Grâce à la Fondation pour l’innovation politique dirigée par Dominique Reynié, nous prenons connaissance de la version française d’un texte (ici) assez fascinant écrit par un conseiller proche de Vladimir Poutine - Mr Vladislav Sourkov.
Ce texte est remarquable par la clarté brutale de la thèse développée sur la légitimité et l’efficacité du modèle russe poutinien - développée à la fois par anti-thèse avec le modèle occidental et en référence avec la spécificité de l’histoire et du peuple russes.
Nous laissons les lecteurs le découvrir et, bien sûr, prendre connaissance de l’analyse critique indispensable développée (voir Partie II ) par un fin connaisseur français du poutinisme, Michel Eltchaninoff (ici).
Nous nous limiteront ici à quelques citations frappantes :
"La désagrégation de la Russie – impossible, contrevenant à la nature comme à l’histoire – a été stoppée, tardivement mais fermement. En s’effondrant du niveau de l’URSS au niveau de la Fédération de Russie, le pays a interrompu sa décomposition. La Russie a commencé à se reconstruire et est revenue à son seul état naturel : un pays immense, qui s’étend et rassemble les terres d’une communauté de peuples. Le rôle immodeste que l’histoire du monde a attribué à notre pays lui interdit de quitter la scène ou de garder le silence parmi les figurants. Il ne garantit pas le repos et détermine le caractère ardu de notre gouvernance.
Quoi qu’il en soit, l’État russe persévère dans son être, et il est devenu un État d’un type inédit, que nous n’avons encore jamais connu
Le système politique inventé en Russie convient non seulement à un avenir domestique mais possède également un fort potentiel d’exportation.
De fortes tensions internes dues au besoin de garder sous contrôle permanent d’immenses espaces hétérogènes, ainsi que la participation constante de notre pays dans la lutte géopolitique internationale, rendent le pouvoir militaire et policier indispensable et décisif.
Il n’y a pas d’État profond en Russie, mais il y a un peuple profond. À la surface brille l’élite.
Le principe populaire, quel que soit le sens de ce mot, domine l’État, détermine sa forme, limite les fantasmes des théoriciens et contraint les hommes d’action à des tâches précises. Elle est un puissant attracteur auquel mènent toutes les trajectoires politiques, sans exception.
La structure à multiples niveaux des institutions politiques, copiée sur le modèle occidental, est parfois considérée chez nous comme inutile et adoptée uniquement pour « faire comme tout le monde ». Ainsi les différences de notre culture politique ne sautent-elles pas aux yeux de nos voisins : elles les irritent et les effraient moins. Elles sont comme un habit d’extérieur que l’on enfile pour sortir mais que l’on ne met jamais à la maison.
La société ne fait réellement confiance qu’au chef (…) Le modèle contemporain de l’État russe commence par la confiance et tient par la confiance. C’est ce qui le différencie fondamentalement du modèle occidental, qui cultive la méfiance et la critique. C’est de là qu’il tire sa force.
Notre nouvel État, en ce nouveau siècle, aura une longue et glorieuse histoire. Il ne sera pas brisé. Il agira à sa manière, obtiendra et conservera les meilleures places dans la ligue des champions de la lutte géopolitique. Tôt ou tard tous ceux qui demandent à la Russie de « changer de comportement » devront se résigner à l’accepter telle qu’elle est. Après tout, qu’ils aient le choix n’est qu’une illusion.”
Si l’analyse critique du modèle occidental n’est pas dénuée de vraisemblance, la thèse ainsi développée se révèle assez proche de doctrines fascisantes d’une autre époque, fondées comme elles sur le diptyque totalitariste leader/peuple.
Elle peut - ou devrait - à ce titre inquiéter légitimement les démocraties libérales les plus directement concernées - en premier lieu celles qui composent l’Union européenne.
Il est donc utile de voir ici exprimée aussi crûment la thèse de l’État poutinien - même si l’auteur s’exprime à titre personnel.
Une seule remarque pour terminer : une doctrine à tel point basée sur la personne d’un dirigeant messianique peut-elle survivre à son départ ou à sa disparition ? Vladimir Poutine - au pouvoir depuis plus de 10 ans - n’ a pas de successeur potentiel. Ce régime pourrait-il se perpétuer, s’incarner dans un autre dirigeant ? L’histoire - y compris russe - montre que de tels systèmes s’écroulent souvent avec leur chef.
Jean-Guy Giraud 11 - 05 - 2019
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