Indépendamment de l’avancée “hamiltonienne” que peut représenter pour l’UE le Plan de relance (‘Next Generation-EU”) sur le plan constitutionnel/institutionnel, on peut s’interroger sur une des conséquences moins positives de ce Plan : à savoir, une certaine perte de contrôle des Institutions sur l’utilisation des fonds communautaires par les Etats bénéficiaires.
Une récente analyse du CEPS (1) met en lumière les risques suivants :
les 750 milliards de subventions et de prêts disponibles dans le cadre du Plan seront-ils vraiment affectés au financement des actions déclarées prioritaires (climat, innovation, sécurité, défense, santé) ? En l’état actuel du dossier, il n’est pas clairement stipulé que ces priorités doivent être respectées avec la même rigueur que pour les dépenses effectuées dans le cadre du budget lui-même.
de quels leviers disposera véritablement la Commission pour assurer un niveau de contrôle de l’utilisation des fonds (et une “protection des intérêts financiers de l’UE") au moins équivalent à celui dont elle dispose sur les dépenses “ordinaires”,
au vu de l’importance sans précédent des volumes financiers concernés, de la complexité sans doute accrue de leur mise à disposition (notamment pour les 350 milliards de prêts), et des délais relativement courts fixés pour leur mise en oeuvre - les Etats seront-ils en mesure de les utiliser avec la rigueur et l’efficacité nécessaires ? (2)
D’une façon générale, au fil des années, le contrôle communautaire sur l’utilisation des fonds structurels - de même que les choix de leur affectation - ont été progressivement délégués aux Etats et à leurs administrations. Ce phénomène a été causé à la fois par un souci politique de décentralisation et par une impossibilité matérielle de contrôle a priori par la Commission de milliers de dossiers dans 27 Etats.
Il en est résulté, dans certains Etats au moins, une gestion parfois contestable des crédits européens ainsi que des irrégularités caractérisées (fraude, corruption, blanchiment, …)
C’est d’ailleurs pour tenter de redresser cette situation que la Commission a proposé - dans le cadre du Paquet Budget/Plan - d’instaurer deux nouveaux mécanismes : le premier lié au “semestre européen” c’est à dire aux programmes budgétaires annuels de chaque Etat - l’autre, plus général, concernant la capacité d’un Etat à faire respecter le droit ("l’état de droit”) dans l’utilisation des crédits européens (3).
Ces deux dossiers - dont on mesure bien l’importance au vu de l’ampleur du Paquet - ont fait l’objet de débats inaboutis au sein du Conseil européen et devront être repris soit par celui-ci - soit par le Conseil de Ministres (statuant, lui, à la majorité qualifiée).
Tout ceci illustre bien les problèmes auxquels se trouve confrontée l’UE à ce stade de son développement politique et géographique:
la nécessité “fonctionnelle” d’accroissement des compétences, des actions et donc du budget communs (notamment suite aux crises successives de toutes natures),
les résistances persistantes des Etats à ce qu’ils perçoivent parfois comme des limites (voire des atteintes) à leur liberté d'action (voire à leur souveraineté),
une certaine dégradation de la confiance mutuelle entre des Etats à des stades différents d’évolution économique et sociétale,
le problème plus général de la décentralisation/déconcentration nécessaires du pouvoir central (“Bruxelles”) tout en gardant à celui-ci un niveau de direction et de contrôle suffisants.
Sur ces questions aussi, l’”aventure” du bien nommé “Next Generation EU Plan” devra donnera lieu à des réponses - ou au moins des clarifications - utiles.
Jean-Guy Giraud 31 - 07 - 2020
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(2) "Overall, it is difficult to see a marked improvement in terms of quality or financial control on the Next Generation EU, which represented a stated fundamental concern for the four frugal countries. Many funds that were allocated to specific EU priorities are now largely bundled under the overarching Recovery and Resilience Facility. This gives member states more power of discretion over the allocation. Whether grants or loans are better in terms of control and incentives depends on the rules governing both, because the conditionality and controls over the normal MFF grants are substantial.”
(3) sur la question du mécanisme relatif à l”état de droit”, l’auteur de l’article émet aussi quelques réserves sur une définition trop large du concept : "The concept of blocking funding for ‘generalised deficiencies’ in the rule of law is questionable when breaches to the rule of law are not related to the financial interests of the EU”.
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