquie. Le premier a fortement hésité à participer et ses motivations ne sont pas vraiment claires. Il s’est seulement déclaré opposé à la transformation du CPE en une organisation empiétant sur les missions de l’OTAN ou du Conseil de l’Europe. organe En fait la position britannique dépendra fortement de celle prise par les États Unis. La Turquie joue une sorte de double jeu entre la Russie et l’Occident mais ne devrait pas s’opposer à un consensus de l’ensemble des participants. Il est cependant peu probable, à ce stade, qu’elle se solidarise avec une éventuelle condamnation formelle de tout régime autoritaire.


° ° °


Au paroxysme de la crise ukrainienne, la nouvelle plateforme ne peut pas se permettre un échec ni même un demi succès qui renforceraient la position agressive de la Russie. Mais sera-t-elle véritablement en mesure de lancer un processus ambitieux aboutissant à créer une sorte de G44 (ou d’E44) européen - fortement appuyé sur l’UE 27 et susceptible de peser véritablement à l’échelle mondiale ? Ce serait une « première » à caractère historique dont toutes les conséquences ne peuvent être encore évaluées.


Jean-Guy Giraud 02 - 10 - 2022

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(2) le Conseil européen tiendra d’ailleurs à Prague - le lendemain 7 Octobre - une réunion informelle des dirigeants des 27.

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