Avec les britanniques depuis 1973 ...
Je suis entré au service de l'Union européenne en 1973 - l’année de l’adhésion du RU.
Toute ma carrière s’est donc déroulée au contact de collègues et membres britanniques des Institutions.
Dans les secteurs de mon activité (notamment institutionnel et budgétaire), j’ai souvent été témoin - comme d’autres - des réticences du RU vis à vis du projet politique européen.
Au point de penser parfois - toujours avec d’autres - que le renforcement de l’UE serait facilité par une décision britannique de retrait.
Mais je suis aujourd’hui - à la veille d’un éventuel brexit - convaincu du contraire : le départ du RU serait néfaste à l’Union dans son état actuel.
Les fondements et principes de l’UE sont aujourd’hui en danger
En effet, notamment depuis son élargissement dans les années 2000, le projet européen s’est non seulement enlisé mais se trouve aujourd’hui menacé dans son essence même.
Plus précisément et de façon plus immédiate, ce sont ses fondements qui sont remis en question par et dans un nombre croissant d’États membres.
Fondements que le Traité nomme “valeurs” et qui s’articulent autour de six règles de base indissociables : dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, respect des droits de l’homme.
Fondements auxquels s’ajoutent les principes d’unité, de solidarité et de coopération loyale, eux aussi en danger.
Cette situation - si elle devait se maintenir ou pire s’aggraver - signerait l’arrêt de mort du projet européen.
L’UE sans le RU sera affaiblie
Le Royaume Uni est une très ancienne et très forte démocratie dans laquelle ces valeurs sont - au contraire - solidement implantées au sein de l’opinion et garanties par les institutions.
Il fait partie du groupe de plus en plus restreint d’États membres de l’UE qui les soutiennent et les respectent avec la même vigueur, tant en leur sein que dans le cadre de l’Union.
Son départ affaiblirait considérablement ce groupe. Ce serait, en un sens, une défaite de ce que l’on qualifie parfois de “camp libéral” au sein de l’Union.
Si bien que toutes autres considérations relatives à l’anti-fédéralisme ou à l’égoïsme réels ou supposés du RU passent aujourd’hui au second plan :l’UE a besoin de l’aide du RU pour préserver ses valeurs.
L’affaire n’est pas encore jouée
Mais les dés ne sont-ils pas déjà jetés ?
La procédure du retrait est en effet très avancée : le Parlement britannique va être saisi du projet d’accord qu’il doit ou non approuver dans les prochaines semaines.
Qu’elle se termine par un deal ou un no-deal, le RU quitterait l’Union avant le 29 Mars 2019.
La seule possibilité de blocage de cet engrenage serait l’organisation d’un referendum qui donnerait aux citoyens britanniques une chance de revenir sur sa décision même de retrait.
Une intense campagne d’opinion s’est développée avec quelque succès depuis plusieurs mois dans cette direction : ses chances sont faibles mais elles existent.
Donner encore un peu de temps et d'espoir
Les négociateurs européens ont remarquablement fait leur travail. Ils ont protégé l’intégrité du système de l’UE et ses intérêts (au moins matériels) tout en assurant l’unité de leur camp.
Ils se sont gardés d’intervenir dans le débat intérieur britannique, de plus en plus cahotique.
Ils ont même toujours confirmé au Gouvernement - au moins de façon formelle - que celui-ci pouvait à tout moment revenir sur sa décision de retrait avant la date fatidique.
Pour autant, on peut se demander si - au vu de l’évolution des choses - le calendrier initialement prévu par les Institutions européennes (notamment le Conseil et le Parlement) ne pourrait pas être assoupli.
Un délai supplémentaire laisserait en effet une chance au Gouvernement et au Parlement britanniques d’envisager la possibilité, par exemple, de consulter à nouveau l’opinion par voie électorale ou référendaire.
Il serait inutile que l’Europe donne l’impression de vouloir à tout prix clore le débat aussitôt que possible, notamment pour des raisons procédurales.
D’une certaine façon, le sort de l’Europe est lié au débat du Brexit.
Le respect de la souveraineté des institutions et du peuple du RU n’empêche pas que l’Europe manifeste à leur égard, à ce moment crucial, toute la sollicitude et l’ouverture possibles.
Certes, un enfant prodigue peut toujours être recueilli après sa fugue - mais cela n’exclut pas d’essayer de le convaincre, jusqu’au dernier moment, de ne pas quitter sa famille.
Jean-Guy Giraud 17 - 11 - 2018