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LE DÉCLIC DU SOFA GATE ?



L’incident très médiatisé du "Sofa Gate” aura d’abord permis au grand public de constater de visu la rudesse et le caractère provocateur de l’actuel régime turc - sous la férule de Recep Tayyip Erdogan. Mais il aura aussi mis en lumière toute la faiblesse de la diplomatie européenne - tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme on a pu constater une fois de plus toute l’ambiguité du système de représentation extérieure de l’UE tel qu’établi par le Traité de Lisbonne. Trois hauts responsables (au moins) sont chargés de cette fonction : les Présidents du Conseil européen et de la Commission ainsi que le Haut-Représentant. Selon les circonstances, ils peuvent l’exercer isolément ou collectivement. La souhaitable coordination de leurs initiatives (y compris sur le plan protocolaire …) et de leurs messages s’avère souvent aléatoire. Les précédents Présidents du Conseil européen et de la Commission avaient toutefois réussi à gérer tant bien que mal - en interne - cette coordination. Si bien que, à défaut de régler efficacement ce problème de dyarchie ou de triarchie, ils étaient parvenus à éviter qu’il affaiblisse ou même compromette l’action diplomatique de l’UE. Il n’en est pas de même avec l’actuel Président du Conseil européen qui manifeste un activisme surprenant sur la scène internationale (comme d’ailleurs sur certaines questions internes à l’ordre du jour du Conseil Européen). Activisme qui n’est pas toujours couronné de succès comme l’atteste par exemple l’échec relatif de ses dernières initiatives personnelles en Biélorussie, Géorgie ou Libye. . On se souvient d’ailleurs que M.Michel avait été choisi par ses “pairs” du Conseil européen en raison notamment de son habileté à dénouer - au moins provisoirement - les incessants conflits au sein de … la politique intérieure belge. Qualité qui ne le prédisposait pas de manière évidente à affronter les redoutables problèmes de relations internationales face à des dirigeants tels que MM. Erdogan ou Poutine. Nul doute que certains membres du Conseil lui-même n'aient donc été surpris par certaines de ces initiatives.


Sur le fond les Traités successifs sont principalement responsables de la faiblesse intrinsèque de la politique étrangère “commune”. L’expérience historique du fédéralisme - par exemple celle des Etats-unis - montre que la diplomatie et la défense sont les deux domaines qui doivent être en priorité confiés par les Etats membres à la compétence d’Institutions communes. Et ce dans le double objectif d’éviter des conflits internes et de permettre au groupe de défendre ses intérêts communs vis à vis des puissances externes. C’est exactement l’inverse qui s’est produit au sein de l’Union dans laquelle ces Institutions n’exercent qu’une compétence résiduelle et révocable (hormis en matière d’accords commerciaux). Et où l’essentiel de cette compétence a été confié au Conseil européen cad à l’Institution la moins intégrée et la plus intergouvernementale - dont les décisions ne peuvent être prises qu’à l’unanimité des Etats membres, quelles que soient leur taille et leur implication dans les grandes questions de politique internationale auxquelles l’Union est quotidiennement confrontée. Mais le plus préoccupant est que, contrairement à l’esprit sinon à la lettre du Traité, cette situation d’impuissance commune tend à se perpétuer sinon à s'aggraver - notamment au fil des élargissements successifs de l’Union. Le Conseil européen - bien que de moins en moins unitaire - ne délègue que des pouvoirs marginaux au Haut Représentant ou à la Commission et conteste même parfois leurs interventions dans des domaines où il s’est lui-même révélé incapable de formuler des orientations ou des priorités. Et la politique internationale ayant, comme la nature, "horreur du vide” - le champ est laissé libre aux autres grandes puissances mondiales au détriment de l’intérêt commun européen. Pire, on voit certains Etats membres - quelle que soit leur taille - tenter de jouer leur propre jeu auprès de ces puissances et se faire ainsi instrumentaliser par elles. Dans une certaine mesure, l’épisode du Sofa Gate est une illustration presque chimiquement pure de cette situation : un Conseil européen qui n’a pas de position commune claire vis à vis de la Turquie mais veut en rester le maître absolu - un Président de ce même Conseil qui, sans mandat précis, s’improvise et s’impose (physiquement …) comme seul interlocuteur d’un redoutable dirigeant - une Présidente de la Commission marginalisée publiquement bien qu’elle dispose au moins des manettes économiques indispensables pour la négociation - un Haut Représentant non convié alors qu’il est en charge, au quotidien et dans le détail, des relations diplomatiques complexes avec la Turquie. Voici ce qu’il faudrait expliquer aux européens à l’occasion de la Conférence sur l’avenir de l’Union. Que leur sort - même individuel - dépend de la capacité de l’Europe à défendre leurs intérêts face à de (plus) grandes puissances hostiles ou indifférentes. Que, dans l’état actuel des choses, le système en place est incapable de remplir efficacement ce rôle protecteur. Mais aussi que des réformes internes de ce système sont possibles si l’opinion se prononce clairement et fortement pour une reprise en mains, par l’Union, de son propre destin. Jean-Guy Giraud 09 - 04 - 2021

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