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LE BUDGET EUROPÉEN : UN “PAQUET" À LA DÉRIVE ?


Le cadre financier (cad le budget) pluri-annuel de l’UE pour les 7 prochaines années (2021/2027) a été fixé dans ses grandes lignes a période par le Conseil européen des 19/21 Juillet 2020.  Sur cette base, le Conseil des 27 Ministres du budget doit mettre en forme et adopter les différents textes législatifs correspondants.  Selon les textes concernés, le Parlement européen doit donner son accord formel ou son avis.   Tout au long de cette procédure, la Commission participe à l’élaboration de ces textes ainsi qu’à la négociation au sein du Conseil et avec le Parlement.  En (très) résumé, il s’agit en fait d’un “paquet” de trois types de textes :

  1. le cadre financier (CFP) lui-même - au sein duquel a été intégré le Plan de relance économique lié à la crise sanitaire du Covid (subventions et prêts pour un montant de l’ordre de 750 milliards Euros),

  2. les nouvelles ressources propres créées pour financer ce Plan,

  3. les nouvelles règles relatives à la bonne utilisation des crédits et prêts européens par les Etats membres.

Sans entrer ici dans les détails chiffrés, on peut essayer de clarifier et de commenter brièvement le volet décisionnel et institutionnel de ce “paquet” - par ailleurs sans précédent quant à son montant global et très innovateur en matière de ressources/recettes et d’encadrement de leur utilisation.   Le cadre financier pluriannuel En application de l’article 312 TFUE, le CFP est adopté "par le Conseil de Ministres statuant à l’unanimité après approbation du Parlement européen". En pratique, on sait que les choses se déroulent différemment puisque le CFP a été établi (dans le détail) par le Conseil européen et que, sur cette base imposée, le Conseil est entré en négociation avec le Parlement pour établir un texte susceptible de trouver l’accord de ce dernier. Cette négociation est en cours et s’avère, plus encore que pour les précédents CFP, particulièrement difficile - notamment du fait de l’inclusion du Plan de Relance.  Une explication critique plus détaillée de cette procédure figure ici. Les nouvelles ressources propres En application de l’article 311 TFUE, "le Conseil de ministres peut, statuant à l’unanimité et après consultation du Parlement européen, établir de nouvelles catégories de ressources propres”. Cette décision ne peut entrer en vigueur qu’après "approbation (ultérieure) par les Etats membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives” - c’est à dire après “ratification” par leurs parlements. En pratique, les principales “pistes” de nouvelles ressources propres ont été établies par le Conseil européen et le Conseil envisage au moins six types de taxes liées à la protection de l’environnement, au développement du numérique, aux activités financières, etc …  Ces taxes font ou feront l’objet de propositions de la Commission et devraient entrer progressivement en vigueur d’ici la fin du CFP (2007). Ici aussi, le Parlement entend “négocier" ces décisions avec le Conseil - sur lesquelles il a, de longue date, effectué des travaux et présenté des suggestions élaborées. À noter que les décisions du Conseil nécessiteront des “mesures d’exécution” qu’il devra approuver à l’unanimité - mais, cette fois, “après approbation du Parlement”.  Les règles de bonne utilisation Pour la première fois, le Conseil européen a accepté que les modalités d’utilisation des crédits par les Etats membres garantissent une certaine protection des intérêts financiers de l’UE. En conséquence et sur la base de l’article 325 TFUE, la Commission a présenté une proposition de règlement qui devra être adoptée par le Conseil et le Parlement selon la procédure normale de co-décision. En résumé, ce texte prévoit que le versement des crédits du budget aux Etats puisse être suspendu au cas où ceux-ci ne respecteraient pas certains principes de base de "l’état de droit" liés à la régularité et au contrôle de l’utilisation des crédits. La négociation du texte a commencé au sein du Conseil (qui peut l’adopter à la majorité qualifiée) et en liaison avec le Parlement (qui peut l’amender ou le rejeter). Une explication plus détaillée cette question figure ici. On voit donc bien - à la lumière de ces explications (très) schématiques - la complexité du processus décisionnel ainsi engagé. Elle est en grande partie due au fait que le Traité considère les questions budgétaires (dépenses et recettes) comme relevant toujours - au moins partiellement - de la souveraineté des Etats. Ce qui explique tant l’intervention (hors Traité) du Conseil européen que l’exigence de l’accord de chacun des 27 Etats membres ainsi que (au moins pour les recettes) l’exigence de ratification par les parlements nationaux. Bien entendu, le caractère novateur et l’ampleur inusitée du paquet CFP + Plan de Relance ne fait qu’amplifier cet état de fait. Une complication supplémentaire est causée par le lien étroit qui unit logiquement ces trois dossiers et les regroupe de fait en un seul “paquet” dont chaque élément est lié aux autres - et dans lequel se croisent les positions (parfois les “lignes rouges”) des différents Etats mais aussi du Parlement. La règle de l’unanimité permet en effet à chaque Etat de bloquer l’un ou l’autre élément de l’ensemble et/ou de subordonner son accord sur l’un contre des concessions sur l’autre. Et le Parlement peut utiliser son propre “droit de veto” sur le CFP pour obtenir des concessions sur les ressources propres… Même le 3ème dossier sur la protection des intérêts financiers de l'UE - bien que soumis à la procédure majoritaire de co-décision - se trouve pris dans les mêmes rets.  Les auteurs du Traité étaient sans doute conscients des risques de blocage entrainés par la règle d’unanimité - elle même dérivant du principe de souveraineté en matière budgétaire et fiscale (1). Ils ont toutefois pu estimer de bonne foi à l’époque que le devoir de "coopération loyale" entre les Etats (article 4§3 TUE) permettrait de surmonter les “égoïsmes” nationaux ou plutôt gouvernementaux. Il s’est avéré que, dans une Union de plus en plus élargie et diverse, cet espoir était quelque peu illusoire.  Quelle que soit l’issue finale de cette affaire, qu’il soit permis de relever ici :

  • le rôle positif, créatif, combatif et continu joué par le Parlement européen (2) depuis de nombreuses années sur ces questions (en fait depuis … 1975!),

  • la vision et l’engagement de la Commission - même si son souci de médiation/conciliation l’emporte parfois sur son devoir de garante de l’intérêt général de l’UE,

  • la contribution constructive de certains gouvernements actuels (notamment de la France et l’Allemagne) plus soucieux que les autres de cet intérêt général,

  • l’attitude (parfois délibérément) négative d'autres gouvernements en place dont la conception du projet européen s’écarte progressivement de celle qui inspire les Traités européens. 

Ceci dit, il ne fait guère de doute que, nécessité aidant, un “compromis” devra être finalement trouvé - mais au risque de s’en tenir à un plus petit commun dénominateur repoussant à plus tard (le fameux “moyen terme”) les réformes nécessaires. Toutefois, l’ampleur de la crise sanitaire et économique en cours - et sa prolongation probable - risquent, cette fois, de confronter l’Union à un danger majeur de dislocation s’ajoutant à l’épreuve sans précédent du Brexit.  Une telle dérive de l’UE - de nature budgétaire mais finalement politique - dans un contexte international particulièrement troublé devrait à tout prix être évitée.  Jean-Guy Giraud  06 - 10 2020 ________________________ (1) à noter toutefois qu’avant la création du cadre financier pluriannuel (CFP), le budget était adopté année par année selon une procédure de co-décision majoritaire du Conseil de ministres et du Parlement. Procédure qui - tout en donnant lieu à de difficiles négociations - excluait tout droit de veto d’un Etat membre et respectait le principe d’approbation démocratique des dépenses. Si cette procédure est toujours en vigueur (article 314 TFUE), elle a en grande partie perdu de son poids du fait de l’”encadrement” pluri-annuel contraignant. Accepter une telle involution du système budgétaire européen fut sans doute une des erreurs majeures de la Convention qui élabora le projet de Constitution européenne (2001/2004).  (2) nous recommandons vivement aux lecteurs intéressés la video en ligne d’une conférence de presse du groupe de coordination du PE :  https://multimedia.europarl.europa.eu/en/press-conference-outcome-mff-new-own-resources_I195911-V_v

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