Le 8 novembre 2018 au plus tard, la Commission devra présenter au Conseil son deuxième “avis sur le plan budgétaire” de l’Italie.
Au vu des prises de position publiques du Gouvernement italien en place qui ont suivi le premier avis négatif (du 28 septembre), il est fort probable que la presse soit amenée à reprendre et amplifier ses commentaires alarmistes précédents et titrer :
“La Commission rejette à nouveau le budget de l’Italie !”
Titres qui seront sans doute accompagnés de commentaires plus ou moins dramatisants relatifs à l’”affrontement” entre la "Commission de J.C. Juncker" et "l’Italie de M. Salvini” , à la "violation de la souveraineté" d’un État membre, au caractère "arbitraire et anti-démocratique" de la procédure, au bien fondé économique des règles européennes, etc …
Dans cette perspective, et sans entrer dans la polémique, il peut être utile de rappeler seulement quelques éléments factuels relatifs à cette affaire et basés sur les textes en vigueur :
1. La Commission n’ a pas "rejeté le budget italien"
Ni la Commission (ni d’ailleurs le Conseil) n’ont le pouvoir de rejeter le projet de budget (et encore moins le budget voté) d’un État membre.
Ils ne peuvent pas non plus en modifier l’équilibre général ni aucun de ses éléments.
Ils peuvent seulement examiner les conséquences globales de ce budget sur la situation du déficit et de la dette d’un État - et non pas sur le budget lui-même.
2. La Commission ne donne qu’un avis à l’intention du Conseil
“La Commission donne un avis sur le projet de plan budgétaire” : tels sont les termes exacts utilisés par les textes concernés.
Si la Commission estime que le “plan budgétaire” risque d’aggraver une situation de déficit excessif, elle demande à l’État concerné de revoir ce plan de façon à atténuer ce risque. Si l’État s’y refuse, la Commission émet un deuxième avis qu’elle transmet au Conseil.
Il appartient alors au Conseil de constater - ou pas - qu’il existe un réel “risque de déficit excessif”.
Dans ce cas, c’est le Conseil qui engage un nouveau dialogue avec l’État, à l’issue duquel il peut “mettre en demeure l’État de prendre des mesures visant à la réduction du déficit jugé nécessaire pour remédier à la situation” .
En cas de refus renouvelé et confirmé, le Conseil peut prendre certaines mesures à l’encontre de cet État dont la plus extrême peut être, en dernier lieu, “l’imposition d’amendes d’un montant approprié”. (1)
3. La procédure de déficit excessif n’est pas "anti-démocratique”
Cette procédure est de nature contradictoire et a précisément pour but de parvenir à un accord avec l’État concerné.
Tout au long des différentes étapes, un dialogue intensif est poursuivi entre la Commission - puis le Conseil - et l’État concerné, dialogue au cours duquel celui-ci peut faire valoir ses arguments, proposer des solutions, prendre des engagements, etc …
À chaque étape - et notamment dans sa décision finale - le Conseil statue à la majorité qualifiée (2). Ce sont ainsi les représentants démocratiquement élus de l’ensemble des États (à l’exception de l’État concerné) qui assument collectivement la responsabilité de la procédure.
Si le Parlement européen est tenu informé du déroulement du processus (notamment à travers sa commission compétente), il ne participe pas aux décisions. Cette exclusion est sans doute regrettable sur le plan démocratique (3). Mais, en pratique, elle n’empêche pas le Parlement d’en débattre, d’entendre les représentants de l’État concerné ainsi que de la Commission - ni d’adopter des résolutions qui, bien que non contraignantes sur le plan juridique, peuvent influencer la procédure.
4. La procédure est régie par des règles précises
C’est avec un luxe inhabituel de détails et d’étapes graduelles que les textes organisent cette procédure. Autrement dit, de multiples précautions sont prises pour prévenir toute décision arbitraire ou précipitée et laisser à tout moment la voie ouverte à un issue positive.
Ces règles ne sont pas nouvelles puisqu’elles datent du Traité de Maastricht, complétées par le Pacte de stabilité et de croissance, reprises par le Traité de Lisbonne, détaillées dans divers règlements, etc … tous textes qui ont été approuvés par l’unanimité ou la majorité des États membres (4).
Il est vrai toutefois que la nature même des éléments soumis ainsi au contrôle des Institutions comporte une certaine marge d’évaluation (5). Le budget d’un État repose sur des prévisions de recettes et des autorisations de dépenses qui peuvent être modifiées en cours d’exercice. L'évolution du déficit et de la dette dépend aussi de facteurs exogènes difficilement quantifiables ou prévisibles et hors du contrôle de l’Etat concerné.
C'est pourquoi, en pratique, la "coopération loyale” de cet État dans la recherche active et commune d’une solution conforme aux règles est également prise en considération dans les décisions des Institutions.
5. Il s’agit de protéger l'intérêt général de l’union économique et monétaire
Comme les textes le reprennent abondamment, “les États membres doivent considérer leurs politiques économiques comme une question d’intérêt général” et “leurs politiques budgétaires ne doivent pas risquer de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et budgétaire” .
Autrement dit, le contrôle des Institutions ne porte pas sur les choix budgétaires spécifiques d’un État particulier dont il reste totalement maître . Il ne concerne que l’impact global éventuel de ces choix au niveau européen (par exemple sur la monnaie commune) - c’est à dire, en réalité, sur la situation des autres États membres.
C’est donc, ici, une application logique et justifiée du principe de solidarité qui est en jeu, lequel est à la base même de tout le système européen.
Ce mécanisme a plutôt bien fonctionné dans la mesure où il a, jusqu’ici, permis d’aboutir à des solutions négociées qui n'ont pas remis en cause “le bon fonctionnement de l’union économique et monétaire”.
Il repose certes sur une certaine conception ou “doctrine” relatives aux grands équilibres macro-économiques, lesquelles résultent d'un consensus politique entre les États.
Et il peut se faire que l’expérience ou un nouveau contexte économique amènent à s’interroger sur le bien-fondé de ce mécanisme et à envisager de l’adapter. Une telle perspective ne devrait pas être exclue - mais les probables difficultés pour parvenir à un nouveau consensus et à de nouvelles règles invitent à la plus grande prudence.
Jean-Guy Giraud 03 - 11 - 2018
(1) les mesures intermédiaires peuvent porter sur l’émission de dette, les prêts de la BEI et le dépôt d’une caution
(2) cad le vote positif de 16 États sur 27 représentant 55% de la population totale des 27
(3) Elle est peut-être motivée par la complexité du mécanisme, le caractère “objectif” (ie. non-politique) des critères utilisés, le souci de régler ces problèmes “entre pairs”, de préserver la possibilité de compromis, etc …
(4) art. 121 et 126 TFUE et protocole annexé, Pacte de stabilité de 1997, divers règlements d’application dont celui sur “la correction des déficits excessifs" de 2013, …
(5) la fixation précise de seuils fixes de déficit (3% du PIB) ou de dette (60%) est parfois qualifiée d’arbitraire ou artificielle. C’est évidemment affaire de concepts ou de circonstances macro-économiques et les règles incorporent des éléments de souplesse dans la prise en compte de ces seuils. Mais on voit mal comment un tel mécanisme pourrait faire totalement abstraction de tels repères ou critères.